Pourquoi le Mucem n’est pas (encore) le Guggenheim de Marseille

Tribune
le 30 Mai 2016
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“On a notre Guggenheim et il est mieux.” Le 12 mai, le président de la chambre de commerce et d’industrie Jacques Pfister plastronnait à l’occasion de la publication d’une étude sur l’impact économique du musée. Qu’en est-il réellement, peut-on comparer le fleuron basque et le cube du J4 ? Doctorant au centre d’études et de recherche en gestion d’Aix-Marseille (Cergam) Fabien Pecot nous livre l’éclairage de deux articles scientifiques récents sur « l’effet Bilbao » ou « l’effet Guggenheim », le modèle du musée transformateur de ville dont le Mucem est inspiré. L’analyse du cas Bilbao par ces chercheurs en tourisme permet de mieux comprendre les limites du modèle de développement actuel et les opportunités que représente l’arrière-pays pour le Mucem.

 

Photo : Andrea Ciambra, Flickr.

Une étude de la CCI, du Mucem et du conseil départemental a récemment salué l’impact positif du musée sur le tourisme et l’image de Marseille. “Avant 2013, nous faisions souvent référence à « l’effet Guggenheim » pour évoquer l’importance de la culture en matière de développement économique des territoires, aujourd’hui on parle de « l’effet Mucem »”, considère Jacques Pfister. Il est toujours délicat de se lancer dans des comparaisons, mais puisqu’elle est ici tant recherchée, nous pouvons apporter quelques éléments pour étayer ou nuancer l’enthousiasme du président de la chambre de commerce et d’industrie. D’autant plus que le Mucem fait autant parler de lui pour ses qualités architecturales, que sa quête d’identité, sa gestion sociale et même sa gestion tout court.

Mais avant d’aller plus loin, un point définition : qu’est-ce que l’effet Guggenheim, ou effet Bilbao dont on se gargarise ? C’est un terme qui s’est imposé dans le jargon des urbanistes et professionnels du marketing territorial pour désigner le miracle économico-culturel qu’a suivi l’installation du musée Guggenheim à Bilbao en 1997. Construit dans une ancienne zone industrielle, le musée représente un investissement d’environ 100 millions d’euros et une franchise de 20 millions payée à la fondation Guggenheim, essentiellement de l’argent public. L’ensemble des coûts a été remboursé au bout de dix ans. La fréquentation espérée était de 400 000 visiteurs annuels, elle est stable à environ 1 million depuis la première année.

Tout cela concerne essentiellement le musée, qu’en est-il des retombées pour la ville ? Il n’est pas rare qu’un musée ne soit qu’une belle vitrine, un mirage qui cache la misère d’une mauvaise gestion municipale – voir l’exemple de Valence, et peut-être rapidement une contribution de Nicolas Maisetti (docteur en sciences politiques de l’université Paris I, ndlr) sur ce point qui lui est cher. Dans le cas de Bilbao, le tourisme continue de battre des records près de 20 ans plus tard, mais c’est au-delà du tourisme que l’on trouve les éléments les plus parlants du retour économico-social sur investissement public.

Bilbao est aujourd’hui la ville la moins endettée d’Espagne avec une dette de 24 euros par habitant

Une étude indépendante a estimé que le musée avait créé 1200 emplois. Le musée déclare également rapporter aujourd’hui plus de 40 millions d’euros annuels à la région sous forme de taxes. On est forcément tenté de douter de la partialité d’un chiffre fourni par l’institution qu’on évalue. Si je n’ai pas pu trouver de vérification ailleurs, un signe irait dans le sens d’un impact positif sur l’économie et les ressources fiscales de la ville : Bilbao est aujourd’hui la ville la moins endettée d’Espagne avec une dette de 24 euros par habitant. Ce n’est pas rien quand on pense à l’exemple de Valence et aux investissements qu’a effectué la ville pour réaménager son territoire.

Le modèle de tous les Mucem du monde

C’est ainsi qu’est né l’effet Bilbao, le modèle de tous les Mucem du monde. Il y a tout de même eu une moyenne annuelle de 58 délégations de professionnels et institutionnels qui sont venus constater le miracle au cours des années 2000 ! Bien sûr, le modèle a été reproduit un peu partout, et très souvent ça n’a pas marché : le Sheffield National Museum of Popular Music a fermé en moins d’un an, l’Experience Music Project (EMP) à Seattle reste vide, et notre cher Mucem donne des soucis à la Cour des comptes… Mais pourquoi ne peut-on pas faire prendre la mayonnaise basque partout où on voudrait ?

