Au tribunal, une fonctionnaire municipale dans la spirale de la corruption ordinaire
Durant plus d'une semaine, le tribunal correctionnel de Marseille a jugé Rosina Livolsi ainsi que 13 intermédiaires pour une "escroquerie en bande organisée", fondée sur la promesse d'obtenir un logement social contre rémunération. Récit d'un "système" qui a sévi pendant plusieurs années à la mairie des 2/3.
La salle d'audience de la caserne du Muy, à Marseille. (Photo : CMB)
Rosina Livolsi, 52 ans, fonctionnaire titulaire depuis 1998, n’a jamais passé un jour en prison. Mais lors de son procès, le ministère public a requis pas moins de cinq ans ferme à son encontre. Une première, dans une affaire de corruption de ce niveau. L’employée de la mairie des 2e et 3e arrondissements a été entendue par la 6e chambre bis du tribunal correctionnel de Marseille, entre le 19 et le 27 février, pour des faits de corruption passive, trafic d’influence passif, escroquerie en bande organisée, faux et contrefaçon de chèques entre 2016 et 2019. L’escroquerie en question : faire miroiter à des familles précaires l’obtention d’un logement social en échange d’une somme d’argent. Certaines fois avec succès, d’autres non. Quarante candidats malheureux ont porté plainte.
Chevelure noire et vêtements noirs, Rosina Livolsi est contrainte de reconnaitre les faits, souvent en les minimisant. Son compagnon est dans le public, son fils et sa belle-fille sont sur le banc des prévenus à ses côtés. En tout, 13 intermédiaires sont jugés. L’enquête commence en 2018 après plusieurs signalements, contraignant la direction des ressources humaines de la Ville a écrire à Michèle Azoulay, la directrice de cabinet de la mairie des 2/3 : “il m’a été rapporté que Rosina Livolsi a demandé 1000 euros contre un logement social”, lit-on. Dans la foulée, Michèle Azoulay et la maire de secteur (DVG) Lisette Narducci écrivent au procureur de la République.
Lorsque l’enquête administrative et l’enquête judiciaire s’enclenchent, Rosina Livolsi doit changer de poste. Elle perd alors la place qu’elle occupait au service logement de la mairie des 2/3. Mais pendant plusieurs mois, elle continuera à faire croire à ses “proies” qu’elle dispose toujours d’un pouvoir sur les affectations des logements sociaux. C’est à cette période qu’elle est placée sur écoute. Le tribunal lit des échanges SMS et des retranscriptions d’appels on ne peut plus explicites. Monsieur F, par exemple, aurait donné 600 euros à la prévenue contre la promesse d’un logement. Lors d’une écoute téléphonique, il s’emporte : “vous me faites tourner en bourrique depuis huit mois, rendez-moi mon argent ! (…) C’est de l’escroquerie. Je vais déposer une main courante !”
Une “pyramide de Ponzi de la corruption”
Rosina Livolsi n’a fait l’objet d’aucune expertise psychologique, et pourtant sa personnalité est souvent revenue dans les débats. Parce que ses échanges avec les intermédiaires étaient toujours d’une grande familiarité, parce qu’elle semble avoir la capacité de nouer puis de briser d’intenses amitiés avec eux. Parce qu’avant tout, elle est une femme, a connu la galère d’être jeune mère célibataire, puis a plongé dans un infernal engrenage de mensonges sur fond de surendettement.
En 2010, Rosina Livolsi doit 52 000 euros à la Banque de France. En 2014, 68 000 euros. Les magistrats décrivent un train de vie “fastueux”. Rosina Livolsi reconnait là sa faiblesse : “je voulais vivre bien. Quand j’étais seule avec mon fils par exemple, je faisais les courses à Monoprix alors que j’aurais dû aller à Lidl, vous voyez, ce genre de choses”. Combien a-t-elle empoché avec sa combine sur les logements sociaux ? L’enquête ne le dit pas, mais les magistrats établissent a minima un gain de 40 000 euros, pour une moyenne de 2 000 euros par dossier, sur base des témoignages des plaignants.
Je devais obtenir l’argent des gens pour rembourser ceux d’avant qui n’avaient pas eu leur logement. Comme quand vous prenez un nouveau crédit pour rembourser un ancien crédit.
