[Aux portes du Mucem] Le mirage d’un musée où se mêlent tous les publics

Série
le 8 Août 2023
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D'une passerelle à l'autre, du fort Saint-Jean à l'esplanade du J4, les gens déambulent, profitent de la vue, mais peu finissent par pousser les portes des expositions. Pour les 10 ans du Mucem, Marsactu explore ses multiples usages. Deuxième épisode de notre série : le lieu affiche sa volonté d’inclusion, mais du chemin reste encore à parcourir.

Les coursives du musée. (Photo : Floriane Chambert)
Les coursives du musée. (Photo : Floriane Chambert)

Les coursives du musée. (Photo : Floriane Chambert)

Pourquoi ne pas passer son dimanche après-midi au Mucem ? Au-delà du magnifique soleil d’été qui donne plutôt envie d’aller se baigner, les clichés sur un musée “élitiste” qui ne serait “pas pour nous” persistent. Parfois à raison. Tandis que les Marseillais ont accès à un musée national, peu s’y rendent. Sur son site internet, le musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée se décrit comme “un lieu d’échange autour des enjeux méditerranéens” et nourrit depuis son origine – il a été inauguré en 2013 – l’ambition “de s’adresser à tous les publics, y compris les plus éloignés des pratiques culturelles”. Cette volonté d’inclusion, dans l’accueil des publics comme dans l’élaboration de sa programmation, se transforme en équation difficile à résoudre. La direction du musée dit déployer tous les efforts pour favoriser l’accès à tous, mais les résultats sont contrastés.

Comme Marsactu le raconte dans le premier épisode de cette série, le Mucem est un espace double, où tout le monde ne pousse pas les portes des expositions. Les chiffres du rapport d’activité 2022 du Mucem sont positifs. Sur les 1,2 million de visiteurs annuels, seulement un tiers s’est rendu aux expositions. Selon le portrait dressé par le rapport, 38% des visiteurs résideraient dans le département des Bouches-du-Rhône avec un âge moyen de 42 ans.  Les Marseillais représentent quant à eux 29 % de l’ensemble du public. La représentation des quartiers reste stable : 53 % habitent le centre-ville, 27 % les quartiers Sud, 9 % les quartiers Est et 11 % les quartiers Nord.

Reste que ces chiffres mêlent les deux populations : celle qui ne fait que se promener et celle qui entre véritablement voir les expos. D’autant que, si le Mucem considère que les espaces intérieurs et extérieurs forment un tout, les usagers semblent au contraire faire une réelle distinction. Interrogé sur ce point, le Mucem assure “que le profil des visiteurs d’expositions et celui des promeneurs n’est pas tellement différent”, mais aucun moyen pour nous de le vérifier.

Labels et récompenses

Consciente qu’il n’est pas dans les habitudes de tout le monde de se rendre au musée, la direction du Mucem a créé l’initiative “Destination Mucem”. Le principe est d’affréter un bus pour emmener les habitants des quartiers populaires du nord, de l’est et du sud de Marseille au Mucem un dimanche sur quatre. La navette est gratuite et permet de “lever le frein à la mobilité et le frein économique” que peuvent rencontrer les Marseillais, explique Manuela Joguet, chargée des publics du champ social et du handicap au Mucem. La démarche est vantée par le musée à travers une abondante communication. Elle est saluée et permet au musée de remporter le premier prix de la fondation Art Explora en 2020. Et une enveloppe de 80 000 euros.

En 2022, 959 personnes ont voyagé à bords du bus de “Destination Mucem et déjà 974 en 2023. Marsactu a donc tenté de réserver une place pour le bus le dimanche 23 juillet dernier. Pas de chance, on nous répond que le bus est déjà plein. De personnes qui se rendent au Mucem ? “Non, on va faire du voilier à l’Estaque”, assure notre interlocuteur. Ce jour-là le bus était réservé par “des partenaires sociaux”, précise Manuela Joguet tout en assurant qu’ils sont bien allés au Mucem après l’excursion en bateau.

