À la suite de l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne

L’INCURIE DE LA MUNICIPALITÉ DE MARSEILLE

Billet de blog
le 2 Déc 2018
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S’agit-il de l’histoire qui se répète ? Le ministre délégué chargé du logement et de la ville, Julien Denormandie, annonce qu’il va intervenir lui-même, comme « ministre du logement des marseillais », dit-il, dans le traitement de la question de l’habitat indigne et insalubre.

L’intervention de l’État : une histoire ancienne

Rappelons-nous l’incendie des Nouvelles Galeries. C’était en 1938, le 28 octobre. Il y a eu 73 morts. Peu auparavant, Henry Tasso avait été élu maire de la ville contre Simon Sabiani. L’État prend les rênes devant l’incompétence de la municipalité. Il n’y a plus de maire de Marseille, et c’est le préfet de l’époque, Surleau, qui est nommé « administrateur extraordinaire ». Ce n’est qu’en août 1944, à la Libération, que la ville retrouvera un président de sa « délégation municipale ». Il s’agit de Gaston Defferre. C’est à la suite de cet incendie et devant l’impossibilité pour les pompiers de la ville d’y faire face qu’ils sont remplacés par une unité de « marins-pompiers », appartenant à la Marine nationale. Ce sont toujours les marins-pompiers qui exercent les missions de la prévention des incendies à Marseille. C’est ainsi en 1938 que l’État, devant l’incapacité de la municipalité d’exercer pleinement ses missions, assure l’exercice du pouvoir municipal à Marseille. Aujourd’hui, il ne s’agit pas d’un incendie, mais un événement meurtrier entraine aussi l’intervention de l’État face à l’incurie de la municipalité, qui n’a pas su – ou pas voulu – entendre les appels que lui avait lancé, parmi d’autres, le rapport sur l’habitat indigne présenté à la ministre du logement, en mai 2015, par Christian Nicol sur la requalification de l’immobilier privé à Marseille. Dans ce rapport, l’expert parlait de la fragilité des copropriétés, du rôle des « marchands de sommeil » dans la ville, et de la nécessité de« structurer et renforcer le traitement de l’habitat privé, indigne ou dégradé, en lien avec les projets urbains ». C’est ainsi que la municipalité ne peut pas dire qu’elle n’était pas au courant. C’est ainsi que nous avons sous les yeux, une fois de plus, les incidences meurtrières de cette incurie des pouvoirs municipaux à Marseille.

 

Quand les problèmes du logement et de l’espace urbain deviennent pleinement politiques

C’est en raison de cette incurie des municipalités, celle, pour ne citer que ces deux exemples, d’H. Tasso, en 1938, et de J.-C. Gaudin, en 2018, que le logement devient, à Marseille, un problème politique, pour trois raisons au moins. D’abord, c’est un problème politique parce qu’il engage la façon dont la municipalité exerce ses pouvoirs – ou, plutôt, ne les exerce pas. Devant les alertes qui lui avaient été lancées dès 2010, puisque c’est le 30 mars 2010 que, selon l’article de V. Artaud (Marsactu, 30 novembre 2018), Madame Dole en faisait état auprès d’un expert judiciaire, la municipalité aurait dû prendre les mesures qui auraient permis d’éviter le drame qui surviendrait huit ans plus tard. Par ailleurs, c’est un problème politique car il engage les logiques de l’aménagement et des usages de l’espace urbain, qui est un territoire dont la gestion est confiée à une municipalité élue. C’est la municipalité en fonction depuis 1995, celle de Jean-Claude Gaudin, qui aurait dû consacrer des moyens, notamment financiers, à la préservation et à l’entretien du centre-ville, au lieu de les consacrer à des équipements coûteux et inutiles comme le développement du Stade Vélodrome ou le développement des équipements commerciaux. La municipalité dirigée par Jean-Claude Gaudin a fait le choix du profit au lieu de faire celui de la qualité de l’habitat, en bonne logique libérale. Enfin, la question du logement est un problème politique car c’est au moment des élections municipales, en 2020, que sera engagée une sanction. À ce moment, il faudra bien que la municipalité sortante rende des comptes à la population de Marseille.

 

Une municipalité majeure ou mineure ? La question de la tutelle

C’est une autre signification politique de l’intervention de l’État qui se substitue une fois de plus à la défaillance de la municipalité : tout semble se passer comme si la municipalité de Marseille n’était pas assez politiquement adulte pour pouvoir échapper à la tutelle de l’État. Les habitants de Marseille semblent ne pas être assez adultes pour choisir librement la municipalité à qui confier les pouvoirs sur la ville – et, d’ailleurs, au-delà, su la métropole. Les habitants de Marseille ne seraient pas des citoyens comme les autres, se trouvant ainsi exposés deux fois à l’incurie de leur municipalité : une première fois dans la destruction d’immeubles et dans la manifestation de l’ampleur de l’habitat indigne et insalubre dans la ville, et une deuxième fois dans les logiques politiques qui dénient à leur ville l’identité et le statut d’une cité libre. C’est dire combien la situation est grave, ici, à Marseille, au crépuscule de la municipalité dirigée par J.-C. Gaudin – peut-être aussi au crépuscule des identités politiques marseillaises de l’immédiat après-guerre.

 

L’aveu de la faiblesse de la municipalité : la violence

Sans doute est-ce à l’issue de la manifestation pacifique qui avait eu lieu le samedi 1er décembre pour exprimer la colère citoyenne des habitants de Marseille que la municipalité montré sa faiblesse : au lieu d’engager un débat, elle a choisi d’utiliser la violence sous la forme des gaz lacrymogènes. Il faut bien comprendre cet usage de la violence à la fois, comme le disait Max Weber, comme la manifestation du pouvoir de l’État, détenteur, selon lui, du monopole de la violence légitime, et, dans la situation dans laquelle nous nous trouvons, aujourd’hui, à Marseille, devant les incuries de la politique du logement de la municipalité contre laquelle protestait la manifestation de ce samedi, comme une expression du vide, de l’absence de projet, et du refus du débat public exprimés par le pouvoir de la municipalité dirigée par J.-C. Gaudin. Cette violence, liée à une forme d’inculture et de grossièreté, s’est exprimée à la fin de la manifestation : au moment où nous repartions, ma femme, avec qui je participais à la manifestation, dit ironiquement à quelques policiers qui étaient sur notre chemin : « merci pour les lacrymo », et, au lieu de ne pas répondre, ils lui répondent : « c’était un plaisir ». C’est bien ainsi que la violence engagée par les institutions devient une forme pleinement illégitime. Au-delà, cette faiblesse des pouvoirs municipaux et cette violence pourraient entrainer d’autres formes de violence. En tous les cas, ils vont approfondir un peu plus le fossé qui sépare les pouvoirs du peuple de la ville, sans doute de la même façon que l’écart se creuse entre le pouvoir exercé par E. Macron et la nation.

 

2 décembre 2018

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