LE VOL DE LA MER

Billet de blog
le 10 Déc 2022
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La mer est présente, à Marseille : non seulement elle borde la ville, mais elle nourrit son histoire, fonde son économie, est à ‘origine de nombreux projets. Mais « la mer marseillaise » est-elle vraiment la mer ?

 

Les déformations de la mer à Marseille

On a l’impression qu’à Marseille, la mer n’est pas la mer, qu’elle ne répond pas à ce que l’on peut attendre d’elle. Pour avoir une idée de ce qu’est réellement la mer, il faut sortir de la ville, il faut voir comment la mer a été conquise par la ville, par celles et ceux qui y travaillent, par son économie, aujourd’hui par son tourisme. À Marseille, la mer n’est plus tout à fait la mer : elle est une source d’énergie, elle est un espace dans lequel les bateaux circulent, elle est une agora, au sens où elle a fini, au fil du temps, par devenir un marché – ou, plutôt, devrait-on dire : elle a été réduite à un marché. Celles et ceux qui habitent la ville, mais aussi celles et ceux qui s’y arrêtent au cours d’un voyage, ne connaissent, finalement, de la mer que ce en quoi elle peut leur être utile. La mer a été déformée, elle a changé d’aspect, elle a une autre figure que celle qui était la sienne. Alors que la mer est là pour se confronter à la terre et à celles et ceux qui y demeurent, on a l’impression qu’à Marseille, elle s’est transformée en l’objet d’un rapport de forces entre des peuples et une figure de la nature. Dans cette ville, on est sans cesse confronté au réel de la nature, car on y vit au bord de ce qui est la nature sauvage, la nature indomptable. C’est bien pour cela que, dans la mer, on est confronté à elle dans une lutte de tous les instants, comme l’ont montré celles et ceux qui tentaient de naviguer à bord de l’Ocean Viking et qui n’ont pas pu vaincre la force violente de la mer. Mais, au fond, ce que Marseille a connu au fil de son histoire et ce que nous raconte sa mémoire, c’est la manière dont, en cultivant la mer, en faisant d’elle une figure de culture et de d’échange, les femmes et les hommes l’ont déformée, lui ont arraché ses traits d’origine pour la dompter, pour la vaincre. Un des traits majeurs de cette déformation de la mer marseillaise est son éloignement des milieux populaires. À Marseille, dans l’histoire, ce sont les petits maisons des pêcheurs et des marins qui faisaient vivre la ville de la mer, ce sont les quartiers populaires qui étaient proches de la mer, mais, au fur et à mesure que le temps passait, la mer s’est déformée pour devenir un objet de commerce, dans l’immobilier, et, dans le domaine du tourisme, un objet de consommation. C’est ainsi que les activités liées à la mer l’ont peuplée, à Marseille, d’objets de loisirs, de biens de consommation, voire ont transformé la mer en une actrice jouant des rôles de vedette dans les séries, dans les films, dans toutes sortes de spectacles. À force de changer de forme et de rôle, la mer ne se reconnaît plus elle-même.

 

L’emprisonnement de la mer dans la ville

La mer a été confisquée par la ville, qui s’en est emparée, en se livrant, en quelque sorte sur sn dos, à toutes sortes d’activités de plus en plus éloignées d’elle. D’abord, la ville a utilisé la mer pour refonder un nouvel urbanisme contemporain, presque tout entier livré au marché, à l’argent, au commerce. On peut citer, par exemple, la transformation des anciens locaux de l’entreprise Legré-Mante, à la Madrague de Montredon, qui vont devenir une résidence de luxe. Cette manière qu’a la ville de s’emparer de la mer pour ne plus avoir à se confronter à elle mais pour la réduire à un instrument d’enrichissement est un véritable vol. La mer ne vit plus, elle n’agit plus comme par le passé, elle se contente de supporter les gigantesques bateaux de tourisme dont nous avons déjà parlé ici, de servir d’espace à des activités touristiques qui n’ont pas d’autre vocation que celle d’accroître les profits de quelques entreprises et de quelques acteurs. C’est au point qu’au fond, la mer a été emprisonnée par la mer, parce que celle-ci a oublié qu’elle lui devait sa culture et sn identité. Marseille est née de la mer, mais elle ne s’en rend plus compte, elle ne le sait plus : tout ce qu’elle voit de la mer, c’est qu’elle lui permet de faire des bénéfices au détriment des milieux marins. Car c’est aussi cela, l’emprisonnement de la mer par la ville : elle est toute entière soumise à la pollution des acteurs dits sociaux qui finissent par la détruire. Finalement, le vol de la mer aura fini par imaginer une nouvelle pathologie : ce que l’on appelait auparavant le mal de mer ne désigne plus la même maladie. Ce mal de mer nouveau, ce ne sont plus les femmes et les hommes qui en souffrent, c’est la mer elle-même qui en est malade, du fait des pollutions, des ordures qui se déversent sur elle, de l’absence de l’entretien qui pourrait lui donner une nouvelle jeunesse. Le mal de la mer, c’est d’être réduite à un bien de consommation. On pourrait parler de prostitourisme, à propos de ce que ceux qui se sont emparés de la mer lui font subir à longueur de temps. La mer a été volée parce qu’elle finit par ne plus être un domaine d’activités dans lequel les femmes et les hommes de la ville se reconnaissent, comme c’était le cas auparavant, mais qu’elle est devenue un objet pour les voyeurs qui la regardent sans rien y faire que des photos et pour les pollueurs qui se servent d’elle pour se débarrasser de leurs nuisances. Pour en finir avec le mal de la mer, il est urgent d’imaginer, à Marseille, une écologie de la mer, qui finisse par lui permettre de redevenir maîtresse d’elle-même en imposant aux voleurs de la restituer. La mer doit redevenir ce qu’elle fut si longtemps : un espace de culture, d’identité, permettant à la ville de se fonder. Aujourd’hui, c’est à la ville de refonder la mer en retrouvant ce qu’elle devrait toujours être : un domaine mouvant de formes et de courants, de rencontres et de paroles, un espace dans lequel se parle sa langue et dans lequel se retrouve toute une histoire. Jamais peut-être les mots de Baudelaire n’ont été si justes :

Homme libre, toujours tu chériras la mer

La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme

Dans le déroulement infini de sa lame,

Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.

Il est temps que Marseille retrouve sa vérité dans la réalité de cette mer.

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