Aux Goudes, des archéologues préservent l’épave centenaire du Liban

Reportage
le 8 Avr 2023
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Connue de tous les plongeurs locaux, l’épave du paquebot Le Liban repose à Marseille, depuis 120 ans, au sud de l’île Maïre. Archéologues sous-marins et plongeurs amateurs y mènent des opérations pour limiter les pillages et les ravages de la corrosion.

Photo : Teddy Seguin / Drassm
Photo : Teddy Seguin / Drassm

Photo : Teddy Seguin / Drassm

A la sortie de la rade de Marseille, passé Tiboulen – l’île Tortue – qui fait face aux Goudes, voici Maïre. Rocher blanc sur fonds bleus. D’un côté, le massif de Marseilleveyre. De l’autre le large, étincelant. Le cadre somptueux cadre mal avec la catastrophe survenue ici il y a 120 ans.

Le dimanche 7 juin 1903, peu avant midi, le navire Le Liban de la compagnie Fraissinet quitte le port de la Joliette à Marseille en direction de la Corse, sa destination habituelle. Le navire fait la navette entre l’île et le continent pour apporter du courrier et du matériel scolaire. A son bord, 220 personnes : 43 membres d’équipage et plus de 150 passagers. Après avoir passé le Cap Croisette, le commandant Lacotte qui tient la barre du Liban aperçoit L’insulaire, un autre paquebot de la compagnie Fraissinet qui se dirige en sens inverse, vers Marseille. Les deux bateaux se font face. Ordre est donné aux deux commandants de virer à droite afin que les deux navires se croisent sans encombre. Sauf que le capitaine Arnaud de L’insulaire redoute de toucher les récifs de l’île Maïre. Au dernier moment, il vire à gauche. Le Liban ne peut éviter la collision : L’insulaire le percute violemment sur le flanc gauche.

La Une du Petit Marseillais illustré le lendemain du naufrage.

Les dégâts sont considérables : la coque se fend et le navire prend l’eau rapidement. Panique à bord. Le commandant Lacotte tente une manœuvre désespérée : échouer le navire sur l’île pour permettre aux passagers de rejoindre la terre ferme. Hélas, sur ce versant de l’île, les falaises sont abruptes, impossibles à escalader. A une vingtaine de mètres des rochers, la poupe du navire se soulève. A l’avant, un seul canot de sauvetage est mis à l’eau. A l’arrière, les passagers se retrouvent pris au piège sous une bâche de toile installée sur le pont pour protéger les têtes du soleil. Le Liban vient de sombrer et la plupart de ses passagers viennent de se noyer.

Épave pillée

Combien de personnes trouvent la mort dans la catastrophe ? Difficile à dire. Après le naufrage, la compagnie parle de 50 personnes, la presse avance quant à elle le chiffre de 148 disparus. L’imprécision s’explique par le fait que l’enregistrement des passagers était encore en cours au moment du naufrage. L’insulaire, lui, poursuivra sa route jusqu’au port de la Joliette. Arnaud, son commandant sera finalement condamné quelques années plus tard pour ne pas avoir porté secours au Liban.

120 ans plus tard, des archéologues du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm), en collaboration avec trois laboratoires de recherche, une entreprise spécialisée* et des plongeurs locaux bénévoles s’attachent à retracer cette histoire et à en préserver les vestiges, dans le cadre du programme SOS Épaves. Car les restes de la coque métallique sont là, à quelques mètres de la rive sud de Maïre, entre 28 et 36 mètres de profondeur. Objectifs de la mission : faire connaître l’histoire, retrouver la trace des objets éparpillés au fil des ans, sensibiliser à la fragilité de l’épave et la préserver.

Dès la démocratisation de la plongée dans les années 60, tous les plongeurs venaient ici.

