Aux portes des calanques, grand projet et petits arrangements avec l’urbanisme

Enquête
le 22 Oct 2020
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À l'Escalette, juste avant les Goudes, un lieu attire les convoitises d'entrepreneurs. Après un projet de "bar musical", stoppé par le parc national en 2014, c'est un restaurant qui pourrait s'installer au Belvédère. Mais là encore, les services de l'urbanisme estiment avoir été contournés.

Le Belvédère sur la route des Goudes. (Image VA)
Le Belvédère sur la route des Goudes. (Image VA)

Le Belvédère sur la route des Goudes. (Image VA)

L’endroit est idyllique. En bordure de la route des Goudes, le terrain dit du “Belvédère” comprend plus de 15 000 m² de parcelle et une vue imprenable sur le large. Jusqu’en 1988, on y venait manger une pizza. Dans l’un des trois blockhaus qui dominent le lieu, un restaurant avait été construit, hors de tout cadre légal, racontent les anciens de ce coin de paradis. Depuis, les portes du Belvédère sont cadenassées… “Plus pour longtemps”, souffle-t-on dans les petits cabanons de l’Escalette. Cet été, les habitants de ce petit hameau qui précède le village des Goudes, ont pu voir de l’agitation sur la parcelle en question. “Des tractopelles et des camions” ont été aperçus, jure-t-on. Un certain Max Ohayon s’apprête à racheter le lieu glisse un voisin. Et il envisage de redonner au Belvédère sa vocation d’antan, la restauration.

“Il suffit de trouver les bons acteurs pour en faire un projet économiquement viable”,  affirme fièrement ce spécialiste de l’événementiel. L’entrepreneur met ainsi en avant une collaboration avec le célèbre chef doublement étoilé – et marseillais – Michel Portos. “J’ai discuté avec lui et des amis, nous avons cherché un moyen de le faire revenir à Marseille. Pour cela, il fallait un lieu exceptionnel”, poursuit Max Ohayon. Après avoir parcouru la ville, il découvre le Belvédère, raconte-il, et tombe sous le charme. Cela tombe bien, Jean Levakis, son propriétaire, veut vendre. Après plusieurs mois de négociations, les deux hommes trouvent un accord sur les conditions d’achat. Max Ohayon aurait déjà choisi la couleur des serviettes et le matériau des chaises. Voilà pour la devanture.

Reprise de flambeau

“Ce monsieur est très créatif avec la loi”. Mathilde Chaboche, adjointe à l’urbanisme n’y va pas avec le dos de la cuillère : “Il tente toutes les voies et les moyens pour jouer à l’idiot.” Si l’élue fraîchement installée n’approuve pas la version citée plus haut, c’est parce qu’elle estime que les démarches entreprises par le futur acquéreur sortent largement des clous. De son côté, Max Ohayon nie en bloc : “Il y a des règles pour tout le monde et je les respecte”, démarre-t-il lors de l’entretien qu’il a accepté de donner à Marsactu. Mais si la trame de l’histoire que déroule le porteur de projet ressemble à un conte de fées à base de chef étoilé, les détails laissent, eux, entrevoir une autre réalité.

En 2014, Marsactu vous racontait déjà comment le dernier propriétaire du Belvédère avait tenté d’en faire un “bar musical”. Pour ce faire, ce dernier s’était entre autres associé à un proche de Gérald Campanella, régulièrement mis en cause dans des affaires de banditisme marseillais. Mais Jean Levakis avait alors fait face à une mobilisation des riverains et de certains élus, qui dénonçaient notamment des constructions illégales. Jean Levakis, qui est aussi promoteur, a tout au moins réalisé des travaux irréguliers. Il s’apprête donc à transmettre le flambeau.

