SOS Raciste
Je pense qu’on a compris après plusieurs billets que je fais partie de cette communauté qui représente 8% de la population nationale et qui occupe au bas mot 80% des débats politiques.
Alors que s’enchaînent les scandales d’état sur des sujets concernant les crèches, des établissements scolaires privés, des eaux minérales contaminées, des fonds publics détournés dans un silence étonnamment assourdissant, les discours nationalistes et complotistes n’ont eux jamais autant retenti et mènent maintenant aux pires drames.
Nous en sommes à deux meurtres en quelques semaines en raison des origines et/ou de la religion des victimes. Aboubakar Cissé fin avril, Hichem Miraoui fin mai… qui sera le suivant en juin ?
Les meurtriers d’Aboubakar et Hichem ne sont pas devenus racistes du jour au lendemain. Ils sont le résultat d’années de cette haine instillée en continu.
Olivier Hadzovic est rentré un matin dans une mosquée déterminé à assassiner du musulman et c’est Aboubakar qui a reçu ses cinquante-sept coups de couteau alors qu’il était prosterné, le front posé contre le sol.
Olivier s’est filmé après l’acte, galvanisé par ce qu’il venait d’accomplir. Ce « Ton Allah de merde » répété deux fois et la froideur avec laquelle il l’a tué ont évidemment fait écho aux attentats de Christchurch en Nouvelle- Zélande en 2019.
Le parquet antiterroriste n’a pas été saisi et les réactions des officiels ont été bien trop tardives, en tout cas pas à la hauteur de l’effroi causé.
Ce long silence du ministre de l’intérieur, pourtant habituellement très bavard, a envoyé un message très clair : les vies des musulmans en France ne valent rien. Même quand elles sont ôtées dans un lieu de culte à des fidèles en pleine prière.
Christophe Belgembe a lui enchaîné pendant des années les appels à la haine dans un groupe public sur Facebook sans n’avoir jamais été surveillé par la DGSI ou les services de police. Il détenait des armes. Son attrait pour le tir sportif n’a pas été un scoop, et un permis lui permettait d’en posséder un certain nombre.
Avant de commettre l’irréparable, il a régulièrement insulté Hichem. Il a même tagué « sale arabe » sur son scooter. Et ce samedi soir, il a tiré sur deux hommes et en a tué un de cinq balles. Cet acte aussi était prémédité. La réaction du ministre de l’intérieur a cette fois été un plus rapide, les motivations étant plus qu’évidentes. Ce n’était pas un simple fait divers.
Cette haine est le résultat d’un discours bien trop banalisé depuis plusieurs années. On a désigné un personnage pour l’accuser d’être la cinquième colonne, cet ennemi de l’intérieur tantôt entriste, tantôt séparatiste. Jamais innocent, il est au minimum coupable par association. Quand il pointe l’acharnement qu’il subit, il se victimise. Et puis au fond, s’il prend un coup c’est qu’il doit un peu le mériter.
Brenton Tarant avait dit avoir été largement inspiré par la théorie du Grand Remplacement de Renaud Camus. Cette même théorie largement reprise par Éric Zemmour puis par l’ensemble de l’extrême-droite avant d’être largement diffusée dans la majorité de la classe politique, gauche incluse. Cette gauche trop frileuse pour se saisir de cette forme de racisme qui ne se cache plus et qu’on a rendu acceptable sous couvert de liberté d’expression et d’une laïcité que plus personne n’est capable de définir. Les cadres anticléricaux ont pour moi eux aussi leur part de responsabilité dans cette montée de l’islamophobie.
Au moment où j’écris ces mots, Bruno Retailleau continue ses sorties déraisonnables sur le concept d’ « antisémitisme couscous ». Lui qui n’hésite pas à régresser vers ses origines ethniques semble vouloir nous faire oublier que ce ne sont pas mes ascendants qui ont mis des populations dans des trains vers la mort mais bel et bien ceux de qui il veut capter les voix perdues par une Le Pen inéligible.
