Après des années de squat, les Roms de Cazemajou se préparent à l’évacuation
Les autorités préparent pour la fin du mois de juin le départ des familles roms installées dans des entrepôts rue Cazemajou (15e). Après un accueil provisoire en hôtels, ils pourraient être installés sur un site pérenne.
De la terrasse du squat Cazemajou, on voit les tours d'Euroméditerranée. (Photo : B.G)
Lundi, un nouvel incendie a noirci la rue en coude de Château-Vert qui relie l’avenue Salengro à la rue Cazemajou. Les traces noires en chapelet laissent penser que le feu a été mis intentionnellement. Propriétaire d’un local professionnel non loin, Gérard Vaiana était présent lors de l’intervention des pompiers. “Il y avait très clairement des bidons de gasoil et les pompiers ont fait usage de mousse pour éteindre l’incendie”, indique le riverain. “Ma crainte concerne les enfants qui vivent là”. Les dépôts qui encombrent la petite rue relèvent de déchets inertes issus du bâtiment, a priori étrangers à la présence des familles roms dans les hangars. Voisin de l’avenue Salengro, Ahmed El Alloui voit fréquemment passer les camions de BTP qui déposent là leurs déchets.
Les automobilistes et chauffeurs de poids-lourds ont depuis près de dix ans appris à slalomer entre les frigos désossés, les meubles démantibulés et les familles roms qui vaquent à leurs occupations. Le jeune Lorenzo, collégien à Jean-Claude-Izzo, rapporte l’arrivée d’un “homme noir”, “coiffé de locks” et trimballant “deux bidons” qui serait à l’origine du sinistre. Ce faisant, il coche toutes les cases du syndrome du dernier arrivé, le suspect étant anglophone, affirme-t-il. Le mot “Nigérian” n’est pas lâché mais largement suggéré.
L’annonce d’un départ imminent nourrit les inquiétudes
Si les flammes ont léché les fenêtres de leurs logis, les adultes présents ont d’autres soucis en tête que ce début d’incendie vite maîtrisé. Dans un français parfois brinquebalant, ils veulent savoir une seule chose : “Est-ce qu’on sera prévenus à l’avance de notre départ ?”, interroge la mère de Rafaël. “Il nous faudrait au moins trois ou quatre jours pour rassembler nos affaires”, suggère un voisin, venu en curieux à l’annonce de visiteurs.
Le départ des Roms des squats de Cazemajou revient dans l’actualité comme les martinets avant l’été. En septembre 2021, Marsactu avait dévoilé l’intention de la préfecture d’installer ces familles sur un terrain aménagé à proximité de la cité Font-Vert. Un projet qui a suscité aussitôt un tombereau de réactions de rejet, parfois à relents xénophobes. Depuis, l’État et les collectivités ont remballé leur proposition. Mais les trois partenaires (Ville, État et métropole) ont continué à travailler en toute discrétion.
Un préfet à Cazemajou
Le préfet délégué pour l’égalité des chances, Laurent Carrié, s’est rendu sur place ces derniers jours pour expliquer la méthode inédite que l’État entendait employer pour évacuer les différents squats du site Cazemajou tout en préparant un atterrissage en douceur sur un nouveau lieu dédié. Mais pas question de dévoiler l’emplacement des quatre sites pressentis pour ne pas répéter “le fiasco de Font-Vert”.
Ce mercredi, les associations qui suivent le dossier avaient rendez-vous sur place pour une réunion destinée à exposer le déroulé de l’évacuation imminente. “Pour l’instant, la date calée est celle du 20 juin, expose Caroline Godard, de Rencontres tsiganes. Le site doit être libéré de façon imminente pour permettre la poursuite des travaux du tramway. Mais l’État ne dispose pas pour l’instant de solution d’hébergements en nombre suffisant. La préfecture propose donc une solution transitoire en hôtels en attendant qu’un site équipé d’habitations modulaires soit choisi”. Des informations confirmées par une source proche du dossier.
