Au Moulin de Mai, un projet de bibliothèque censé amener de la vie là où d’autres la perdent

Enquête
le 11 Oct 2024
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Le 3e arrondissement marseillais devrait accueillir sa première bibliothèque en 2026. Elle s'installera au 32 rue Loubon, à quelques pas du point de deal du Moulin de Mai, où un jeune homme est mort fin septembre. Les habitants espèrent pouvoir fréquenter l'équipement culturel en toute sécurité, quand la mairie mise en partie sur ce lieu pour apaiser le quartier.

La friche industrielle du 32 rue Loubon (3e arrondissement) va devenir une bibliothèque en 2026. Photo : CM
La friche industrielle du 32 rue Loubon (3e arrondissement) va devenir une bibliothèque en 2026. Photo : CM

La friche industrielle du 32 rue Loubon (3e arrondissement) va devenir une bibliothèque en 2026. Photo : CM

Au 32 rue Loubon, dans le 3e arrondissement de Marseille, l’ancienne friche taguée et abandonnée abritera une bibliothèque en 2026. Avec ses étagères de livres, mais aussi une salle de spectacle et des espaces dédiés au travail, le bâtiment est pensé comme un véritable “lieu de vie et de loisirs” pour les habitants du quartier, confiait à Marsactu Jean-Marc Coppola, adjoint à la Culture, le 18 septembre 2024. Leur vie, pourtant, certains la risquent à quelques mètres de ce futur équipement culturel, au niveau de l’impasse Delpech. Jour et nuit, des jeunes hommes d’à peine quinze ans, accoudés sur des poubelles, regards durs et poings serrés, surveillent l’entrée du Moulin de Mai, l’un des points de deal du quartier. Parfois, certains d’entre eux la perdent. Le 20 septembre dernier, un garçon de 17 ans mourait au fond de la rue d’une balle dans le thorax.

D’autres fusillades ont éclaté ces derniers jours non loin de là, avec pour même toile de fond les homicides liés au trafic de drogue. La situation inquiète les habitants du quartier et les replie sur eux-mêmes. “C’est étouffant de vivre au Moulin de Mai, raconte Dimitri Fassone, de l’association Familles en action, qui cherche à créer du lien social à la Belle de Mai. Certains ont peur de sortir de chez eux.” Christine, commerçante de longue date de la rue Loubon, le déplore également : “La violence est là depuis des années et rien ne change.” Assise à l’entrée de sa boutique, elle observe, les yeux dans le vague, les passants. “Est-ce que les gens auront vraiment envie d’aller emprunter un livre, dans ces conditions ?”, interroge-t-elle.

Fenêtres blindées

Pour se rendre à la bibliothèque, depuis le boulevard National, les usagers de la bibliothèque ne pourront éviter l’impasse Delpech. Tout comme les enfants qui se rendront à l’école Jolie-Manon, en cours de construction au 40 rue Loubon. Pour garantir leur sécurité et endiguer le trafic, la mairie souligne le rôle nécessaire de la police nationale et envisage, de son côté, plusieurs dispositifs. “Les effectifs et les passages de la police municipale ont déjà été doublés et vont encore augmenter dans les deux ans à venir, développe Anthony Krehmeier, maire (PS) des 2e et 3e arrondissements. Nous allons aussi aménager un commissariat, car il n’y en a pas dans le quartier.” Des discussions sont également en cours pour installer de la vidéosurveillance rue Loubon, conformément à la volonté de la Ville de poser 500 caméras supplémentaires à Marseille, prioritairement aux abords des écoles.

“Les fenêtres de la bibliothèque seront blindées”, poursuit le maire. Mais selon lui, ce type d’installation est avant tout préventif. “Il n’y a pas de raison que les gens ne soient pas en sécurité, tente-t-il de rassurer. C’est seulement la nuit que c’est chaud.” Du matin au soir, les piétons traversent la rue Loubon, y attendent le bus, s’arrêtent chez le marchand de légumes en face de l’impasse Delpech, ou boivent un café, à l’angle du boulevard National. “La journée, il n’y a pas de problème, il y a beaucoup de passage dans la boutique, on ne sent pas de danger”, confirme Christine entre deux encaissements.

