Mémain a la patte
Nicolas Mémain. Photo : J'aime la ligne droite.
Il y a douze ans, on rencontrait l’autoproclamé urbaniste gonzo, fasciné par sa capacité à trouver de la poésie dans le béton, là où on ne voit que de la morosité (c’était avant le Mucem). On le retrouve désormais durant les Dimanches de la Canebière, où le « Montreur d’ours en béton » n’a pas perdu sa verve. Retour sur douze ans de balades urbaines.
Vous l’avez peut-être croisé lors d’une de ses visites urbaines, et si c’est le cas, vous vous en souvenez certainement : costume orange et gilet fluo ou vêtements de cantonnier parfaitement assortis avec ses chaussures à paillettes, Nicolas Mémain ne fait pas dans la discrétion. Depuis douze ans, il affine son style et embarque de plus en plus de personnes dans la découverte de la ville.
Artiste par défaut « parce que c’est la société qui m’a donné cette place là », l’urbaniste gonzo — « Je suis le seul au monde, alors si t’as besoin d’un urbaniste complètement drogué et subjectif, je suis là. Personne ne m’a encore contacté pour ça, mais c’est mon métier et je rêve d’une plaque en bronze avec “Urbaniste Gonzo, consulte de telle à telle heure” » — est avant tout un poète de l’urbanité doté d’une certaine forme d’ironie. « J’essaye de dire la vérité tout le temps, sauf que la vérité est relativement inaccessible, c’est une espèce de fantasme collectif, alors que dans l’ambiguïté, tout le monde peut trouver un truc en imaginant comprendre. C’est une technique pour laisser les portes ouvertes, mais j’essaye d’expliquer les formes pour que le public soit en intelligence avec l’environnement et structure son rapport aux choses. Après, il y a une dimension plus politique : la ville et l’aménagement. J’avoue être le cul entre deux chaises, entre la métropole et l’assemblée de la Plaine. Vulgarisateur, oui : savant pour les savants, clown pour les clowns. »
Car au fil de ses visites, il décrit, décrypte les constructions d’un quartier, d’une rue, avec force photos et plans ; le verbe haut — « Ici, l’architecte devait revenir d’un voyage en Italie et n’a pas pu s’empêcher de faire mauvais pastiche : une corniche moulée dégueulasse sur une façade rose » (devant un immeuble du début du siècle) — et la métaphore contagieuse — « À la place de cette banque, il y avait un bâtiment du XVIIe. Les bâtiments du XVIIe, ça disparaît comme une pâtisserie dans un bol de lait. » Depuis ses débuts en indépendant et après des déboires avec l’Office de Tourisme qui goûtait peu son style, il a rejoint tout naturellement l’équipe du Bureau des Guides.
C’est ainsi qu’on a pu le croiser lors des deux derniers Dimanches de la Canebière, décryptant le bâti de l’emblématique artère. « J’ai eu mon record de jauge avec en permanence deux cents personnes autour de moi, j’ai dû toucher un millier de personnes, je n’ai jamais fait autant. La prochaine fois, je vais faire Saint-Ferréol, puis Rome. » Pour le Bureau des Guides, « qui organise des grandes marches collectives dans la ville et la campagne : une espèce d’école marchante sans les murs, pour comprendre des choses avec les pieds, avec les yeux », il s’occupe également de parfaire le tracé du GR2013, un sentier périurbain de 365 kilomètres en forme de huit qui sillonne la métropole : « Il y a une compétence mal définie entre le département et la métropole, qui est celui de la grande randonnée. On défend le fait que les chemins sont aussi des chemins culturels, et pas uniquement des lieux de sport, il faut donc transformer la ville pour que la promenade soit plus agréable. Nous sommes capables de faire de la pédagogie sur les nouveaux aménagements dans un propos environnemental. » On l’aura compris, Nicolas Mémain est un passeur généreux, une interface entre l’homme et son milieu qui, avec ses mots, fait entrer ses petites histoires dans la grande.
Damien Boeuf
Ses coups de cœur
La Sociologie de Marseille par Michel Peraldi. « Je le trouve historique : cette idée selon laquelle nous ne sommes plus une métropole ou un grand carrefour international mais un bled provincial avec une économie résidentielle, c’est vachement bon, ça permet de coller au diagnostic. »
Philippe Pujol. « Quartier Shit, La Fabrique du monstre, ça a été super fort, il a fait du bien à tout le monde. »
Yohanne Lamoulère. « Ses photos d’ados des quartiers nord sont à hurler. Elle attrape un truc, un morceau de Marseille, c’est une poète du lieu, ça rentre en vibration, ça parle et ce n’est pas politiquement correct. »
Eric Pringels. « Il fait des photos en noir et blanc à contre-jour sur la Canebière, qui sont incroyablement belles avec des gueules, qu’on dirait dessinées par Goossens. »
Olivier Bedu. « Avec ses bancs de sable autour de Félix Piat, il a réinventé s’asseoir, s’adosser, se protéger de la pluie, pour les vieux Comoriens. Des chantiers écoles qui inventent une manière de ne pas faire pour le prince mais pour les résidents. »
Le collectif ETC. « Des urbanistes venus de Strasbourg, installés à la Belle de Mai, qui ont construit la grande table de Plaine. »
Balade urbaine avec Nicolas Mémain : le 30/04 dans le cadre des Dimanches de la Canebière. Rens. : http://hoteldunord.coop/nicolas-memain / www.gr2013.fr/
Liens pour aller plus loin
- GR2013 > http://www.journalventilo.fr/le-gr-2013/
- Sociologie de Marseille > http://www.journalventilo.fr/sociologie-de-marseille-par-michel-peraldi-claire-duport-et-michel-samson/
- Pujol > http://www.journalventilo.fr/linterview-philippe-pujol/
- La Fabrique du Monstre > http://www.journalventilo.fr/portrait-philippe-pujol/
- Lamoulère > http://www.journalventilo.fr/yohanne-lamoulere-main-basse-marseille-theatre-merlan/
- Collectif ETC > http://www.journalventilo.fr/le-collectif-etc/
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