Rosina Livolsi
Lorsque Rosina Livolsi quitte son poste, le “trafic d’influence” se mue en “escroquerie”. La prévenue le verbalise : “je vendais quelque chose que je ne pouvais plus assumer.” La cavalerie avait commencé. La “pyramide de Ponzi de la corruption”, dit le ministère public. “Je devais obtenir l’argent des gens pour rembourser ceux d’avant qui n’avaient pas eu leur logement. C’est exactement comme quand vous prenez un nouveau crédit pour rembourser un ancien crédit.”
À cette époque, la fonctionnaire multiplie les mensonges. En audition, un employé du bailleur Logirem explique que Rosina Livolsi se faisait passer pour une salariée du département en charge du logement auprès de lui. “Tous [les employés des bailleurs sociaux] disent que madame Livolsi était très familière et qu’elle leur proposait des déjeuners”, ajoute la présidente, Azanie Julien-Rama. La prévenue écrit aussi des faux courriers, ment aux victimes. Une des mises en cause, considérée à l’époque comme la “sœur de cœur” de Rosina Livolsi, était enregistrée dans le portable de cette dernière sous le nom de “Nelly Erilia”. Sauf que Nelly n’a jamais travaillé à Erilia.
“Ma cliente vous a expliqué que Rosina Livolsi lui avait demandé de se faire passer pour une employée d’Erilia, plaide son avocate. Elle était censée appeler et rassurer un monsieur très pressé, dont la femme allait accoucher, et qui avait payé”. Comme le résume cette même avocate, “dans les dossiers d’escroquerie, la particularité, c’est la place qu’occupe le mensonge. Et le rôle du tribunal, c’est de démêler les mensonges des uns et des autres”. Et la tâche n’est pas simple.
Cadeaux compensatoires
Autre intermédiaire. Madame B., une femme âgée et menue, mais avec beaucoup d’assurance, s’avance à la barre. Elle demande un siège. “Comédie !”, chuchote un homme dans le public. Le tribunal lit les textos échangés entre madame B. et Rosina Livolsi. “Rend les sous de ma fille !”, écrit la femme. Puis plus loin : “avec les sous, tu as pris des millions sur les logements, aussi sur les mariages blancs.” Rosina Livolsi a été condamnée en 2021 à un an de sursis pour escroquerie et aide au séjour irrégulier par l’organisation d’un mariage.
Zohra, 36 ans, employée à l’hôpital, parent d’élève déléguée dans une école du quartier, est une ancienne amie proche. Elle est aussi sur le banc des prévenus. “En 2016, je dépose une demande de logement social. Je fais ma demande comme tout le monde”. Jeune mère célibataire à la tête d’une famille nombreuse, elle l’obtient. “Il est question d’argent ?”, demande la présidente. “Non. Pas à ce moment. Non”, répond la prévenue. En garde à vue pourtant, Zohra avait expliqué que Michèle Azoulay lui avait sous-entendu la chose suivante, avant de l’orienter dans le bureau de Rosina Livolsi : “si tu veux un logement, pose 1500.” Mais c’était “sur le ton de la rigolade”, assure Zohra aujourd’hui. “Quand on est directrice de cabinet d’une mairie de secteur, c’est pas drôle”, estime une assesseure.
Rigolade ou pas, l’enquête ne s’est pas penchée sur ce point, plaçant Rosina Livolsi en “tête de réseau”, pour reprendre les mots du ministère public. Zohra le rappelle : “c’est surtout Rosina qui m’a aidée”. Mais comment ? “On a créé un lien amical, ça m’a tenu à cœur qu’elle s’occupe de mon dossier.” En échange, assure-t-elle, elle offre à sa “mère Térésa du 2e arrondissement” des cadeaux et de l’argent. “Elle me demandait des choses. Payer la cantine de son fils, réparer le tombeau fissuré de sa grand-mère, l’aider à remplir son frigo… Je me suis sentie redevable.” Une sorte de “compensation financière” qu’elle chiffre à 4000 ou 5000 euros. D’autres victimes ont évoqué des cadeaux et des flacons de parfum.
Je disais, “Rosina m’a aidée”. Oui, j’ai orienté des gens vers la mairie des 2/3.
