Lecture du livre de Marcel Roncayolo, « le géographe dans sa ville » (suite et fin)

La fluidité dans le temps présent

Billet de blog
le 3 Sep 2016
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À l’issue des quelques notes que nous avons prises à la lecture du livre de Roncayolo pour mieux le présenter aux lecteurs de Marsactu, nous voudrions questionner le temps dans l’espace, à partir de ces quelques mots que l’on peut lire à la fin du livre (p. 242) : « La géographie n’est pas de rendre compte de la stabilité, d’un état d’équilibre, mais de discerner la fluidité dans le temps présent ».

La fluidité dans le temps présent
La fluidité dans le temps présent

La fluidité dans le temps présent

Le propos de Marcel Roncayolo  sur la fluidité dans le temps présent est important car il s’agit à la fois de l’esquisse de ce que l’on pourrait appeler un projet pour le géographe et d’une articulation entre l’espace et le temps dans le champ de la ville. Sans doute pourrait-on ajouter à cette idée de la fluidité de l’urbanité dans le présent un autre mot : ce qu’il faut lire dans la ville en questionnant l’espace urbain et les transformations dont il porte la trace, c’est la marque de la différence.

Si la ville est un carrefour topographique, mais aussi social (p. 18) et un lien de porosité (p. 21),  c’est qu’elle imprime le temps dans l’espace qu’elle offre aux regards, à l’expérience, à l’habiter. D’ailleurs, sans doute faut-il se rappeler qu’habiter un lieu, et, en particulier, une ville, c’est, justement, y inscrire son propre temps, y retrouver son identité dans la permanence de son séjour dans l’espace urbain. Ce que Roncayolo appelle, ainsi, la fluidité, sans doute est-ce la manifestation, dans l’espace urbain, de la multiplicité des temps, de la pluralité des temporalités inscrite dans l’architecture, dans le patrimoine, dans les paysages, dans ce que Roncayolo appelle, à propos du Vieux-Port (p. 199-200), le chevauchement, (l’)entrecroisement des apports du temps dans l’image fixée.

On songe une fois de plus, en lisant Roncayolo, à la fois à J. Gracq et à Proust, qui, lui aussi, lit les traces du passé dans les pavés de Martainville, en faisant, ainsi, dans sa pratique de la ville et de l’espace urbain, l’expérience de la multiplicité des temps et de leur différence. Sans doute cela est-il particulièrement vrai à propos de Marseille, en raison de l’âge de la ville, fondée comme identité en 2600 avant J.-C., et en raison, par conséquent, de la multiplicité des temps qui peuvent s’y lire : au Vieux-Port, l’Hôtel de Ville du XVIIème siècle côtoie les immeubles construits par Pouillon au vingtième siècle, et, derrière la Bourse, elle-même construite au XIXème siècle, les vestiges de la Marseille du temps des Grecs anciens côtoient le Centre méditerranéen de commerce international et ce que l’on appelle le Centre-Bourse.

Dans son livre, Roncayolo propose cinq significations de cette multiplicité des temps dans l’urbanité marseillaise.

D’abord, il s’agit des évolutions et des ruptures de l’histoire. Si les apports multiples du temps s’entrecroisent dans la ville, c’est que le temps de la ville n’est pas un temps uniforme, homogène : à Marseille (comme, d’ailleurs, sans doute, dans toutes les villes), le temps n’est pas monotone, il est fait des différences qui donnent sa vie à l’histoire. Roncayolo montre, ainsi, par exemple, comment le port est une succession d’espaces et d’aménagements (p. 61).

Par ailleurs, c’est la lecture de la pluralité des temps qui donne sa signification pleine à la déambulation du géographe dans la cité. C’est ici que le livre de Roncayolo revêt sa dimension épistémologique : il ne s’agit pas seulement d’une réflexion sur la ville, mais il s’agit aussi d’une réflexion sur la pratique du géographe, d’une conception de la géographie. Pour Roncayolo, qui le montre à propos de Marseille, le géographe ne se contente pas de décrire l’espace et de l’analyser : pour être pleinement géographe, encore faut-il lire et questionner dans l’espace que l’on parcourt, cette multiplicité des temps. Roncayolo rencontre ici un projet esthétique, celui de Robbe-Grillet, qui parle d’une topologie de la cité.

De plus, sans doute est-ce cette multiplicité des temps qui construit la singularité de l’identité de Marseille. C’est dans le dialogue et l’échange entre les temps que cette ville élabore son identité, tout au long de l’histoire, de ses ruptures et de ses pérennités, de ses temps de violence et de ses temps de paix. On peut, ainsi, trouver dans le livre de Roncayolo la lecture proposée par le géographe de l’histoire de la ville. « Marseille », écrit l’auteur (p. 209), « est son propre mouvement, fondant les temps et les espaces de la ville, combinant ou opposant, selon les cas, la ville et la mer, le paysage naturel et le construit ». En se fondant, ainsi, sur la confrontation entre plusieurs modes d’expression de son identité, la ville construit son histoire avec ce que l’on pourrait appeler les pierres et les chemins du temps.

Il y a dans la ville, une sorte « d’intertemporalité » qui se manifeste dans « l’interspatialité » des lieux de la ville. C’est ce qu’exprime Roncayolo quand il écrit (p. 234) : « Le lieu est au point de rencontre d’une vision, d’une pratique et d’une réflexion. Il n’est pas seulement l’endroit où l’on se tient ; il compte d’abord par sa relation avec d’autres lieux, par ses rapports entre l’intérieur et l’extérieur. Et c’est ce mouvement tel qu’on le perçoit qui lui donne du sens ». Ce qui définit, ainsi, le temps de la ville, c’est la possibilité qu’il offre à l’habitant comme au voyageur de lire dans ses formes et dans ses figures la rencontre entre plusieurs espaces, chacun étant pourvu d’une temporalité propre.

Enfin, parce qu’il s’agit d’un espace que l’on habite, la pluralité des temps de la ville est double : elle est à la fois singulière et collective. On peut, ainsi, faire de la ville une médiation temporelle de l’espace. Dans son livre, Roncayolo n’oublie pas de faire parler sa subjectivité. Dans « ces vues successives, morcelées, qui constituent cette impression de discontinuité » (p. 215), le géographe lie l’articulation de la singularité de son expérience psychique de la ville et la dimension collective de la citoyenneté et du politique.

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