Aux Saintes-Maries-de-la-Mer, la lutte des Gitans pour garder leur place

Reportage
le 22 Mai 2023
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La mairie des Saintes-Maries-de-la-Mer prévoyait de remplacer le marché des gitans historique par une animation touristique durant le pèlerinage annuel qui a lieu le 24 mai. Après de fortes tensions, les représentants des forains ont obtenu gain de cause, mais leurs conditions d'accueil sont toujours difficiles.

Mobilisation sur le rond-point d’entrée du village, le mardi 16 mai, avec en emblème le drapeau Rom. (Photo : EB)
Mobilisation sur le rond-point d’entrée du village, le mardi 16 mai, avec en emblème le drapeau Rom. (Photo : EB)

Mobilisation sur le rond-point d’entrée du village, le mardi 16 mai, avec en emblème le drapeau Rom. (Photo : EB)

“Pourquoi vous ne voulez pas qu’on mette des roulottes, comme avant, c’était joli”, lance Christelle Aillet, la maire des Saintes-Maries-de-la-Mer. Face à elle, des forains et pèlerins venus bloquer le village pour protester contre la mise en place “d’animations culturelles autour du pèlerinage” en lieu et place du marché des gitans historique. Yohan Sallès, président du Comité des Tziganes de la région Paca rétorque : “C’est grâce à nous si les Saintes sont connues dans le monde et tout le village profite de cette réputation, mais vous ne voulez pas nous accueillir pour ce qu’on est vraiment”. La scène se déroule ce mardi 16 mai, au matin, à l’entrée du village, à une semaine du début du pèlerinage des gitans autour de Sara la noire, leur patronne.

Un nouvel épisode dans la série multi-centenaire des oppositions entre les autorités civiles et les voyageurs lors du pèlerinage. Cette année, le scénario ressemblait beaucoup à celui de l’année dernière. La maire élue en 2021, Christelle Aillet, invoquait dans un premier temps des raisons de sécurité pour déplacer le marché des gitans du centre du village vers un parking périphérique. Pour les forains, “il en est hors de question”, pose Yohan Salles, qui se charge de faire respecter les intérêts des 120 forains qui viennent chaque année. La place utilisée depuis des décennies est un symbole. Centrale, elle s’appelle officiellement la place des gitans.

Faux gitans

Sans concertation, sur ladite place, la mairie des Saintes avait donc prévu “un programme d’animations culturelles du pèlerinage”, selon la communication de la mairie. “Mettre des faux gitans à la place des gitans”, tranche Yohan Salles. Effectivement le marché des gitans n’est pas très touristique, il est surtout destiné aux voyageurs eux-mêmes – Gitans, Roms, Sinti, Manouches… selon les origines et terminologies pouvant recouvrir une réalité protéiforme. Des couvertures en plume pour chauffer moins l’hiver au balai spécial caravane made in China, le tout n’est pas très vendeur de cartes postales. À la place, la mairie avait prévu une trentaine de stands de métiers traditionnels : vanniers, rempailleurs…

On veut les gitans pour le folklore, pour attirer les touristes, mais pour pas pour ce qu’ils sont en réalité.

Yohan Salles

“Elle voulait nous remplacer par des métiers anciens que nous ne pratiquons plus”, résume Yohan Salles qui pique : “On veut les gitans pour le folklore, pour attirer les touristes, mais pour pas pour ce qu’ils sont en réalité.” À vouloir éloigner les forains gitans de la place des gitans, la mairie des Saintes-Maries de la Mer s’est emmêlé les pinceaux. Dans un premier temps, elle a interdit tous les marchés du mois de mai, y compris ceux qui se déroulent deux fois par semaine tout au long de l’année. Le 12 mai, le tribunal administratif de Marseille a annulé l’arrêté de la mairie des Saintes. Puis, entre la programmation imaginée place des Gitans, suivie de l’installation de blocs en ciments à travers le village en mars, l’hostilité a enflé. Et la détermination des forains du pélerinage, après à peine deux heures de blocage le mardi 16 mai, a fait rétropédaler la maire des Saintes.

Christelle AIllet, la maire des Saintes-Maries et Yohan Salles, le représentant des forains en négociation sur le rond-point. (Photo : EB)

Lors d’une médiation menée sous l’égide de la casquette bleue du brigadier en chef de la gendarmerie, la maire Christelle Aillet a fini par lâcher : “Bon, on reprend le mode d’emploi de l’année dernière, mais pas le même bordel pour les inscriptions.”