Zohra, co-prévenue
Rosina Livolsi s’emporte : “comment elle aurait pu me prêter 5000 euros alors qu’elle était au RSA ?”. L’ambiance est glaciale entre les deux prévenues. Zohra poursuit : “à l’école, les parents me demandaient : comment tu as obtenu un logement ? Je disais, « Rosina m’a aidée ». Oui, j’ai orienté des gens vers la mairie des 2/3″. Puis le temps passe, l’enquête éclate et les conflits l’emportent. Zohra écrit alors ce texto à son ancienne amie : “c’est pas parce que t’as eu le pouvoir de donner des appartements par la grâce de Dieu que je t’ai aimée. (…) Les gens, c’est que des hypocrites.” Une juge assesseure demande à Zohra : “vous trouvez ça normal d’inviter au restaurant une employée de mairie ?”
Même intensité dans les messages que s’échangent Rosina Livolsi et Nourdine, éducateur du centre social de Félix-Pyat, connu dans tout le quartier. “Je reste ton fidèle complice pour tout ce que tu veux”, lui dit-il un jour. Lui aussi est jugé parmi les rabatteurs. Il nie les faits qui lui sont reprochés, et s’inquiète particulièrement que la presse puisse divulguer son nom. À l’encontre des intermédiaires, le procureur de la République Mathieu Vernaudon a requis jusqu’à deux ans de prison.
La “corruption du quotidien”
Concernant Rosina Livolsi, le procureur décrit sans détour une “menteuse”, coupable de “prédation”, qui “profite de la faiblesse sociale des demandeurs de logements”. Et si “madame Livolsi ment, elle dit tout à fait vrai lorsqu’elle affirme la chose suivante à la barre il y a quelques jours : « la seule qui sait tout de moi, c’est moi »“. Quant à son pouvoir, il était bien connu, jusque dans un bar de la rue du Rouet, dans le 8e arrondissement : “c’est là-bas qu’un demandeur de logement a entendu parler d’elle.”
Au-delà du cas Livolsi, le magistrat décrit un système. Celui fait de “piston, de passes-droits, de détournements à des fins politiques, de clientélisme massif.” C’est “la corruption du quotidien, celle qui porte le plus atteinte au lien social.” En plus des cinq ans de prison avec mandat de dépôt, le procureur requiert 50 000 euros d’amende. En défense, l’avocat François Defendini plaide pour une peine aménageable : “on peut envisager une détention à domicile, des soins psychologiques et une obligation de travailler. Voilà qui serait vraiment intéressant”.
Si j’avais pas été fonctionnaire, il n’y aurait pas eu le procès Livolsi.
Rosina Livolsi
La veille, l’avocat avait posé cette ultime question à sa cliente : “le tribunal doit juger les faits. Mais il doit s’appuyer sur la personnalité. Vous avez dit à l’audience que cela vous mettiez mal à l’aise d’en parler, mais c’est important. Alors, madame Livolsi, qui vous êtes ?”. Elle répond : “qui je suis ?”. Lui : “oui, qui vous êtes ?”. Réponse : “eh bien… C’était pas moi. Pendant ces deux ou trois années, c’était pas moi. D’ailleurs, je vois un psychiatre aujourd’hui. J’avais une telle pression à gérer, la maison, être une bonne maman avec mon fiston, tous ces gens à loger, tous ces gens à rembourser…”. Son avocat la relance : “qu’est-ce que vous en pensez aujourd’hui ?”. Rosina Livolsi répond : “c’est pas digne d’une fonctionnaire. c’est pas bien ce que j’ai fait”. Puis après une pause : “mais si j’avais pas été fonctionnaire, il n’y aurait pas eu le procès Livolsi”.
Au terme des débats, les différents prévenus se séparent en plusieurs groupes. La rancœur est palpable, la crainte de la peine aussi. Plusieurs risquent de perdre leur emploi dans la fonction publique, à commencer par Rosina Livolsi elle-même. En supplément, le procureur a requis une sanction toute particulière : inscription au casier et cinq ans d’inéligibilité pour tout le monde. Le jugement est attendu pour le 25 mars.
Commentaires
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Elle a juste oublié une choses élémentaire dans l’exercice de ses fonctions : les droits et devoirs des fonctionnaires dont la probité…
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“Plusieurs risquent de perdre leur emploi dans la fonction publique” : c’est la moindre des choses !
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Quid de azoulay, carrega et narducci? Non parce que le signalement date de 2018 mais les faits de 2016. Pourquoi cette dame n’a pas parlé ? Ça fait peur!
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Elle aurait dû faire de la politique. Elle avait toutes les qualités pour réussir dans ce métier.
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Ha ha ha!
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