La municipalité espère que la bibliothèque amènera encore plus de présence humaine dans le quartier et le tranquillisera. Sur la même ligne, un représentant de la CGT au sein de la bibliothèque l’Alcazar, qui désire garder l’anonymat, tend un parallèle entre les situations de la Belle de Mai et de Belsunce : “Ça s’est passé comme cela à l’Alcazar, se remémore le syndicaliste. Au début, les gens s’inquiétaient de l’ouverture jusqu’à 19 heures, à cause de la violence qu’il peut y avoir la nuit dans le quartier, et finalement, il n’y a pas eu de problèmes. Au contraire, ça a attiré des gens dans la rue, sans lesquels les activités délictueuses se développaient.” Pour autant, jamais Belsunce n’a connu un niveau de violence similaire à celui de Moulin de Mai.

Le devenir du Gyptis


"La construction du tram a aussi permis de drainer du monde", prolonge le représentant de la CGT. À la Belle de Mai, les rames devraient être sur les rails en 2028 et passer par la rue Loubon, devant la bibliothèque. "Tous ces aménagements visent à restructurer le quartier pour le pacifier", embraye Anthony Krehmeier. Aujourd'hui, le point de deal du Moulin de Mai est enclavé au fond d'une impasse, entre un terrain vague et un immeuble abandonné. Les trafiquants n'ont qu'une seule entrée de rue à contrôler, ce qui assoit leur emprise sur la cité. "À moyen terme, on va ouvrir toute cette zone et la relier au boulevard National", avance le maire, qui envisage de créer un chemin piéton entre l'impasse Delpech et la rue Jean-Cristofol, traversant l'ancien parking du Gyptis I.

L'immeuble Le Gyptis, rongé par l'insalubrité et le deal, a été évacué en début d'année 2023. Son avenir reste flou. "Je ne veux pas que ça redevienne un squat, j'imagine plutôt un lieu à vocation culturelle, comme un atelier d'artistes", poursuit le maire des 2/3. Le quartier manque cruellement d'offre culturelle accessible à ses habitants. La bibliothèque de la rue Loubon sera d'ailleurs la première jamais construite dans le 3e arrondissement. "Implanter un tel service public au sein d'un quartier populaire en grandes difficultés économiques, sociales et culturelles est essentiel pour répondre aux besoins des populations", revendique la CGT. Mais pour qu'elle devienne une véritable "structure de médiation et de prévention", comme l'ambitionne le maire, encore faut-il qu'elle soit comprise et acceptée par les habitants. Sur ce sujet, la Ville de Marseille travaille avec des associations locales, comme Familles en action, qui prévoit d'organiser des ateliers pour faire connaître le projet. "Dès que la bibliothèque ouvrira, les gens sauront et ils s'y rendront", veut croire Dimitri Fassone, éducateur et créateur de l'association.

"il a manqué de vie dans cette Cité"

Le travailleur social souhaite que d'autres structures publiques éclosent dans le quartier. "Il en faut pour tout le monde, notamment les ados qui n'iront pas forcément à la bibliothèque et qui sont très demandeurs en équipements sportifs par exemple", observe Dimitri Fassone. La Ville s'est positionnée pour acheter le terrain vague à côté de la future école Jolie-Manon, et l'association aimerait y installer un city-stade. Le projet est encore en discussion. "Avant, il y en avait un au niveau de la résidence Adoma (au 34 rue Loubon, ndlr), mais ils l'ont enlevé en 2018", raconte l'éducateur de prévention. Selon lui, c'est une des raisons pour lesquelles le point de deal s'est enraciné là : "À ce moment-là, le trafic de drogue a augmenté, car les jeunes s'ennuyaient. Ce sont eux-mêmes qui me le disent."

Trop longtemps, le quartier a manqué de vie, dit encore l'éducateur. "Beaucoup de travailleurs sociaux ont décrété que c'était trop dangereux et l'ont abandonné", témoigne Dimitri Fassone. Le week-end du 26 octobre, l'association organise un repas avec les habitants de l'impasse Jolie-Manon, sans savoir pour l'heure s'ils seront nombreux. "Dans ce type d'évènement, on accueille tout le monde. Si un petit [guetteur] du Moulin de Mai veut venir manger une merguez, il n'y a aucun problème, je lui sers. Il faut créer des moments de pause, pendant lesquels la violence cesse et les gens se rencontrent." Une parenthèse sereine et apaisée, que la future bibliothèque du Moulin de Mai, pourrait, peut-être, incarner.