Rémi*, lui, s’est déjà rendu au Mucem. Il y a d’ailleurs travaillé récemment. L’expérience de cette “première et certainement dernière” collaboration, lui a laissé un goût amer. Il souhaite garder l’anonymat parce qu’on “ne peut pas se fâcher avec le Mucem”, dit-il. Cet animateur accompagnait des jeunes issus de quartiers défavorisés, pour un projet autour des discriminations. Il raconte les longues semaines d’attente, sans réponse de l’institution, qui ont mis sa patience à rude épreuve. “Les questions budgétaires étaient très compliquées. Et on m’a demandé de baisser mon devis de 1000 euros, sur 6000. C’est du mépris. Pas envers moi personnellement, mais envers tout ce qui est plus petit qu’eux”, s’agace Rémi.

Je pense qu’ils ne cherchent pas à être plus inclusifs, mais qu’ils tentent de produire des chiffres qui vont montrer qu’ils le sont.

Un intervenant social

Quand vient le sujet de l’inclusion, l’intermittent lève un sourcil et ricane : “Je pense qu’ils ne cherchent pas à être plus inclusifs, mais qu’ils tentent de produire des chiffres qui vont montrer qu’ils le sont. Ils se servent aussi beaucoup des réseaux des gens qui sont sur le terrain, mais sans vraiment inclure les jeunes. Quand je parle avec d’autres personnes, ils me disent que ça se passe tout le temps comme ça. Les gens sont en colère contre le Mucem.”

Toujours dans une perspective inclusive, le bâtiment est adapté à l’accueil des personnes à mobilité réduite. “Le Mucem a formé, dès l’origine du projet, un comité qui rassemble des associations marseillaises représentatives du handicap”, si l’on en croit le site internet du Mucem. Des aménagements pour les personnes sourdes, malentendantes ou porteuses d’un handicap mental, ont été imaginés en s’appuyant “sur un comité qui rassemble des associations marseillaises représentatives du handicap”. Ce qui permet au Mucem d’être lauréat du trophée du tourisme accessible 2020 dans la catégorie “visites”.

En outre, le musée promet d’organiser, à la rentrée scolaire prochaine, un “conseil des publics”. Soit la promesse d’une consultation trimestrielle réunissant différents acteurs du musée incluant notamment l’association des Amis du Mucem. Odile Billoret-Bourdy, présidente de la structure, se félicite de cette initiative : “L’inclusion a toujours été un objectif pour le Mucem, d’autant plus avec le nouveau directeur Pierre-Olivier Costa. Ce conseil de public montre que nous faisons preuve d’innovation en la matière”. Cependant, personne ne sait encore tout à fait ce qu’il se passera lors de ces réunions. Le musée explique vouloir y traiter de questions générales”. L’ordre du jour reste donc encore flou pour les participants.

De l’extérieur à l’intérieur

Cet été, un atelier pour les enfants est mis en place en lien avec l’exposition Fashion Folklore, au deuxième étage du bel édifice imaginé par Rudy Ricciotti. Dès six ans, les enfants peuvent venir y faire des coloriages à partir de costumes traditionnels. Une manière pour les plus jeunes – qui sont les visiteurs de demain – d’y trouver facilement leur place. Mais au-delà de l’accueil même du public, la démarche d’inclusion doit se poursuivre jusque dans l’élaboration des expositions.

Caroline Godard, responsable du centre de ressources de l’association Rencontres Tsiganes a, elle, travaillé avec le Mucem à la réalisation de l’actuelle exposition Barvalo, consacrée à l’histoire et à la diversité des populations romani d’Europe. “C’est la première fois que les populations concernées [ici, les peuples roms, ndlr] sont autant impliquées dans tout le processus de réalisation de l’exposition. Le comité d’experts était composé à moitié de personnes romanis pour qu’on ait des regards croisés”, se réjouit Caroline Godard. Elle reconnaît que la plupart des visiteurs forment un public déjà habitué à aller au musée, mais les visites organisées par des partenaires sociaux l’ont beaucoup marquée aussi. “Nous avons accueilli des enfants en situation de grande précarité et ils étaient tous ravis. Une jeune fille a dit qu’elle voudrait revenir avec sa classe parce qu’elle serait fière de la leur montrer”, se souvient-elle.

Mais, parfois, même quand on passe le seuil du Mucem, il arrive que l’on se retrouve à la porte. Comme en témoigne Mathilde, ancienne étudiante à l’école des Beaux-Arts et habituée des musées. Alors qu’elle observait une exposition le 24 juillet dernier, une femme de la sécurité a demandé qu’elle et son amie soient raccompagnées à la sortie. Mathilde portait une mini-jupe et un haut transparent, considérés comme incorrects aux yeux de l’agent. Elle s’indigne : “C‘est honteux d’être stigmatisée devant tout le monde”. Interrogée sur ce cas, la direction du Mucem plaide “l’erreur de jugement de la part d’un [de ses] agents”. Preuve que même pour un public averti, un musée est un lieu qui peut s’avérer excluant.

