Bernard Beignier, recteur : “Si l’éducation s’arrête, c’est toute la société qui s’arrête”

Interview
le 1 Nov 2020
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Ce samedi, le ministre de l'Education nationale tenait une visio-conférence avec l'ensemble des recteurs d'académie pour caler les derniers détails de la première rentrée reconfinée. De l'heure de rentrée au port du masque obligatoire dès six ans, les questions épineuses ne manquent pas. Entretien avec le recteur d'Aix-Marseille, Bernard Beignier.

A droite, Bernard Beignier, recteur de l
A droite, Bernard Beignier, recteur de l'académie Aix-Marseille.

A droite, Bernard Beignier, recteur de l'académie Aix-Marseille.

L’automne a beau être une saison propice aux brumes matinales, jamais une rentrée de la Toussaint n’a été nimbée d’autant d’inconnues. Depuis l’annonce, ce mercredi, d’un reconfinement total combiné à un maintien de l’école, l’Éducation nationale peinait à présenter une feuille de route nette et précise. Déjà, le syndicat FSU a annoncé le dépôt d’un préavis de grève national, susceptible d’offrir un cadre à d’éventuels mouvements locaux. Sans compter la fièvre sociale qui agite les personnels des écoles primaires depuis la rentrée à Marseille et qui pourrait connaître une nouvelle poussée, avec un préavis FO, ce jeudi.

Samedi, le ministre de l’Éducation nationale a réuni l’ensemble des recteurs en visio-conférence, dont Bernard Beignier, qui dirige l’académie Aix-Marseille. Au sortir de cet entretien, il fait le point avec Marsactu.

À quelle heure aura lieu la rentrée dans les différents établissements scolaires ?

C’est huit heures dans les collèges et lycées, 8 h 30 en primaire. Vous le savez, il était prévu de permettre aux enfants d’arriver à 10 heures pour permettre aux enseignants d’organiser un temps de concertation pédagogique, en hommage à Samuel Paty. La région, chargée du transport scolaire a indiqué qu’elle ne pouvait pas décaler le transport des élèves. Nous avions prévu d’accueillir les élèves à huit heures. Au final, nous avons décidé de faire commencer à huit heures dans la majeure partie des cas, sauf dans les endroits où le temps de concertation était déjà organisé. Tout cela est un peu compliqué, je le reconnais.

Une arrivée échelonnée est-elle organisée, notamment dans les écoles maternelles et primaires pour éviter un effet d’agglutinement à l’entrée comme c’était le cas lors du déconfinement?

Ça n’a pas été reproduit à la rentrée de septembre. En juillet, un protocole de niveau 1 et 2 a été mis en place. Depuis la rentrée, nous en étions au niveau 1. Nous passons au niveau 2, avec notamment le port du masque dès six ans, le respect des distances et le fait d’éviter le brassage des élèves.

Le port du masque dès six ans n’y était pas prévu.

Effectivement. Comme vous le savez, la question du port du masque et de son efficacité a fait l’objet dans un premier temps d’une controverse scientifique. Nous le savons, les enfants sont faiblement contagieux. Mais ça ne veut pas dire qu’ils ne le sont pas. Le port du masque est donc désormais obligatoire pour offrir une précaution supplémentaire. C’est aux parents d’en équiper leurs enfants, car il est désormais établi qu’il s’agit d’une fourniture scolaire comme une autre. Mais nous savons aussi que les parents ont pour beaucoup cherché à acquérir des masques adaptés et qu’ils ne seront pas toujours disponibles.

Vous êtes en situation d’en fournir aux enfants qui arriveraient sans ?

Oui nous avons des stocks constitués pour cela. Mais, attention, ils ne sont pas suffisants pour équiper chaque enfant, dès la rentrée.

La Ville de Marseille a annoncé qu’elle allait procéder à des commandes. Cela vous soulage ?

Une ville a tout à fait la possibilité d’offrir de telle fourniture, cela sera un geste bienvenu.

Les masques seront-ils là lundi ? Y compris pour les enseignants dont les masques ont été soupçonnés d’être toxiques ?