C’est la question à laquelle répondent séparément Beatriz Plaza et Silke Haarich d’un côté, et Adrian Franklin de l’autre, trois chercheurs en tourisme qui ont travaillé sur le cas Bilbao. Il y aurait d’après eux de nombreux éléments de contexte que l’on ne prend jamais la peine de mentionner dans les études de cas visant à convaincre des élus de financer un méga-projet culturel qui attirera des millions de visiteurs dans leur ville post-industrielle.

Les premiers (Beatriz Plaza et Silke Haarich) s’intéressent au contexte dans lequel le musée est né. Il y a deux facteurs clés dans la conception du Guggenheim qui limitent la réplicabilité du modèle, puisque peu d’autres villes réunissent les mêmes conditions. Il y a d’abord l’autonomie fiscale dont jouit le gouvernement local (au Pays basque, les impôts sont levés localement et ce qu’il en fait ne regarde que le gouvernement régional). Une fois convaincus, les élus locaux qui étaient par ailleurs tous du même parti, ont juste eu à négocier directement avec New-York, avec la certitude de pouvoir mobiliser les millions d’euros nécessaires sans avoir à en parler à un préfet. Impossible de passer à côté du rôle clé qu’a joué la banque BBVA, une des plus importantes banques d’Europe, mécène du projet : le second B de BBVA veut dire Bilbao, où la banque est née et où elle conserve son siège social. Pour le Mucem, il aura fallu 13 ans entre la décision de l’État et l’inauguration…

La construction du musée s’intégrait dans un plan de développement démarré en 1992 : ouverture de 40km de métro, nettoyage de la rivière et de ses abords, modernisation de l’aéroport…

Les chercheurs donnent deux éléments supplémentaires qui expliquent eux le succès du musée par la suite. Ils replacent la construction du musée au sein d’un plan de développement démarré en 1992, qui inclut l’ouverture de 40km de métro, le nettoyage de la rivière et de ses abords, la modernisation de l’aéroport… En d’autres mots, le musée est venu accompagner et non pas donner la première impulsion au développement de la ville. Enfin, le succès de son impact sur le tissu économique local est également lié à l’obligation qu’a tout bénéficiaire d’argent public de collaborer avec les entreprises basques, ce qui a permis à la fois une mise en avant des technologies existantes sur place dans la création du musée, mais aussi des transferts de compétences.

Les quatre moteurs de Guggenheim

Pour le second (Adrian Franklin), il y a quatre facteurs “écologiques” qui expliquent les succès de fréquentation et financier du musée, au-delà des qualités des expositions et de l’intérêt architectural du bâtiment.

– Le premier, non négligeable, est le passage par Bilbao et ses environs du chemin de Saint-Jacques de Compostelle qui connaît une augmentation significative de fréquentation depuis son classement par l’Unesco en 1985. Le chercheur estime que plus d’un million de touristes transitent par le Pays Basque avec comme motivation première de faire le Camino. Ils prennent pour autant parfois le temps de visiter la ville (et le musée). De gros investissements ont notamment été réalisés pour mettre en valeur le patrimoine autour de Bilbao pour séduire les pèlerins et les amener vers la ville (hôtels, bodegas…).

– Le second est l’existence depuis le XIXe siècle d’un tourisme haut de gamme à une heure en voiture de Bilbao, autour de San Sebastian qui a permis de “fournir” des touristes déjà habitués à la région, mais aussi et surtout de la main d’œuvre qualifiée pour développer l’offre touristique.

– Le troisième a trait à la culture basque au sens large et à son attrait, notamment sa gastronomie et la très forte concentration de trois étoiles Michelin à proximité de Bilbao, mais aussi les nombreux « bars à pintxos » du centre-ville.

– Enfin, le quatrième renvoie à la valorisation des traditions basques (festivals, carnavals) qui attirent des touristes en quête d’authenticité et apporte un complément au Guggenheim qui est lui plutôt représentatif d’une offre touristique internationale ex nihilo.

