RUE D’AUBAGNE, UN AN APRÈS : NI OUBLI, NI PARDON

Billet de blog
le 10 Nov 2019
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Le 5 novembre 2018, deux immeubles s’effondraient rue d’Aubagne. Un an après, Marseille se souvient

RUE D’AUBAGNE, UN AN APRÈS : NI OUBLI, NI PARDON

C’était il y a un an. En plein cœur de Marseille, dans le quartier de Noailles, rue d’Aubagne, deux immeubles s’effondraient, ce qui entraînait la mort de huit habitants. Deux manifestations rappelaient cet événement cette semaine : mardi, le 5 novembre, une rencontre réunissait quelques centaines d’habitants sur les lieux de l’effondrement, pour se rappeler ensemble, et samedi, le 9, une autre rencontre manifestait la colère des habitants de la ville. Il est temps de réfléchir, à notre tour, sur ces événements et sur leurs significations.

Ni oubli ni pardon : la mémoire du politique n’est pas la même que la mémoire du psychisme

Pour toutes sortes de raisons, dans nos relations avec les autres, on a fini par s’habituer à pardonner. Pardonner, c’est une façon de faciliter nos échanges avec les personnes que nous côtoyons, avec qui nous parlons, avec qui nous partageons les lieux dans lesquels nous vivons. Pardonner, c’est aussi une façon, somme toute, de se mettre à la place des autres en essayant de comprendre ce qui a pu les pousser à des actes qui nous ont nui ou qui nous ont causé des dommages. Le pardon, en ce sens, fait partie des logiques sui structurent nos relations avec les autres, et qui, ainsi, contribuent à fonder notre identité personnelle. Mais les identités politiques, les engagements, les débats qui ont lieu dans la cité et qui instituent notre citoyenneté, ne s’inscrivent pas dans la même logique : tandis que, dans les relations entre les personnes, c’est en s’identifiant symboliquement aux autres que l’on peut comprendre et que l’on peut instituer notre identité, dans les relations politiques, c’est la confrontation qui fonde l’identité en fondant l’engagement. On ne peut pas se mettre à la place des autres dans le champ des identités politiques, car, dans l’espace politique, c’est la confrontation qui les fonde : si l’on est de gauche, c’est parce qu’on s’oppose à ceux qui sont de droite, si l’on appartient à une classe sociale, c’est parce qu’on s’oppose à ceux qui appartiennent à l’autre, dans le champ de la lutte des classes. C’est pourquoi la mémoire politique ne peut être la même que celle du psychisme : dans le champ politique, il ne peut y avoir ni oubli ni pardon, et c’est même la raison pour laquelle on fait de l’histoire : pour veiller à ne rien oublier et pour transmettre la mémoire du politique à ceux qui nous succèderont. C’est bien le sens de la manifestation qui a réuni une foule immense à Marseille, le samedi 9 novembre tout l’après-midi.

Les martyrs de la rue d’Aubagne

Le mot a été prononcé plusieurs fois mardi dernier, et il l’a été souvent au cours de l’année qui a suivi les événements de la rue d’Aubagne. Pour cette raison, il n’est pas inutile de rappeler ce qu’il signifie : un martyr, c’est un témoin. Un martyr, c’est quelqu’un qui souffre ou qui meurt, mais dont la souffrance ou la mort sont appelées à témoigner d’une situation politique particulière dans laquelle cette personne se trouvait. Si l’on a parlé des martyrs dans les premiers temps de la Chrétienté, c’était pour rappeler qu’ils avaient souffert et avaient connu les persécutions en raison de leur engagement dans une religion qui n’était pas reconnue dans l’état dans lequel ils vivaient : l’empire romain. La mort des victimes de la rue d’Aubagne a une signification : celle de l’échec du libéralisme. Si le glas a sonné à un moment, au cours de la rencontre de mardi, c’était pour que Marseille n’oublie pas la mort des victimes du 5 novembre 2018, pour que le temps de la ville soit ainsi marqué par cet événement. C’est, d’ailleurs, la raison même pour laquelle, à un certain moment, l’émotion a laissé la place à la colère : le silence, expression de l’émotion et de la douleur, a laissé la place à l’expression de la colère quand ceux qui se sont retrouvés devant le buste d’Homère ont scandé les mots de leur indignation, toujours aussi forte un an après. C’est bien pourquoi les morts de la rue d’Aubagne sont des martyrs : ils sont les témoins de la colère de Marseille devant l’incurie d’une municipalité qui semble ne pas avoir d’autre projet que celui de l’enrichissement du libéralisme. C’est bien pour cela qu’en soi, c’était tout un symbole que la rencontre de mardi ait lieu devant le buste d’Homère. Peut-être était-il aveugle, comme nous l’a dit la culture grecque, mais, surtout, il nous a rappelé que l’histoire des Grecs était fondée sur la guerre, comme nous le rappellent les morts de la rue d’Aubagne. Ce sont aussi d’autres mots scandés mardi et samedi : Qui sème la misère récolte la colère. Nous y sommes.

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