“Tout ça pour ça”

“Tout ça pour ça”, regrette Alicia Kluber, du bar restaurant La ruade, face à la place des gitans. “Au mois de mai, il y a un gros manque à gagner avec l’absence d’un marché et les barricades partout autour et dans le village qui a dissuadé un nombre important de touristes”. Elle qui travaille toute l’année avec les forains et d’autant plus pendant le pèlerinage va demander un rendez-vous à la mairie en espérant que l’année prochaine les choses se passent plus naturellement. La réaction sur le rond-point du blocage de l’entrée du village est similaire. “On a gagné !”, scande Sonia Niess, foraine qui vient ici depuis 38 ans. “Mais c’est dommage, ça pourrait bien se passer et on est obligés d’aller au conflit… Pourquoi nous chercher des histoires ?”

Les voyageurs sont toujours considérés sous le même angle de l’ordre public et de la sécurité. Jamais pour construire des propositions culturelles.

William Acker

L’histoire se répète. Et “tout se joue sur le rapport de force”, déplore William Acker, juriste et directeur général de l’association nationale des gens du voyage citoyen (ANGVC). Les yeux clairs et la fraîche trentaine, mordant sur Twitter, celui qui a participé à la conception et l’élaboration de l’exposition Barvalo présenté actuellement au Mucem, analyse : “Les voyageurs sont toujours considérés sous le même angle de l’ordre public et de la sécurité”, comme avec les hélicoptères de la gendarmerie qui tournent au dessus des têtes des pèlerins pendant la sortie de Sara la noire, perturbant la prière et couvrant les prises de paroles. “Mais jamais nous ne sommes écoutés pour construire des propositions culturelles. Nous essayons de proposer de passer un film pendant le pèlerinage depuis des mois, mais nous n’avons aucun retour de la mairie des Saintes. Pour cette année, c’est trop tard, mais on réessaiera l’an prochain”. Pour William Acker, l’attitude de la municipalité, s’inscrit dans une continuité de manque de considération des communautés nomades. Elle se retrouve par exemple dans la façon de construire et localiser les aires d’accueil de la part des pouvoirs publics comme Marsactu l’a déjà raconté notamment à travers l’exemple de la création de l’aire de La Ciotat.

Tas de gravats

Le sort des peuples de voyageurs dans la Mecque des Gitans n’y est pas meilleur. À l’entrée du village, l’aire de stationnement des Arnelles, “est le terrain d’accueil des gens du voyage”, confirme la mairie. Un terrain sans sanitaire ni électricité pour 15 euros par jour avec une présence limitée à 48h. Pendant le pèlerinage, l’électricité et des toilettes ont été branchés. Mais depuis l’an dernier, des tas de gravats ont aussi été déposés là, par la mairie des Saintes ayant pour effet de réduire l’espace disponible pour accueillir des caravanes.

L’aire de stationnement des Arnelles jouxte ce qui semble servir de décharge à gravats de la municipalité. (Photo : EB)

On le vit mal, il nous faut des places propres, on n’est pas des chiens.

Jérôme et Josiane

Sur le terrain, venus de Clermont, Jérôme et Josiane, de la famille Horn et Martin, sont sûrs des intentions de la mairie : “Ils ont fait ça pour barrer des places”. L’an passé, la famille était installée sur le parking du centre de thalassothérapie. “C’était nickel”, commente Jérôme. Mais cette année, la mairie en a entravé les accès avec des grandes bennes. “On le vit mal, il nous faut des places propres, on n’est pas des chiens”. Même chose pour le bord de mer. Depuis l’an dernier, un secteur sur les deux disponibles a été interdit aux caravanes. “Il y a de moins en moins de places pour accueillir les caravanes”, dénonce Esmeralda Romanez, habitant en roulotte dans un mas de la commune des Saintes et présidente de la Fédération des femmes Romani et voyageuses. “Il faut chaque année se battre pour qu’ils ne suppriment pas des espaces”. Cette année le parking du bord de mer a été sauvé des bennes empêchant le passage des caravanes. Côté mairie, on met en avant “la création du parking des Salicornes en 2022 avec une capacité de 50 caravanes”, des places équipées d’eau et d’électricité gratuite durant le pèlerinage.

Pèlerinage du 25 mai 1936. Les Bohémiens portant la barque et les gardians entrant dans l’eau. Credit : Mucem / Barral, E.