Refus de transfert

Sur le portail qui empêche les curieux de jeter un œil, un affichage informe actuellement et depuis cet été d’un transfert de déclaration préalable (DP) de travaux. Plus précisément, il s’agit d’un transfert d’autorisation entre la société immobilière de monsieur Levakis, vers celle de monsieur Ohayon. Cette DP, qui date de 2008, vise à restaurer le blockhaus qui fût jadis un restaurant pour lui redonner son lustre d’antan. Mais outre la réfection des façades, qui peut tout à fait se réaliser dans le cadre d’une déclaration préalable de travaux, l’autorisation de 2008 comporte aussi la création de 12 places de parking, la plantation de pins d’Alep, un important apport de terre… Autant d’éléments qui dépassent largement le cadre d’une simple déclaration préalable de travaux. Sans compter les discordances entre la page de couverture et le contenu du document, qui signifie par exemple que le stationnement reste “inchangé”.

Sa demande est caduque, il tourne autour de quelque chose de virtuel et s’obstine dans cette logique.

Mathilde Chaboche, élue à l’urbanisme

Quoi qu’il en soit, cette DP, signée en 2008, ne peut être valable que si le propriétaire justifie d’une continuité des travaux. Qui se serait donc étalés sur 12 ans. Si Max Ohayon assure dans un premier temps que c’est bien le cas, il se ravise finalement devant notre insistance. “Le refus de transfert nous a été signifié ce matin”, finit-il par lâcher. Déposée en mai, soit au moment de la campagne du second tour des municipales, l’homme n’avait jusqu’alors reçu aucune réponse. Après un délai de deux mois sans réponse, cela équivalait à une validation.

“C’est une bonne idée si ça reste un restau”

“Le projet a dépassé les délais, à moins qu’on ne prouve une continuité des travaux. On nous a fourni trois factures de clous, ce n’est donc pas le cas, s’agace Mathilde Chaboche, écartant ainsi le loupé de l’absence de réponse dans les temps impartis. Il a ensuite demandé une attestation de conformité. Mais sa demande est caduque, il tourne autour de quelque chose de virtuel et s’obstine dans cette logique.” Quelque chose de “virtuel” auquel s’ajoute un changement de taille qu’il est difficile d’ignorer : en 2008, le parc national des Calanques n’existait pas. Et il revient à ce dernier de valider – ou non – toute activité nouvelle en son sein.

“Je suis allé voir tous les acteurs, les élus locaux, la mairie, le département, le Parc…”, défend Max Ohayon, dont l’entreprise avait l’habitude de travailler avec l’ancienne municipalité – il a notamment contribué à la logistique des vœux de Jean-Claude Gaudin en 2015 et ceux de la mairie des 11/12 en 2020. Il cite notamment Didier Réault, conseiller départemental LR et président du parc national des Calanques. Contacté par Marsactu, ce dernier ne se dit pas opposé à l’idée. “Si ça reste dans le cadre d’un restaurant, c’est acceptable. Il ne faut pas que ce soit une boîte de nuit, mais on ne peut pas juger sur ce qu’ont fait les gens avant”, pose-t-il. Dans sa tournée, Max Ohayon s’est également entretenu avec l’ancien maire LR des 6/8. “J’ai dit oui pourquoi pas, si l’on reste dans l’activité d’origine, confirme Yves Moraine sur la même lignée. Il risque de se heurter à des difficultés mais c’est une bonne idée si ça reste un restau, qu’on n’y fait pas la fête toute la nuit et qu’il n’y a pas beaucoup de couverts.”

Dossier en cours d’instruction

Des inquiétudes, partagées par les riverains du Belvédère, que Max Ohayon tient à écarter. “Je n’ai pas voulu prendre de licence 4 [qui permet de vendre de l’alcool fort sans forcément servir à manger, ndlr]. Je ne vais pas me lancer dans ce genre d’activité éphémère qui dure six mois avant de fermer. J’ai fait un investissement sur 20 ans !”, jure-t-il. Des promesses qui n’ont, pour le moment, pas convaincu : aucune autorisation officielle n’a encore été délivrée. “Le parc n’a pas encore donné son avis. Il ne suffit pas que quelqu’un debout dans un couloir dise oui”, recadre Mathilde Chaboche. Un dossier est en cours d’instruction. Et si la présidence du parc semble favorable, sa direction se dit elle “extrêmement vigilante”.