Sandra Greck, archéologue

Ce vendredi 31 mars, ils sont 4 à plonger : Lila, Sandra, Jean et Teddy. “Cette épave est tellement accessible qu’il était facile de récupérer des vestiges. Dès la démocratisation de la plongée dans les années 60, tous les plongeurs venaient ici”, retrace Sandra Greck, archéologue sous-marine, en enfilant sa combinaison de plongée. “Des hublots, des livres scolaires, des encriers : on a même retrouvé des pages de manuel scolaire quasi intactes chez des plongeurs amateurs de la région”, ajoute-t-elle.

Créer du lien avec les plongeurs amateurs

Jusque dans les années 90, tous les objets trouvés en mer appartenaient à ceux qui les avaient remontés à la surface. La découverte d’une épave par un plongeur était même récompensée par une rétribution à hauteur d’un tiers du butin amassé. Signe de cette époque, l’ancre du Liban est retrouvée par les archéologues du Drassm… de l’autre côté de l’île, entre les Goudes et Maïre. Des plongeurs amateurs l’ont déplacée là, trouvant plus commode de la rapprocher de la côte.

Désormais, l’État considère ces trouvailles comme des biens culturels maritimes. Charge aux archéologues sous-marins de remettre la main dessus maintenant… “Pendant un temps, l’Etat perquisitionnait pour récupérer les objets. Aujourd’hui, on est dans une autre stratégie : on crée un lien de confiance avec les plongeurs et, à défaut de les récupérer, on inventorie les objets. Au moins, on sait où ils sont”, détaille Sandra Greck.

Au départ, les vieux briscards de la plongée nous regardaient de haut.

Lila Reboul, archéologue

C’est un projet scientifique collectif. L’idée est aussi d’impliquer les plongeurs locaux et ça a d’autant plus de sens à Marseille, berceau de la plongée sous-marine”, complète Lila Reboul, archéologue sous-marine chargée de la conservation préventive et de la gestion du mobilier pour le Drassm. Pendant des mois, avec Sandra Greck, elles organisent des conférences et des rencontres dans tous les clubs du coin. Même si l’accueil n’est pas toujours des plus chaleureux : “Au départ, les vieux briscards de la plongée nous regardaient de haut. Maintenant, la plupart comprend l’intérêt de mettre ces objets au musée”, assure-t-elle.

Patrimoine sous-marin

Jean fait partie de ces plongeurs amateurs venus donner un coup de main ce jour-là. Il se remet tout juste d’un tympan percé qui l’a immobilisé un bon mois. Cette fois, la plongée se passe bien, il remonte sans douleur. “C’est hyper enrichissant de participer à ce genre de missions. Et c’est vrai que dans nos formations, on a toujours été sensibilisé à la préservation des milieux naturels, beaucoup moins à celle des épaves”, concède-t-il.

La prise de conscience de l’intérêt de ces épaves est récente. “Avant les années 70, les épaves contemporaines n’avaient pas grande valeur, rien n’était prévu pour les préserver”, poursuit Lila Reboul. Et si l’épave a un intérêt historique, elle est aussi devenue un refuge pour la biodiversité : poissons et espèces marines y ont élu domicile depuis bien longtemps.

Pièges à corrosion

Alors, pour limiter sa dégradation, les scientifiques tentent d’en ralentir la corrosion. Pour ça, ils ont installé des anodes, des pièces de métal électropositif, afin qu’elles concentrent la corrosion sur elles, et non sur l’épave en elle-même. “C’est le même principe que celles utilisées pour protéger les hélices des bateaux”, traduit Marine Bayle, employée d’A-Corros, entreprise spécialisée associée aux opérations.

L’idée est aussi de faire comprendre aux décideurs qu’ils ont un patrimoine sous les eaux, qu’il est en danger et qu’ils peuvent le sauver”, Nathalie Huet, autre scientifique du Drassm mobilisée ce jour-là. Et d’ajouter : “On ne va pas sauver toutes les épaves mais on peut bien en sauver quelques-unes”.

*CEA-CNRS Saclay, l’IPREM de l’université de Pau et l’entreprise A-Corros.

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