En complément, l’État fournirait un terrain pour accueillir les biens des occupants ainsi que leurs véhicules et matériel. Ils pourraient donc continuer leurs activités. Car le site de Cazemajou offre bien des avantages pour l’économie de récupération qui permet aux Roms d’assurer leur subsistance. Les petites maisonnettes individuelles qu’ils ont construites sous les anciens hangars de stockage jouxtent les ferrailles qu’ils trient et revendent. Régulièrement des camions et utilitaires viennent charger ou décharger à grands fracas ces matières premières.
“Vivre et travailler”
“Ce que nous voulons, c’est un endroit un peu comme ça où on peut vivre et travailler, explique la jeune Larissa, qui a poursuivi une partie de sa scolarité au collège Rosa-Parks. Il faut aussi qu’il y ait une école à proximité”. Accompagnés par l’association l’École au présent de Jane Bouvier, ces enfants suivent une scolarité normale qui devrait se poursuivre après leur déménagement. “Moi, je veux faire des études d’architecte”, assure Lorenzo, les yeux brillants, sous l’air câlin de sa mère.
Sur les quelque 150 personnes qui vivent et travaillent à Cazemajou, il y aurait une trentaine d’enfants, souvent scolarisés dans les établissements voisins. Le site abrite également plusieurs nouveaux-nés ou très jeunes enfants non encore scolarisés. Un compteur d’eau tourne à grand bruit dans la rue Château-Vert, par des tuyaux jaunes, qui court d’une cour à l’autre. Jamais fermée, l’eau coule en permanence et inonde une partie de la rue. La métropole a remis aux normes les branchements électriques pour limiter le risque incendie.
Dans un des trois bâtiments occupés par des Roms de Roumanie, la partie arrière du bâtiment est occupée par une montagne de pneus et déchets divers, sans doute stockés là contre rétribution. Dans l’un des bâtiments libéré de ses occupants, ce sont des milliers de pneus qui ont dû être évacués par l’établissement public foncier, propriétaire des lieux en vue de la prolongation du tramway.
La question albanaise
Entre deux cours, un escalier part vers un étage avec une terrasse où sèche le linge. Les gens qui vivent là ne viennent pas de Roumanie. S’il se revendique rom, Arian Ademi, père de famille, décrit à grands renforts de gestes explicites tout ce qui le distingue -forcément en mieux- de ses voisins. Déboutés du droit d’asile, les six familles albanaises ne bénéficieront pas des mêmes conditions d’hébergement durable que les ressortissants roumains, membres de l’Union européenne. Ils n’auront droit à une mise à l’abri temporaire que parce qu’il y a parmi eux plusieurs adolescents régulièrement scolarisés dans des écoles marseillaises.
Dans le dernier espace occupé, plusieurs camions sont garés sous une armature métallique mise à nu. Autour d’une cour centrale, les mêmes petites maisons aux intérieurs coquets avec çà et là, coqs et poules caquettent. Ici, on ne veut pas croire à un départ imminent. “Le tramway, il se fera pas avant 2040”, sourit l’un des hommes présents en croquant des graines de tournesol. “T’es pas en Roumanie, rigole son voisin. Le tramway va arriver à l’Estaque en 2030 !“.
L’entretien tourne court avec l’arrivée d’un homme au tricot blanc à larges mailles qui s’impose avec autorité. “Avec les journalistes, c’est toujours pareil, coupe-t-il. Vous venez avec l’air gentil et ensuite vous dites qu’on est des voleurs qui salissent tout”.
Si le départ a l’air acté, la question de l’atterrissage reste délicat. Selon nos informations, une commission paritaire, constituée de représentants des collectivités et d’associations, pourrait examiner les avantages et inconvénients de chaque terrain pré-sélectionné. “Mais pas pendant la période électorale, c’est le meilleur moyen de faire capoter le projet”, une source. En appui, Caroline Godard souligne la nécessité “de sensibiliser les riverains en amont“. À Font-Vert, en septembre dernier, certains habitants avaient improvisé des barrages en attendant les Roms de Cazemajou.
Commentaires
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
“Sensibiliser les riverains en amont”, j’adore. Et eux, les sensibiliser à certains principes, fonctionnements… non ? Perso, on ne m’a jamais trouvé un terrain et en plus adapté à mes activités… Tellement à dire… Des points positifs : des enfants scolarisés et du recyclage.
Se connecter pour écrire un commentaire.