MARSEILLE, VILLE DU SUD

Marseille dans la confrontation entre le Nord et le Sud

La situation de Marseille sur le littoral méditerranéen lui a toujours donné une place particulière en France. Même si cette ville s’est toujours affirmée française et si cela a depuis très longtemps fait partie de son identité, il ne faut pas oublier que, dans la mémoire longue de cette ville, il y le fait d’avoir été fondée par des voyageurs venus d’ailleurs. Dès sa naissance, Marseille s’est, ainsi, située au confluent de deux mondes, celui de l’Europe et celui de la Méditerranée, celui, aussi de l’Europe du Nord et celui de l’Europe du Sud.

Mais, dans les premiers temps de son existence, dans l’Antiquité puis dans le monde méditerranée dominé par l’empire romain et la culture grecque et gallo-romaine, la confrontation entre le Nord et le Sud n’avait pas encore connu sa signification. C’est avec l’industrialisation que le Sud va se distinguer du Nord dans le dialogue ou la confrontation entre deux logiques économiques et politiques qui finiront par devenir deux identités. Au moment de l’industrialisation de l’Europe, puis de la domination idéologique et culturelle des Etats-Unis et de ce qui deviendra l’impérialisme économique, les pays du Sud vont être les uns colonisés, par une colonisation classique, comme l’Algérie en 1830 ou par une colonisation plus sournoise, celle des entreprises du Nord au vingtième siècle et aujourd’hui.

C’est ainsi que ce qui était une simple différence va devenir une confrontation. Si les pays du Sud vont se trouver rejetés par les modèles économiques et politiques dominés par les pays du Nord, ils  vont aussi se confronter à eux dans une lutte à l’échelle du monde entier, dans le rejet de ce que l’on appellera la mondialisation, qui n’est rien d’autre que l’uniformisation du monde dans un même modèle. Dans les années soixante, des figures comme celle de Nasser, Nehru, Mao ou Hô chi Minh vont incarner cette lutte des pays du Sud dans le rejet de la mondialisation imposée par le Nord.

C’est dans ce contexte qu’il faut, sans doute, situer Marseille dans l’espace économique et politique français, européen et méditerranée, en constatant qu’au fond, Marseille est à la fois au Sud du Nord, en figurant une économie politique du Sud dans une Europe et une France elles-mêmes dominées par le Nord, et au Nord du Sud, en figurant dans l’espace méditerranée une porte d’accès au Nord pour les migrations diverses qui sillonnent la Méditerranée depuis plus de vingt siècles, en figurant à la fois le passage et la limite entre ces deux mondes.

Une identité urbaine limite et critique

Cette situation de limite et de point de passage entre deux mondes donne à Marseille un regard critique sur l’économie et la politique aujourd’hui. Sans doute est-ce de cette façon qu’il faudrait relire la politique marseillaise, pour mieux la comprendre et mieux la mettre en pratique dans notre citoyenneté. Peut-être faudrait-il se demander si, au lieu de chercher à tout prix à imposer à Marseille des modèles venus d’ailleurs, il ne vaudrait pas mieux chercher à inventer de nouveaux modèles pour cette ville et lui reconnaître une capacité critique par rapport, justement, à ces modèles du Nord qui dominent la politique de notre pays. Quatre propositions, pour repenser cette identité politique de Marseille. La première est bien de repenser la ville, comme nous l’avons dit plusieurs fois ici même : c’est la ville qui porte le modèle de demain, et, sans doute, la crise des banlieues, ou, pour parler à Marseille, celle des quartiers Nord[1], est-elle, elle-même, la manifestation d’un refus de ce modèle dominant. La seconde est de tenter d’imaginer une nouvelle économie, moins fondée, à Marseille, sur l’industrie que sur l’échange, et de concevoir de nouvelles formes d’entreprises et de management, donnant davantage de place à l’échange, à la parole et à la communication dans les lieux de travail et de socialisation. La troisième est d’instituer, à Marseille, une véritable économie de la culture : il s’agirait de développer, dans cette ville, l’activité cinématographique, les musées, les éditions, la mise en pratique des nouvelles technologies d’information et de communication dans le domaine de la culture, ce qui serait, peut-être, une spécificité marseillaise. La quatrième, enfin, serait de développer et d’améliorer encore l’offre de formation, en particulier dans le développement des universités sur le site marseillais, et de mettre davantage en œuvre dans la formation l’apprentissage de l’ouverture à l’autre, à l’échange et à la différence.