Durant l’été, les services du parc national auraient fait stopper des travaux sur place. “Nous avons arrêté parce que nous avions fini”, sourit de son côté Max Ohayon, qui assure n’avoir entrepris que des “travaux de nettoyage” du site. Depuis les cabanons voisins du Belvédère, on a pourtant vu une dalle de béton coulée et des places de parking prendre forme. Il reviendra aux services de la mairie de dire si tout cela est légal. Puis au parc de valider ou non l’activité nouvelle. Max Ohayon dit bénéficier d’une capacité d’accueil de 150 personnes. De quoi chambouler la tranquillité du petit port de l’Escalette, son terrain de boule et ses quelques maisonnettes.

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Commentaires

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  1. barbapapa barbapapa

    Il y a une constance avec ce Réault, c’est sa proximité avec avec des individus proches de la voyoucratie qui viennent faire du blé avec l’immense attrait du bord de mer – voir par ex son hallucinant projet de privatiser une plage du Prado lorsqu’il était adjoint à la ville de Marseille.

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  2. MarsKaa MarsKaa

    Quel bel exemple des arrangements locaux entre des élus et des entrepreneurs sans scrupules ! Qui pensaient haut et fort que la ville était à eux. Tout ce que l’on ne veut plus.

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  3. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Une capacité d’accueil de 150 personnes… et 12 places de parking ? Une ligne de tram est prévue pour desservir le lieu ?

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  4. jasmin jasmin

    Le parc des Calanques doit paraitre comme une anomalie aux yeux du business. Cette masse énorme sans construction humaine sur le haut des collines, une voie étroite et plus ou moins défoncée pour aller aux Goudes, tout ça à coté d’une énorme ville cabossée et sale gérée par la pègre. Il y a des relents de Naples. L’été, les habitants ne peuvent plus sortir de chez eux au fond du chemin, et les Marseillais ne peuvent pas aller chez eux. En gros ils sont tranquilles 4 mois par an. Même nous, on n’a pas envie d’y voir un resto de plus. On n’a même pas envie que le chemin soit élargi pour circuler tranquille. On n’a pas envie que ça change. Au moins on pourrait en profiter 4 mois par an.

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    • Magnaval Magnaval

      Qeul mépris pour Naples… ça relève de la généralaisation malveillante et quasi de la xénophobie. Et pour Marseille également “énorme ville cabossée et sale gérée par la pègre”. A ce stade, je ne peux que conseiller un séjour de repos au bord du lac de Zürich.

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    • ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

      Cher Magnaval, le souci avec le second degré est qu’il n’est pas toujours capté.

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  5. Manipulite Manipulite

    Créer l’irréversible en coulant du béton et en comptant sur les lourdeurs administratives et procédurales… Heureusement, il y a la presse libre pour alerter .

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  6. BRASILIA8 BRASILIA8

    il existait déjà une boite de nuit sur ce site il y a de nombreuse années
    elle avait été fermée car le terrain vers la mer est très instable , remblais sauvages recouverts de terre pour faire propre
    cette zone avait clairement identifiée sur la carte des zones à risques de Marseille

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  7. Alceste. Alceste.

    À quand une enquête réelle sur cette proximité entre élus de la gaudinie et la promotion immobilière ?.

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  8. nathdemars nathdemars

    Le passage à un urbanisme légal est un véritable défi pour cette nouvelle municipalité , les traditions” pots de vins” et “petits arrangements entre amis “semblent un mode de fonctionnement tout à fait en place…. Bon courage !

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  9. ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

    “dont l’entreprise avait l’habitude de travailler avec l’ancienne municipalité – il a notamment contribué à la logistique des vœux de Jean-Claude Gaudin en 2015 et ceux de la mairie des 11/12 en 2020.”
    En une phrase tout est dit

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    • Alceste. Alceste.

      Par logistique vous parlez des fausses procurations du 12 e arrondissement et de son maire muté à l’assemblée pour son imunite parlementaire ? 😎

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  10. PromeneurIndigné PromeneurIndigné

    Il est urgent de faire l’inventaire des armoires ,des tiroirs et des placards de la gaudinerie

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