À l’heure où nous nous parlons, je ne peux pas vous certifier qu’ils seront tous acheminés pour les enfants, dès ce lundi. Mais le ministre nous a dit que nous aurions droit à quelques jours de souplesse pour satisfaire toutes les obligations du nouveau protocole. Quant aux masques Dim, destinés aux enseignants, cette histoire a été clarifiée. Ils n’ont pas la toxicité redoutée. Nous allons continuer à les utiliser et peu à peu les remplacer en changeant de fournisseur.

L’autre nouveauté de cette rentrée est le renforcement des procédures de désinfection. Cela sera-t-il possible alors que le protocole allégé a déjà du mal à être appliqué notamment à Marseille ?

La mesure existait déjà. Il s’agit uniquement d’en augmenter la fréquence, notamment pour les zones de contact. Il n’y a pas de raison qu’il y ait de retard dans la mise en œuvre de cette mesure, à 24 heures de la rentrée.

Mais vous avez constaté, comme les parents d’élèves marseillais, que certaines écoles ont fermé faute de personnel en nombre suffisant pour appliquer le protocole allégé…

J’entends bien. Il appartient aux mairies de renforcer les moyens en personnel si cela s’avère nécessaire. Je crois que c’est d’ores et déjà prévu à Marseille. Il me semble par ailleurs qu’en raison du confinement, d’autres services ont moins de travail. Je crois qu’il est aussi question de recourir à des entreprises privées.

L’État va-t-il prendre en charge ce surcoût ?

C’est du ressort d’une municipalité. Je ne crois pas que cela soit prévu. Cela ne veut pas dire que c’est exclu.

Et pour les parents qui doivent désormais acheter des masques pour leurs enfants, une aide est-elle prévue ?

Non. L’allocation de rentrée a été revalorisée à hauteur de 100 euros par enfant. Bien entendu, ils ne peuvent pas intégralement servir à l’achat de masques.

Y aura-t-il de nouvelles mesures d’étalement des temps de récréation et de cantine pour éviter les effets de brassage ?

C’est absolument nécessaire et c’est déjà le cas. Il faut éviter également qu’en étant 10 dans la cour, ils ne jouent en s’agglutinant. Dans ce cas, c’est pire que d’être 30 espacés. Ceci est moins vrai dans les collèges et les lycées. La difficulté est que cela oblige à adapter les emplois du temps.

Et pour la cantine ?

Dans les salles de restauration, partout là où c’est possible, il faut pouvoir étendre l’ampleur du temps de restauration, de 11 heures à 14 heures par exemple. Mais encore faut-il que la salle de restauration le permette. Dans certains établissements, la surface au sol ne permet pas d’assurer la mise à distance nécessaire. Dans ce cas, il conviendra de distribuer des repas froids que les enfants pourront consommer dans les salles de classe.

Est-ce que vous recommandez aux parents de ne pas mettre leurs enfants à la cantine ?

Non. Je ne pense pas que cela soit adapté à notre mode de société. Les parents partent le plus souvent pour la journée. Et puis les faire revenir quatre fois à l’école dans une journée est un peu contradictoire avec les règles du confinement.

Que répondez-vous aux enseignants inquiets d’être maintenus en première ligne face à l’épidémie ?

Sur le terrain de la contagion d’abord, il est notable que la propagation du virus a eu lieu dans des fêtes familiales ou privées, ou dans des fêtes étudiantes qui, soit dit en passant, ne sont absolument pas inscrites dans le règlement des universités. Cela dit, j’en garde moi-même d’excellents souvenirs. Les enfants, je l’ai dit, sont faiblement contagieux. Les professeurs sont protégés puisqu’ils portent un masque. En revanche, je reconnais que travailler avec un masque est particulièrement difficile. À tous ceux qui disent qu’on maintient l’école pour des raisons économiques, j’ai envie de dire que si l’Éducation nationale s’arrête, alors c’est toute la société qui s’arrête. Les enfants ont besoin d’être à l’école, d’être socialisés. Nous ne pouvons sacrifier une promotion scolaire.

La possibilité d’une hybridation des cours, en présentiel et à distance, est-elle envisagée?

