Aux confins du travail : Aïcha, assistante sociale de rue

Portrait
le 21 Avr 2020
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Chaque semaine, Marsactu donne la parole à des Marseillais qui continuent d’aller sur leur lieu de travail. Forces de l’ordre, primeurs, soignants, instituteurs… Ce sont celles et ceux sur qui repose la continuité de notre quotidien. Quatrième portrait avec Aïcha Boutayeb, assistante sociale de rue.

Photo par Sandrine Lana
Photo par Sandrine Lana

Photo par Sandrine Lana

Aïcha Boutayeb sillonne Marseille depuis dix ans aux côtés de l’équipe du Mouvement et action pour le rétablissement social et sanitaire (MARSS), associé à l’AP-HM. Nous l’avons suivie en maraude auprès de sans domicile fixe ayant une fragilité psychique entre la porte d’Aix et la Timone, la troisième semaine du confinement. “En tant normal, j’accompagne à l’ouverture des droits sociaux et médicaux, des démarches administratives, je tente de faire accéder les personnes à un revenu, avoir une carte d’identité, un compte en banque, un hébergement…”

Ce qui ne devient pas forcément évident quand les administrations travaillent à guichet fermé, que la poste a fortement réduit ses horaires. “Ce qui change aujourd’hui ? C’est qu’on ne sait pas encore qui est ouvert ou fermé. Cela change tout le temps. On essaye de maintenir les droits des personnes, maintenir les prestations et trouver des abris en priorité. Ça commence malgré tout à se normaliser.”

Terrain et télétravail

En maraude, Aïcha est en binôme avec Élise Vallois, juriste. Elles sont ensemble une semaine sur trois dans la rue. Les deux femmes enchaînent ensuite deux semaines de télétravail pour s’assurer que s’il y a contamination au Covid-19, cela reste circonscrit au binôme sans contaminer les autres membres de l’équipe. “Quand on est dehors, on reste focalisées sur la rue et on peut compter sur notre base arrière, nos collègues qui se chargent d’appeler le 115, les médecins en cas de gravité somatique ou psychologiques.” Les deux semaines en télétravail sont moins évidentes pour Aïcha. “Je vis seule, loin de ma famille, de mes proches… heureusement, on se soutient entre voisines.”

Dans la voiture floquée Assistance publique – hôpitaux de Marseille, Aïcha ôte son masque chirurgical qu’elle remet à chaque contact dans la rue. “On a réussi à récupéré pas mal de masques grâce à différentes structures et à l’AP-HM. Mais avec notre public, c’est difficile de maintenir un mètre de sécurité et les gestes barrières mais on essaye d’y penser tout le temps. La maraude est parfois leur seul contact de la journée dans les rues à présent désertes de Marseille.”

En moyenne, Aïcha croise entre sept et dix personnes par jour. Les femmes et hommes que nous rencontrons sont en manque de sociabilité, de contact créés dans les rues habituellement bondées du centre-ville, lors de la manche notamment. “On voit des gens très attristés par la situation et encore plus isolés qu’auparavant. On fait attention à leur rendre visite, de s’assurer que tout va bien pour eux. On les voit au moins une fois par jour.”

La réponse institutionnelle au Covid-19 a permis un hébergement des plus fragiles en hôtel, mais qui n’est pas encore suffisant. Les visites en hôtel rassurent la travailleuse sociale. “C’est un répit temporaire qui leur est apporté même s’il faut s’assurer que la peur et les quatre murs soudainement retrouvés n’engendrent pas une autre angoisse que celle de la rue.”

“La police contrôle parfois les personnes à la rue”

À la Belle-de-Mai, le binôme a rendez-vous avec Ahmed, hébergé depuis le 17 mars dans un appart’hôtel que le gérant a accepté d’ouvrir aux sans-abris, à l’appel de l’équipe MARSS. Aïcha s’assure qu’il ait tout ce qu’il lui faut. Elle lui remet une pile d’attestations de sortie vierges, lui montre quelle case cocher pour aller chercher son courrier au centre communal d’action sociale, sortir se dégourdir les jambes… “La police contrôle parfois les personnes à la rue. On essaye de répertorier chaque cas pour faire annuler les verbalisations.”

En avalant rapidement un sandwich boulevard National, debout à côté d’un arrêt du bus 31 bondé, la conversation roule sur “le ressenti du confinement, une question de classe sociale…” Mais pas le temps pour des débats sociologiques. C’est reparti. Une gorgée de soda, gel hydroalcoolique, poubelle, clé de voiture, masque.

L’homme est introuvable

Direction le quartier de la Timone où un homme a été signalé par le 15. Une fois la voiture garée – plus de problème de stationnement – le binôme sillonne le quartier, à la recherche de l’individu. “Les personnes qu’on suit ont besoin de marcher toute la journée… En cette période, je suis un peu plus inquiète que d’habitude. J’essaye d’appeler ceux que je connais un peu plus pour savoir si ça va moralement, si elles tiennent le coup.” L’homme est introuvable, on apprend qu’il a été gazé par un voisin excédé par sa présence, ses cris, ses excréments aussi et des agissements violents contre des femmes du quartier. “C’est dommage, on arrive trop tard. On va malgré tout refaire le tour du quartier à pied”. Ça excède un peu Aïcha qui garde son calme.

L’assistante sociale scrute les rues calmes, l’arrière des voitures… Elle interpelle un homme muni d’un gros sac à dos posé sur un banc public qui pourrait correspondre à la description du 15. Ce n’est pas lui. “French, english ?”, demande Aïcha au grand homme aux yeux bleu du ciel. “Polish, deutsch”, répond-il… Ce n’est pas lui.

La journée se termine vers 18 heures, un peu plus tard que d’habitude. Aïcha et Élise n’ont pas pu voir tout le monde. “On repassera demain”.

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Sandrine Lana
Journaliste indépendante qui a quitté l'hyper-centre de Marseille pour l'hyper-vert de la Provence. Je travaille sur les thématiques médico-sociales, sociétales et migratoires pour la presse française et belge. J'associe parfois mon travail à celui d'illustrateurs pour des récits graphiques documentaires.

Commentaires

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  1. Jean Peuplus Jean Peuplus

    Bravo Aïcha, merci de votre générosité et votre dévouement pour les oubliés de la République.

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