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Commentaires

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  1. ALAIN B ALAIN B

    J’habite le 3ème, je suis sûr que la médiathèque sera une réussite, le démarrage se fera peut-être lentement mais les habitants de notre quartier sont certainement pauvres mais beaucoup espèrent au moins pour leurs enfants qu’ils réussissent.
    Les écoles ont été abandonnées dans notre quartier par la mairie GAUDIN, la nouvelle école Manon près de la médiathèque est attendue avec impatience par les professeurs et les parents. Beaucoup d’associations font du soutien scolaire, parce que les conditions de travail dans les appartements trop petits et des parents qui ne peuvent pas aider parlant parfois mal le français. Mais ce n’est pas avec la baisse du budget de l’éducation nationale que cela va améliorer l’enseignement dans notre quartier
    Ce trafic rapporterait beaucoup d’argent (certains disent entre 50 000et 80 000 € par jour), le faire disparaitre est difficile mais si la police passait très souvent alors cela leur ferait perdre de l’argent, et les luttes pour s’accaparer du trafic serait certainement moins violentes
    Après pour lutter contre le trafic, il faudrait aller où l’argent se cache dans les paradis fiscaux et se poser la question pourquoi les paradis fiscaux existent
    Mais cela n’est pas une fatalité, en allant vers une société moins inégalitaire, en construisant des logements sociaux dans tous les quartiers, la vie du quartier de la Belle de Mai reviendrait comme elle a été et aurait dû toujours restée

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  2. RML RML

    Étrange article. Étrange suspicion.
    Vous semblez vous méfier de la création d’une mediathèque à cet endroit. J’ai déjà perçu cette méfiance envers la culture dans vos pages. Je ne sais pas pourquoi.
    Et vous faites régulièrement ce genre de raccourcis un peu demagogiques : c’est pas la culture qui résoudra les problèmes de violence…
    Bien sûr. Car ça n’a rien à voir. Vous créez une causalité absurde.
    Mais lorsque la qualité de vie change, lorsque il y a des lieux d’apaisement, sur le long terme les choses changent aussi.
    Bien sûr ça ne fera pas disparaître le trafic. D’ailleurs, qui le dit?
    Je suis étonné que vous participiez subtilement, en laissant entendre mais sans formuler, au dogme ultra sécuritaire développé par l’extrême droite.
    Le gabian est il contaminé ?

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  3. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Les “points de deal” ne se créent pas sans cause. Et l’on n’évoque jamais cette cause.

    Je lisais hier un article sur une ville “gangrenée” par le narcotrafic, mais dont on parle beaucoup moins que de Marseille : Grenoble. Et j’en extrais les phrases suivantes : “Le préfet de l’Isère, Louis Laugier, déplace, lui, la focale sur les consommateurs. « Vous ne les mettez jamais en cause », a-t-il lancé à l’attention de la presse près du Carrare, à Echirolles. « Or, dès que vous avez des consommateurs, vous avez des points de deal, c’est comme ça », a rappelé le représentant de l’Etat, avant de réclamer « une prise de conscience collective ». Selon une enquête conduite en 2023 par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives, un Français sur deux (50,4 %) a déjà « expérimenté » l’usage du cannabis. Ils étaient seulement 12,7 % en 1992.” (https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/10/10/a-grenoble-l-irresistible-ascension-du-narcobanditisme_6347934_3224.html)

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    • Marc13016 Marc13016

      Fondamentale cette réflexion, je pense aussi. Même si je mesure l’ampleur du défit. Pas simple de substituer la petite fumette récréative par un plaisir moins toxique (pour le corps social je parle, pas uniquement pour les neurones du fumeur). Cette petite douceur est bien ancrée dans les fonctionnement reptiliens de nos jours. (Je vous assure, on s’en passe très bien quand on passe à autre chose, mais c’est pas la facilité). Et je crois que c’est bien ça qui fait l’effet de masse de cette économie de la violence.
      Bien sûr, il ne s’agit pas (que) de jeter la pierre sur les gentils accros du chichon. Plutôt les amener à “consommer” d’autres plaisirs. Culturel par exemple ! Sportif ou bien être, aussi. Toute une éducation (des autorités comme des clients).

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      Quand on pense qu’il suffirait que les gens n’achètent plus pour que ça ne se vende pas ! Coluche

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    • Alain Dex Alain Dex

      Et l’échec de la prohibition, on n’en parle guère. N’étant pas consommateur, je suis très à l’aise pour dire qu’il est temps d’en sortir.

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