Au McDo de Saint-Barthélémy on se prépare à une deuxième vague de pauvreté
"Réquisitionné" lors du premier confinement, l'ex McDonald's de Saint-Barthélémy (14e) n'a pas cessé sa nouvelle activité de plateforme d'aide alimentaire auto-gérée. Ses bénévoles se préparent aux conséquences sociales du deuxième confinement sans soutien institutionnel et sans savoir si les denrées récoltées et redistribuées seront suffisantes.
Kamel Guemari, ancien syndicaliste, toujours impliqué sur son ancien lieu de travail. (Image : Pierre Isnard-Dupuy)
Un monospace blanc cassé s’arrête devant la borne de commande du McDonald’s de Saint Barthélémy (14e). Sa conductrice s’apprête à passer commande. “Ha, je suis désolé madame, le McDonald’s est fermé depuis décembre”, lui apprend Salim Grabsi, militant du Syndicat des quartiers populaires de Marseille (SQPM). Que des automobilistes essaient de passer commande, “ça arrive encore souvent”, sourit Salim Grabsi.
Devenu plateforme de distribution alimentaire lors du premier confinement, l’ancien fast-food se prépare à faire face aux conséquences du deuxième confinement, tout en continuant de gérer le quotidien d’une crise sociale qui n’a pas dégonflé. Le lieu “réquisitionné”, avait définitivement cessé son activité de restauration rapide fin 2019 après une longue lutte syndicale. Il est depuis lors occupé à l’initiative des anciens salariés et de militants associatifs des quartiers.
Le système de livraison de colis alimentaires par quartier mis en place en avril (lire notre article) a continué durant l’été. Les volontaires du McDonald’s reçoivent des denrées par dons, en achètent quelques autres grâce à une cagnotte en ligne toujours active, qui a permis de récolter 35 000 euros depuis la mi-avril. En plus des maraudes, des personnes se déplacent d’elles-mêmes pour avoir des colis. “On vous dépose madame ?”, propose Kamel Guemari, l’ancien leader syndical du restaurant, à une femme chargée d’un carton volumineux qui souhaite retourner chez elle aux Flamants, à plus d’un kilomètre de là.
Une autre arrive en voiture pour demander un colis. Elle est déjà venue il y a quelques jours. “Normalement on donne à chacun tous les 10, 15 jours. Il faut que ça tourne, on en distribue 14 000 par semaine madame”, lui explique Kamel Guemari qui l’incite à venir moins souvent par souci de partage. “Et pour le pain je peux venir ?”, interroge son interlocutrice. “Oui, le pain on en a tous les jours”, répond-il.
Bascules inédites dans la pauvreté
Côté cuisine ce 29 octobre “comme tous les jeudis”, Samia de l’association La Maraude du cœur est derrière les gamelles. Elle confectionne un ragout de lentilles à la viande avec Farida de l’équipe du McDonald’s. Elles coupent menu des légumes qu’elles ajoutent dans deux grosses casseroles où mijotent déjà de la viande et des épices. 10 kilos de carottes, la même quantité d’oignons, 15 kilos de viande et 30 kilos de lentilles permettent de confectionner 300 repas. Ils seront servis le soir sur le parvis qui sépare la gare et la fac Saint-Charles.
En l’absence de lieu dédié, ce collectif a pris ses quartiers ici depuis 1 mois. Pour le deuxième confinement, elle devrait retourner dans un local du boulevard de la Libération déjà prêté gracieusement au printemps dernier. Bénévole à la Maraude du cœur depuis cinq ans, Samia voit venir de nouveaux pauvres au point de distribution de Saint-Charles. “Beaucoup de jeunes qui ne trouvent pas de travail, qui font des dépressions, qui se droguent. On a aussi des jeunes de 15 ou 17 ans qui fuguent et des personnes isolées, surtout des personnes âgées qui ont besoin qu’on leur parle, qu’on leur donne un sourire”, décrit-elle. Pour Samia, les pouvoirs publics ne sont pas à la hauteur. “Personne ne prend ses responsabilités. Ils savent qu’ils y a des associations qui font des maraudes et ça les arrange”, juge-t-elle.
Salim Grabsi s’est installé à une table du restaurant avec Michaël. Comme un travailleur social, il écoute l’histoire de celui-ci. C’est celle d’une dégringolade fulgurante. Ancien militaire, agent cynophile, il a été victime de l’explosion d’une mine antipersonnelle au Tchad qui l’a laissé en partie handicapé. De retour à Marseille en 2009, il s’est reconverti en éducateur canin et a ouvert une boutique pour chiens à Endoume (7e). L’homme de 36 ans employait sa femme, une vendeuse et une toiletteuse jusqu’à ce que le confinement arrive. Le magasin a alors été fermé et la clientèle peine à revenir depuis le déconfinement.