Ensemble, ces deux articles apportent deux choses. La première concerne les idées reçues sur les aménagements touristiques. Dans les deux papiers, les chercheurs soulignent l’importance du contexte dans la compréhension du succès de Bilbao. Ils nuancent largement l’idée selon laquelle il suffirait de faire construire un beau bâtiment par un architecte connu pour attirer des troupeaux de touristes et redynamiser un territoire. Mais ces précisions présentent également un éclairage pour la situation marseillaise.

Pour que le Mucem devienne le Guggenheim de Marseille, c’est-à-dire un contributeur net au tissu socio-économique local, il doit profiter de sa notoriété pour opérer en interface entre le local et l’international. Cette interface peut être culturelle en donnant de la visibilité à un acteur local émergent, ou en faisant collaborer des acteurs locaux avec des références internationales. Elle peut également être économique, en suivant la même logique (visibilité et collaborations).

Les réseaux sociaux géolocalisés offrent de formidables outils de ciblage pour “vendre” Marseille via le Mucem à des touristes en vacances à Nice ou Avignon.

Le Mucem est déjà un facteur d’attractivité ramenant à Marseille les touristes qui restaient souvent à proximité (Var, Luberon, Côte d’Azur). Mais on peut se demander si la ville de Marseille utilise à plein cette opportunité : existe-t-il à ce jour des campagnes de communication agressives envers les populations et touristes séjournant à proximité ? Les réseaux sociaux géolocalisés offrent ici de formidables outils de ciblage pour “vendre” discrètement Marseille via le Mucem à des touristes en vacances à Nice ou Avignon. À Bilbao, l’arrière-pays est à la fois pourvoyeur de personnel qualifié et de flux touristiques, c’est un complément intéressant aux croisières pour le développement de Marseille.

Enfin, les traditions populaires (clin d’œil au Mucem dont c’est la collection originelle) marseillaises apparaissent comme un élément à mettre en avant pour offrir un complément aux offres désincarnées des expositions ou attractions blockbusters. C’est aussi le cas de la gastronomie dans sa version élitiste et populaire, du pastis, des bars (même quand ils font du bruit), des offres en bord de mer, de ce qui fait le charme de la côte marseillaise. Cette réflexion sur Bilbao invite Marseille à ne pas penser le développement du tourisme en opposition au patrimoine de la ville, mais en symbiose. Le succès de Bilbao ne tient pas dans l’opération de ripolinage d’un quartier, comme un beau bâtiment cachant la misère derrière (ce qu’il peut être à certains égards), c’est sa capacité à entrer en résonance avec le territoire dans lequel il se trouve qui en fait un modèle, pour le coup pas si facilement duplicable.

Fabien Pecot (doctorant CERGAM, Aix-Marseille Gradutate School of Management IAE)

Commentaires

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  1. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    “La construction du musée s’intégrait dans un plan de développement démarré en 1992 : ouverture de 40 km de métro, nettoyage de la rivière et de ses abords, modernisation de l’aéroport…”

    Bref, un projet d’ensemble et à long terme, et non de multiples petits projets opportunistes proposés de l’extérieur par des “amis” souvent intéressés, promoteurs, bétonneurs et autres exploitants de galeries commerciales… Pourquoi n’y a-t-il, à Marseille, pas un seul élu capable de voir à long terme et au-delà des limites de son quartier ?

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  2. LaPlaine _ LaPlaine _

    Quand vous voyez que les élus en sont à plastronner devant les photographes pour la remise en service du ferry-boat, çà en dit long sur la vision de long terme de ces zozos. Ce sont de petits épiciers de la politique locale, avec des petites idées…mais de grandes affiches à leur pauvre gloire.

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  3. Lionel Bérenger Lionel Bérenger

    Le sujet est néanmoins symptomatique d’une longue traînée plus ou moins foutraque de projets dupliqués à l’infini sans réelle réflexion et avec comme seul objectif l’espoir feignasse de reproduire le miracle d’un autre. Il y a un passage de « Smart » de Frédéric Martel qui décrit très bien comment, à la fin des années 90 et début 2000, un peu partout on s’est mis à « copier » le modèle de la Silicon Valley sans se poser une seule fois la question de l’histoire et des dynamiques (industrielles, politiques, culturelles) en jeu sur le territoire californien durant, de toutes ces contingences qui ont abouti au machin sensas que l’on connaît aujourd’hui.

