Le grand bleu

Idées de sortie
le 9 Juin 2017
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Ahmad Jamal (photo : Franck Stweart)
Ahmad Jamal (photo : Franck Stweart)

Ahmad Jamal (photo : Franck Stweart)

À quatre-vingt-sept ans, l’as des quatre-vingt-huit touches est plus créatif que jamais. Il est à l’origine d’une composition éponyme en hommage à la cité phocéenne, lui qui n’a cessé de revivifier les standards avec le brio qu’on lui connaît. Voilà qui en bouche un coin aux thuriféraires du jeunisme. Avec une version vocalisée par la sulfureuse Mina Agossi, diva franco-béninoise d’un jazz décalé, et une autre confiée au verbe prosodique d’Abd Al Malik, le slammeur soufi, le « maître de la Great Black Music », appose sa griffe dans notre histoire (il est en effet plus que réservé sur le terme « jazz »). On sait que, depuis le passage de Claude McKay, Marseille est un creuset de l’identité afro-américaine ; or, plus que de boucler la boucle, Ahmad Jamal revivifie cette tendance de l’universel phocéen.
L’aurait-on croisé au détour de Belsunce, lors d’une de ses nombreuses balades urbaines, qu’on ne l’aurait pas cru ? Las, celui qui “espantait” Miles Davis par sa gestion des silences a trouvé dans notre métropole méditerranéenne des sources d’inspiration à même de magnifier son jeu impressionniste (sans négliger de rendre hommage au trompettiste mythique via une citation du Jean-Pierre que ce dernier avait commis sous l’égide de Marcus Miller). Une ville où il aime se perdre, où les contrastes sociaux et les paysages lui ont pris les tripes. Toutes sensations que l’on retrouve dans son jeu pianistique, agrémenté par des sidemen hors pairs. Saluons ici le retour de l’immense James Cammak à la contrebasse, plus que jamais au service de l’architecte, ou encore de Manolo Badrera aux percussions (un ancien de Weather Report, référence ultime du jazz rock), aux côtés de Henry Riley à la batterie (vu aux côtés de Wynton Marsalis, et l’on sait la prédilection du pianiste pour le drumming néo-orléanais, trempé dans la source Caraïbe). Car si Monsieur Jamal a établi les bases du trio jazz il y a environ soixante ans avec les redoutables Israël Crosby et Vernell Fournier, il n’a eu de cesse de se remettre en question tout en restant fidèle à ses valeurs d’homme libre.
Que des cuistres l’aient dédaigné du fait de ses succès commerciaux dès son hit Poinciana en 1959, ou du fait de son appétence pour la soul et les musiques populaires, cela ne l’a jamais empêché d’être le héraut d’une quête de dignité et de spiritualité. Ainsi de son patronyme musulman, l’arrachant à la condition de descendant d’esclave, comme l’avaient fait nombre de boppers — tel le regretté Yusef Lateef, avec qui il tournait il y a une dizaine d’années. Loin de tout rigorisme, cet islam ahmadiste spécifiquement étasunien le pare d’une aura qui renforce sa légitimité à s’emparer du gospelissime Sometimes I Feel Like A Motherless Child sur son nouvel opus. Son sens de l’espace, du groove et du swing n’a d’ailleurs pas échappé aux rappeurs : Nas, Common et consorts ont ainsi joyeusement samplé son album The Awakening (1970), comme le rappelait récemment Chris Read de l’excellente revue Wax Poetics. Un rappel qui ne manquera pas d’avoir du sens dans l’une des capitales du rap. Deux dates à l’Opéra de Marseille qui vont définitivement imposer la cité phocéenne comme une capitale de la Great Black Music. Avec, même, l’incunable Autumn Leaves au programme…

Laurent Dussutour

Ahmad Jamal feat. Abd Al Malok et Mina Agossi : les 12 & 13/06 à l’Opéra de Marseille (Place Ernest Reyer, 1er). Renseignements

Rencontre avec le musicien le 10/06 à la BMVR Alcazar (58 cours Belsunce, 1er. Renseignements

Et à la FNAC Marseille, Centre Bourse, 13001. Renseignements

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