Mythologie camarguaise
Les réticences à accueillir les voyageurs aux Saintes-Maries-de-la-Mer n’est pas nouvelle. Selon la documentation de l’Association des filles et fils des internés du camps de Saliers, entre 1895 et 1898, la préfecture des Bouches-du-Rhône interdit le pèlerinage de Sara. Ensuite, c’est l’Église qui demande aux Gitans de passer par une porte dérobée pour accéder à la crypte de Sara et ne pas se mélanger aux autres croyants. Au cours de la première partie du XXe siècle, le pèlerinage des Gitans s’est officialisé. C’est au marquis de Baroncelli que l’on doit l’acceptation des Gitans dans l’histoire des Saintes-Maries et leur entière place dans la mythologie camarguaise. Le poète et éleveur de taureaux, disciple de Frédéric Mistral, est venu d’Avignon s’installer aux Saintes pour toucher à l’idéal d’une vie en harmonie avec la nature et la culture provençale. C’est lui qui a inventé le costume de gardian, codifié la course camarguaise et, en 1935, convaincu l’archevêque d’Aix et Arles d’autoriser de reconnaître le culte de Sara. Depuis cette date, la statue de Sara la noire sort tous les 24 mai de son église pour une bénédiction purificatrice dans la mer Méditerranée, face à la Palestine, lieu de sa provenance selon la mythologie.

“Les Gitans font partie de la culture camarguaise, c’est à nous de continuer cette histoire”, explique Berenger Aubanel, l’arrière-petit-fils du marquis Folco de Baroncelli, qui continue d’œuvrer en ce sens “mon arrière-grand-père avait fait le lien, nous, on continue.” Le jour du pèlerinage, ses amis et lui, de la Nacioun gardiano, gardians et protecteurs de la culture camarguaise, accompagnent à chevaux les gitans qui portent la sainte Sara sur leurs épaules.

Le pèlerinage des gitans autour de sainte Sara rassemble entre 30 000 et 40 000 personnes chaque 24 mai. (Photo : EB)

L’année prochaine, les Gitans pourront-ils installer leurs étals sur la place éponyme sans devoir rentrer en conflit avec la mairie ? À cette question, la maire saintoise n’a pas voulu répondre : “Déjà, que ça se passe bien cette année et on verra pour la suivante !”

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Commentaires

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  1. Jean Pierre RAMONDOU Jean Pierre RAMONDOU

    Je vous cite : “Un nouvel épisode dans la série multi-centenaire des oppositions entre les autorités civiles et les voyageurs lors du pèlerinage.”
    Le pèlerinage dans sa forme actuelle date au plus de lab fin du XIXe siécle.

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    • la Rédaction la Rédaction

      Le pèlerinage, avant sa forme actuelle, se pratiquait sans qu’il soit reconnu par l’église. Et déjá des conflits avec les autorités civiles comme à la fin du XIXe siècle avec son interdiction. Voir la documentation du mémorial des internés du camp de Saliers.

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    • ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

      il date même de 1935 sur l’initiative du marquis de Baroncelli.
      Mais les premiers pèlerinages gitans datent du XVe ouXVIe siècle, soit l’arrivée des gitans en Provence.

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  2. Eloguide Eloguide

    Comme cité dans l’article, je vous recommande chaudement l’expo Barvalo au Mucem, qui explique bien tous les enjeux autour de cette plus importante minorité d’Europe. Un vrai éclairage!

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    • jo147 jo147

      Je confirme. Très belle expo, très instructive.

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  3. MarsKaa MarsKaa

    C’est quand même incroyable que ce qui fait l’identité même des Saintes Marie de la Mer, et sa réputation dans le monde, soit à ce point méprisé, et objet de contrôles et limitations vexatoires (les gravas, les blocs, les bennes…).
    La mairie (quelle couleur politique ?) ne veut pas des gitans aux Saintes ?! (Leur marché dérange qui ? Le pèlerinage, une fois par an, dure combien de jours ??).
    Sauf s’ils répondent à la demande de folklore !?! Vision colonialiste, et inculture crasse. (Je devine une mairie couleur vassal…).

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    • ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

      Vous devinez bien. Christelle Aillet a été élue après le décès du maire qui ne faisait que inaugurer son 5e mandat. Roland Chassain (dont la liste a gagné d’un cheveu les élections au 2nd tour, alors qu’en 2014 dès le 1er tour l’affaire été pliée) a toujours appelé de tous ses voeux une “union de toutes les droites”.
      Quant au grand amour de Vassal pour les gitans, cet article de Marsactu datant de 2019 est édifiant. Les boumians c’est joli en santon dans la crèche, mais pas plus. https://marsactu.fr/au-museon-arlaten-tensions-feutrees-autour-de-la-culture-gitane/

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