 

Cet article vous est offert par Marsactu
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Les coulisses de Marsactu
Cette série aurait pu s'appeler "à la porte du Mucem". Pour marquer les 10 ans du lieu, Marsactu avait imaginé une série d’articles. Hélas, la direction du musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée n’a pas souhaité communiquer pour l’instant. Pas grave, on a l'habitude. En guise de plan B, la rédaction a décidé de tourner autour du cube pour explorer les à-côtés d’un des fleurons de la culture à Marseille. Mais la demande d'interview du président tient toujours...
Nina Cardon

Commentaires

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  1. FM84 FM84

    Un vrai travail de journaliste qui montre une autre réalité du Mucem. Félicitations.

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  2. Bernard LAMIZET Bernard LAMIZET

    Merci pour cet article qui n’oublie pas une dimension critique du regard sur les lieux importants de Marseille.
    Rappelons aussi, tout de même, que P.-O. Costa, nommé président du MuCEM en 2022 qui a, par ailleurs, toujours travaillé dans les musées,, fut le chef de cabinet d’E. Macron quand il était président de “En marche” et directeur du cabinet de B. Macron à l’Elysée…

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  3. Christine DE LA CELLE Christine DE LA CELLE

    Leq thèmes d expos sont “tordues”, le thème majeur est la méditerranée c est pas compliqué, ils n ont que l embarras du choix : histoire, géographie, pays et cultures ! Franchement le comité qui décide des thèmes est loin du compte…..

    Les scénographies des expos sont deroutantes surtout dans les expos au 2eme etage.

    La signalétique des 4 espaces d expos n est pas suffisamment explicite au rdc.

    Enfin pour les chiffres ds réelles entrées dans les salles d expo c est pas compliqué les gardiens clique a chaque personne. Ils ont donc les chiffres mais ne veulent pas les donner. CQFD

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    • MalMass MalMass

      Le nombre de visiteurs par exposition est public. Il figure dans les rapports d’activité disponibles sur internet. Donc l’affirmation “ils ne veulent pas les donner” tombe à l’eau.
      Je partage en revanche le fait que le champ des possibles foisonne (et ne se limite heureusement pas à des expo de peintres comme un autre commentaire le suggère) et que les titres ne sont pas toujours très clairs.
      La nuance est toujours plus constructive et honnête que les analyses à sens unique (remarque qui vaut aussi pour l’article).
      Mais c’est l’esprit du temps. Privilégier les analyses binaires au détriment de la compréhension des complexités du réel.

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  4. Fabienne Fabienne

    Dommage que les expos n’etait jamais a la heuteur, en tout cas a l’epoque que je me suis rendu. Apres quelques visites d’expos nulle je n’ai plus jamais essaye de pousser les portes du Mucem. Il y a le musee Regards de Provence de l’autre cote de la rue qui a toujours d’excellentes expos. Puis la derive totale – j’ai vu que le Mucem a recemment installe des locations de bateaux a moteurs derriere le batiment (avec des magnifiques algecos!) pour empecher les gens de se baigner…

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    • MarsKaa MarsKaa

      Certaines expos étaient fort interressantes ces dernières années, je pense notamment à celle sur Abdelkader, ou actuellement celle sur les populations roms.
      Pour moi aussi seule une expo sur 4 est au niveau d’un musée de ce type, et accessible à tout public sans necessiter de guide.
      Reste le problème de l’information des habitants de Marseille (autrement que par le mailing), de la signalétique et l’accueil sur place, et … des pratiques culturelles (un problème bien plus large).

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  5. Alceste. Alceste.

    Hors mis le fait que je n’ai pas du tout envie de me faire “inclusifier” au Mucem , c’est la tendance actuelle, il est vrai que la programmation estivale de l’établissement en question n’a pas de quoi déchaîner les foules et accessoirement les touristes et estivants.
    Barcelone : Picasso , Gênes: Man Ray. Oui peut être raccoleurs comme Aix en Provence régulièrement avec Cézanne, mais au moins les gens viennent aux musées, non pas pour se faire “inclusifier” mais découvrir.