    À Marseille il y a donc le Mucem, à qui on avait d’abord dévolu la lourde responsabilité d’ouvrir le port « comme l’opéra de Sydney » avant de lui demander de singer les bien-faits économiques du Guggenheim de Bilbao, mais aussi le Technopole de Château-Gombert vendu comme « la Silicon Valley provençale » (terme dont Christian Philibert pourrait se servir pour tourner une suite miroir à son excellent « Complexe du Santon » avant que Martigues ne porte plainte au tribunal du commerce pour semi-vol à la propriété intellectuelle… on demandera leur avis aux habitants de Bruges et de Venise plus tard), « le projet Dortmund » cher à Vincent Labrune, la copie du David au Prado qui sert de rond-point, le languissant « Marseille, comme à Barcelone » (LA capitale méditerranéenne) qui s’est, à un moment, muté en un « Marseille, comme à Valence » (le Grand Prix européen de F1, la coupe de l’America, la cité des sciences – le Mucem de Valence, les marchés couverts, les chaînes du port… tout ça quoi), le Prado et ses putains de contre-allées chipé aux madrilènes, le Mediterranean World Trade Center dont le seul « avantage » sur son lointain modèle new yorkais est d’être encore… debout, sans oublier l’hollywoodien panneau « Marseille » littéralement cagué par Netflix sur les hauteurs de l’Estaque. Cette litanie non exhaustive est autant l’aveux d’une fainéantise intellectuelle abyssale que l’expression inquiétante d’un assèchement créatif.

    Depuis la Genèse, « nommer » une chose est une manière primaire de se l’approprier, de la faire sienne. Marseille nous démontre tous les jours que c’est bien plus compliqué que cela. Il ne suffit pas de « nommer » pour « posséder ». Mais c’est sans doute aussi très très compliqué à comprendre.

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    • JL41 JL41

      C’est effectivement un peu absurde de choisir un modèle puis de jauger un lieu comme le Mucem en référence à ce modèle. Laissons au Mucem le temps de trouver sa propre dimension d’épanouissement, avec son nouveau directeur ou un autre.

      C’est exactement ce qu’on a fait avec les technopoles. On a fait Valbonne Sophia Antipolis, dans un contexte niçois qui était déjà technopolitain, avec des directions internationales et plusieurs centre de recherche employant pas mal de personnel. Tout l’argent public qu’on a pu mobiliser, ce nouvel objet l’a eu, sans la concurrence d’aucune autre technopole. On a magnifié l’objet, déifié son génial fondateur emporté par son élan, et ces nouvelles concentrations d’entreprises ont maintenant leurs cabinets spécialisés et leur littérature.
      On a voulu reproduire le modèle partout, avec succès dans quelques rares cas, mais chaque ville qui pense compter, Marseille comme Aix, se targue d’avoir la sienne et la présente dans ses plaquettes commerciales.
      Dans les programmes électoraux des dernières municipales, les technopoles de la mer n’ont pas manqué d’être proposées à Marseille, une façon de s’assurer des voix du côté de l’université dont le concours allait nous ouvrir des chemins radieux. Et pendant ce temps là il se passait à La Ciotat la montée en puissance et en emplois, d’un pôle dédié à la moyenne et la grande plaisance.
      Dès lors qu’on a quelques technopoles, il est difficile de reproduire ce concept, un peu hors logique d’un tissu économique réel, où généralement un contenu de type technopole se trouve déjà de façon diluée, ainsi que les marchands de moquette que les entreprises de Sophia Antipolis s’étaient plaintes de ne pas trouver, parce qu’ils n‘avaient pas droit de cité parmi toutes ces entreprises de haut vol, pardon start-up. Que peut-on d’ailleurs créer d’autre qu’une start-up ?
      Puis on ajoute là-dessus des greffes comme les salles blanches, un « maillon manquant » en PACA par rapport à Rhône-Alpes, ce qui fait travailler un certain nombre d’experts et met en mouvement des financements publics, avant que la belle création se retire sur la pointe des pieds par manque de marchés.
      C’est toujours pareil, on singe au lieu d’avoir une intelligence du contexte et de bâtir à partir de là.

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