Je ne suis donc pas surprise que deux hommes aient fini par passer à l’acte. On a décrété qu’un banal rebranding suffisait à effacer toute l’histoire raciste, xénophobe, antisémite d’un parti politique et à le rendre fréquentable. Force est de constater que c’est totalement faux. L’idée que l’islam serait incompatible avec les valeurs de la République est reprise jusqu’aux plus hauts sommets de l’État sans qu’aucune contradiction ne soit apportée. La graine est plantée, a pu germer et fleurir.
Quand un ministre de l’intérieur dit dans un meeting pour devenir président de son parti « à bas le voile », c’est sur mes nièces qui ont choisi de le porter qu’il met une cible.
Quand son prédécesseur en fonction disait trouver Marine Le Pen trop molle sur la question migratoire, c’est sur ma mère qu’il a mis une cible.
Quand un rapport sans colonne vertébrale est diffusé sans aucune analyse critique dans des médias davantage obsédés par le buzz que par l’information, c’est sur mon frère que ses auteurs ont mis une cible.
Et quand un publicitaire explique à ses dizaines de milliers de followers sur les réseaux que la haine de l’islam serait saine car elle ne serait qu’une émotion, c’est tout simplement sur moi qu’il met une cible.
Dans ce climat où on préfère l’émotion aux faits, où un mensonge devient une vérité en étant machinalement répété, matraqué, où on préfère jouer sur les peurs plutôt que d’appeler à l’union, je suis inquiète. Les agressions envers la communauté musulmane sont devenues quotidiennes et l’atmosphère de terreur de 73 semble refaire surface.
Toute la classe politique s’est lancée dans une course à l’échalote dans le but de rameuter des électeurs en vue des prochaines municipales et des présidentielles de 2027 avec la complicité de médias obnubilés par leur course à l’audimat.
Du coup une partie de mes concitoyens a choisi de croire un peu plus que je ne suis pas assez française et que je devrais remigrer pour que leurs vies soient meilleures. Certains d’entre eux ont même pris au pied de la lettre cette solution puisqu’ils estiment qu’ils peuvent passer à l’acte. La critique de l’islam est permise alors taper du musulman serait de salubrité publique. Les agressions sont devenues quotidiennes. Des mosquées sont visitées par des hommes qui viennent filmer et repartent sans qu’on comprenne leur but, quand elles ne sont pas vandalisées. On arrache des voiles, on crache sur des femmes parce qu’on n’aime pas l’islam. Puis on assassine des gens.
Je leur adresse ce message : si vous avez du mal à concevoir ma légitimité d’exister dans le pays qui m’a vue naître et dans lequel je me suis construite, faites des gargarismes avec vos aigreurs. Le problème, c’est vous. Vous faites beaucoup de bruit mais en 1 vs 1 je vous balaye, même avec mon corps de lâche.
À ceux qui mettent leurs fortunes et leurs moyens au service de ces idéologies mortifères – je pense notamment à ces milliardaires cathos intégristes dont la plupart ne vivent même pas en France – vous avez maintenant du sang sur les mains. Je n’oublierai rien et je m’octroie le droit de ne pas être obligée de vous pardonner. Mon prénom c’est Camélia, pas Jésus.
Et à ceux qui, toujours dans cet élan démagogique, utilisent ces drames pour appâter mon vote, de grâce faites un effort. Ma famille est présente depuis maintenant huit décennies. Les discours infantilisants antiracistes des années 80 sur fond de l’Aziza qui me décrivent comme une victime de l’oppression de laquelle on doit à tout prix me libérer sont insultants. Imprimez le une bonne fois pour toutes.
À ceux qui tiennent bon et ne cèdent pas à ce climat, qui refusent de jouer à ce jeu macabre qui mènera à notre perte à tous, merci de tout mon cœur. Je me tiendrai à vos côtés autant qu’il me sera possible de le faire. Même avec ce corps de lâche.
À ceux qui œuvrent activement pour la paix, quitte à y perdre des plumes, je vous témoigne toute ma gratitude. Nous vous devrons notre salut. Puissent vos voix rester audibles même quand tout est fait pour les éteindre.
Et histoire de finir sur une note plus légère, le titre de ce billet est tiré de cette vidéo.
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