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    • MarsKaa MarsKaa

      Qui à Barcelone va voir une expo Picasso (pareil pour vos autres exemples) ? “Les gens” viennent au musée dites vous ? Demandez aux habitants de Barcelone.
      (Ou d’Aix ou de Gênes…)

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      Petit rappel: Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Ce n’est effectivement pas dans ce musée que seront exposés Picasso, Man Ray, les peintres napolitains et ceux qui ont posé leur regard sur la Provence. L’apparition des “Arts Ménagers” en 1923 est un fait de (notre) société et a toute sa place au Mucem.

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  6. bernardi bernardi

    Il ne suffit pas de se vouloir, et réussir

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  7. Andre Andre

    “Un lieu d’échange autour des enjeux méditerranéens” . Bigre! vaste programme!
    Si vaste qu’on ne peut que constater la vacuité du lieu.
    Difficile de suivre une ligne culturelle dans un champ aussi étendu.
    D’où sans doute une expo permanente hétéroclite ( je ne sais s’ils ont gardé la même), entre maquette de Jerusalem et vieux panier tressé des Hautes Alpes.
    D’où sans doute des expos temporaires absconses.
    Quant à “la volonté d’inclusion de la direction”, ça me fait marrer et me fait penser à une pub de McDo. “Venez comme vous êtes, surtout ne changez rien” . Mais une rencontre entre un public et un lieu de culture demande des démarches conjointes. D’un côté la volonté de s’ouvrir à un certain savoir (ça commence par acheter un ticket de bus pour y aller), de l’autre une offre culturelle qui reste un minimum compréhensible. On en est loin….

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  8. Alceste. Alceste.

    Le champ des possible foisonne au profit de la compréhension des complexités du réel, et je rajoute ,dans un espace inclusif acceuillant une exposition ayant pour objet et sujet les arts ménagers.
    Je commence à comprendre,après tout ceci,le succès mitigé des expositions du Mucem. Le Conservateur se fait sûrement plaisir ,mais nous,sûrement pas.
    Allez Zou, je monte à Aix voir les peintres Napolitains,l’intellectualisation du grille pain me laisse un peu froid.Question d’éducation sans doute,ou bien une allergie à la création de ces nouveaux marchés de l’art.

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    • Andre Andre

      A Barcelone, le musée du design présente, entre autres choses. des grille-pain et des cafetières des années 60 et c’est très intéressant. Et puis, c’est tout simplement un musée du design et non pas un musée sur la “complexité du réel” et des ” enjeux méditerranéens”. Il faudrait d’ailleurs qu’on m’explique le rapport direct avec les arts menagers 🤔.
      C’est exposé, à Barcelone, avec simplicité, didactisme et bon sens, à la portée de tous, par des Epagnols, des Catalans, qui se font certainement moins de noeuds au cerveau que ces intellos parisiens du ministère de la culture….
      On retrouve cette opposition sur beaucoup de sujets.

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  9. Lefortier Lefortier

    Pour ma part je trouve que le RDC du Mucem, donc l’acceuil est une “bouche sombre” et donc peu acceuillante et les tableaux d’orientation mal éclairés. Il faut vraiment avoir envie de voir une expo ou d’aller au sous-sol..donc pas très convivial..
    Je préfère arriver par le haut…

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  10. MarsKaa MarsKaa

    Ce qui me fait reagir, c’est l’argent reçu par le Mucem, et les prix ou distinctions, pour des actions affichées mais non réalisées.
    Le coup du bus qui amène des gens à la voile à l’Estaque alors qu’il y a eu des subventions pour qu’il amène des gens au Musée est sidérant !
    Le Mucem ne veut pas dire que ce bus ne remplit pas ses objectifs ? Pour continuer d’afficher sa politique d’inclusion ? Pour ne pas perdre ses subventions ?

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  11. Patafanari Patafanari

    Un de ces musée de la fin d’un monde où l’oligarchie politico-culturelle veut inclure le bas peuple dans son snobisme mortifère parce que ça l’fait, quoi!

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  12. Oreo Oreo

    Bien dit en quelques mots. J’aurais simplement mis “feint ” d’inclure le bas peuple. Ils en ont en fait rien à faire 😀

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  13. Nath Nath

    Ce serait bien que ” en tournant autour du Mucem” que Marsactu s’intéresse au problème de la rémunération et des conditions de travail des médiateurs, des guides conférenciers travaillant au Mucem, merci

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