“Le problème c’est que j’ai beaucoup de mamies qui venait pour leur chiens et qui ne sortent plus par peur du virus. Même les livraisons de croquettes j’ai arrêté, les gens commandent sur internet”, raconte Michaël qui peine à reprendre son souffle entre les phrases. Du jour au lendemain son chiffre s’est effondré, les dettes se sont accumulées et il a dû licencier. Il n’a pas obtenu d’aides de l’État pour son activité économique. Aujourd’hui il vient chercher un colis alimentaire. “Je n’ai jamais rien demandé. Ils veulent quoi, que l’on se passe la corde ?”, lâche-t-il amer. Au cours de la discussion, il propose aussi sa participation à la plateforme d’aide alimentaire par le prêt du camion de son entreprise. Michaël s’est fait indiquer le McDonald’s par une agent d’une maison départementale de la solidarité comme seule solution à ses problèmes. Ironie de la situation pour cet endroit plutôt mal vu par les autorités. “Comment ça se fait que ce sont ces gens soit-disant hors-la-loi qui nous aident ?”, s’interroge Michaël.
“Depuis que l’on a commencé, on n’a pas eu un paquet de pâtes ou de riz de la part de la mairie ou de la métropole”, fustige Salim Grabsi qui espère bien obtenir le soutien de la nouvelle municipalité du Printemps marseillais. Mais la réunion prévue avec celle-ci en novembre pourra-t-elle se tenir avec le confinement ? La préfecture ne montre pas non plus d’enthousiasme concernant l’aventure de Saint-Barthélémy, qualifiée par écrit en réponse à Marsactu d’“auto-déclarée plateforme de redistribution alimentaire”. Les bénévoles du lieu se pensent affublés d’une étiquette qui dérange à cause des réunions politiques de la gauche de la gauche ou de Gilets jaunes qui se sont tenues en ces murs. Coordinatrice “des acteurs institutionnels de l’aide alimentaire”, la préfecture ne souhaite en tout cas pas se prononcer sur un éventuel partenariat avec le lieu pour les semaines de confinement à venir. Une reconnaissance de la préfecture pourrait par exemple donner lieu à un accès aux ressources de la Banque alimentaire, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
“On est déjà entrainés”
Durant le confinement du printemps, une partie de ces “acteurs institutionnels” ont travaillé avec le McDo. Pour Laurent Ciarabelli du Secours Catholique et du collectif Alerte Paca qui rassemble une trentaine d’associations (lire notre entretien), il a contribué a atteindre des “zones blanches de l’aide alimentaire dans les quartiers Nord”. L’association Vendredi 13 y a aussi livré des denrées et envisage de recommencer. “Ce n’est pas impossible que nous reprenions les livraisons au McDonald’s, indique Bernard Nos, son président. Ça va dépendre s’il y a suffisamment de denrées”. Pour son association aussi, “le travail ne s’est pas arrêté depuis le déconfinement.” Il est en tout cas optimiste sur un retour des dons, notamment venu de la restauration, comme si l’annonce d’un second confinement allait déclencher un nouvel élan de solidarité.
L’équipe du McDo travaille de son côté à recevoir des dons de multinationales de l’agroalimentaire via leurs principes de responsabilités sociales et environnementales (RSE). Elle pense aussi à la suite et rêve de monter un restaurant d’insertion et d’application pour les jeunes des quartiers alentours, en plus des activités sociales déjà menées ici, comme le soutien scolaire notamment. Mais pour l’heure, l’urgence prime. Malgré l’inconnue de la situation à venir, Kamel Guemari est optimiste. “Là où on est contents, c’est que l’on est déjà entrainés”.
Commentaires
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Je ne vais pas me faire que des copains , mais cela n’est pas grave .
La démarche des anciens McDo est remarquable , courageuse et malheureusement nécessaire voire obligatoire à la vue du contexte actuel . Aucun doute là dessus.
Mais l’emploi du mot réquisitionné entouré pudiquement par des guillemets Pierre Isnard-Dupuy m’énerve au plus haut point. Il aurait fallut employer le mot volé, spolié, envahi ou tout autre synonyme. Nous sommes dans un état de Droit et je défend cette idée bec et ongles.
En revanche ce qui me choque et me révolte c’est le silence de Rubirola sur ce dossier là. Elle devrait accompagner cette démarche et aider cette équipe qui fait le travail que la mairie ne fait pas. A ce titre le Benoit qui s’enflamme pour les limonadiers est très discret concernant le rond point de Ste Marthe. Le socialisme “new wave” sans doute.
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Bonjour,
Les guillemets autour du mot réquisitionné indique que c’est une citation. Soit celle des personnes qui animent ce lieu.
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pas mal de contradictions
Si c’est un état de droit et que le local est volé, spolié, envahi ou…
Parce que nous sommes un Etat de droit et que vous sous entendez qu’il faut respecter le droit de propriété comment vous pouvez ensuite demander que la Mairie accompagne cette démarche
J’espère que la Mairie jouera pleinement son rôle dans cette période difficile pour beaucoup de personnes
Mais c’est pourquoi que le mot réquisitionné est plus juste car ils sont dans la lutte et que la Mairie soutiendra j’espère à l’avenir et maintenant les luttes pour une société plus humaine
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Accompagner la démarche veut dire que la mairie peut soit mettre un local à disposition ou tout autre moyen à disposition ou bien même réquisitionner, l’Etat de Droit le lui autorise.
Mais jusqu’à maintenant, nada, niente, nibe
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le droit à la propriété est inaliénable, jusqu’à aujourd’hui. Trop facile de s’installer chez autrui et en plus si l’on dégrade le site. Une fois dit ceci, il est clair que cette démarche de solidarité est louable hors mis la rethorique cegetiste de la réquisition, mais ils en ont l’habitude.
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