Nous devons envisager toutes les possibilités. C’est ce qui sera appliqué dans les lycées. Mais cela pourra être étendu à d’autres niveaux. Le ministre l’a clairement envisagé. Si la situation continuait à se dégrader dans les semaines à venir, tous les scénarios sont possibles.

Les personnels municipaux sont appelés à la grève dans le cadre d’un mouvement national, jeudi 5 novembre. Cela vous inquiète?

Bien sûr que cela nous inquiète. C’est un droit constitutionnel, même si déclencher une grève dans le moment que nous vivons ne m’apparaît pas très approprié, ni très porteur dans l’opinion publique.

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Commentaires

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  1. jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

    …déclencher une grève dans le moment que nous vivons ne m’apparaît pas très approprié, ni très porteur dans l’opinion publique.
    Qu’en sait il?
    Ce ”recteur” parle comme son Ministre ou le Président…

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    • Jacques89 Jacques89

      Faire feu de tout bois ! C’est bien connu. L’unité, l’unité sacrée justifie la muselière y compris à l’école, siège de l’esprit critique. On a « tout » prévu et pour le reste démerdez-vous ! J’imagine l’ambiance entre 8h/8h30 et 11h00 : sous haute tension. Bon courage les profs !

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  2. Alceste. Alceste.

    Vous avez raison , de temps en temps la muselière devrait être portée par certains représentants syndicaux, cela éviterait d’entendre des âneries et éviterait la logorrhée systématique du” je râle pour râler” . Ils annoncent un hommage bâclé concernant Monsieur PATY . Pas besoin d’une semaine de formation pour évoquer cet assassinat . Une prise de parole simple qui rappelle pourquoi cet homme a été décapité et les valeurs qu’il enseignait. Les “profs” connaissent bien leurs élèves, ils ont les mots justes pour les toucher simplement en expliquant ce qu’est un “Prof”, et quelle est sa mission. Sans oublier que cela se fait de plus en France où toutes les idées et critiques sont possibles . La simplicité est plus efficace que la grandiloquence , et dans cet esprit il est facile d’allier Socrate, Montaigne, Descartes et Camus avec sa très belle lettre adressée à son “Instit”.
    Liberté, Egalité ,Fraternité, Laïcité.

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    • jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

      Difficile de ne pas ”bestialiser” nos adversaires de classe. La muselière, je pense que c’est pour les chiens dangereux. Toutefois je crois que c’est bien parce que la représentation syndicale ”râlent” que les avancés se font. Mais comme nous ne sommes pas dans un monde idéal chacun peut commettre des erreurs…!
      Moi compris…!

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  3. vékiya vékiya

    je suis prof en lycée pro dans les quartiers nord. aucune info de la direction du lycée, des ordres et contre ordres du ministre… qui veut prendre ma place demain ? je serai face à des élèves qui à 50% mini soutiennent les barbares.

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    • Alain PAUL Alain PAUL

      Bon courage Patrick, tu nous raconteras

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    • Jacques89 Jacques89

      Faut peut-être commencer par leur faire écouter la lettre de Jaurès aux instits. (https://eduscol.education.fr/cid154946/2-novembre-hommage-m-samuel-paty-unite-autour-des-valeurs-de-la-republique.html) . La version longue (7.08 mn) histoire de les mettre dans l’ambiance. Faudra peut-être faire un bruit de fond au moment où il est dit « vous êtes responsable de la patrie ». Y en a qui pourraient se moquer en disant que cette responsabilité est bien mal rémunérée…
      Quant à rappeler l’Histoire de la fin du 19ème pour étayer le débat, en lycée pro, je doute que cela passionne le « client ». Les erreurs ont été commises avant que ce public arrive au collège et s’il y a responsabilité c’est bien celle de la nation qui depuis des décennies réduit les budgets et les formations. Ce métier demande bien plus que des connaissances.

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  4. Alceste. Alceste.

    Patrick, bon courage. Mais qu’est ce que vous nous dites, Marseille ne serait pas cette ville, merveille de tolérance, d’ouverture comme cela nous est vendu par nos lumières locales à longueur de discours ?

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