Journée Roms à Yes We Camp

Billet de blog
par Lagachon
le 24 Juin 2013
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Je suis en train de lire “Stigmate” d’Ervin Goffman, un livre qui traite des individus qui s’éloignent de la norme (stigmatisés et/ou stigmatisables), de la perception et des attentes qu’en ont les “normaux”. Ce livre me passionne et j’ai eu l’occasion de mettre en pratique ce que Goffman appelle les situations mixtes (rencontre entre normaux et stigmatisés) cet après-midi à Yes We Camp, qui organisait une journée autour de la culture Rom.

Il se trouve que comme la plupart des gens qui ne bossent pas dans l’humanitaire, je n’avais pas eu jusque-là l’occasion d’être “avec des Roms”, je mets des guillemets parce que je dis être dans le sens de partager un même espace de convivialité. Bien sûr, j’ai déjà vu des Roms dans la rue, aperçu un camp depuis l’autoroute ou le train, et bien sûr à la télévision ou dans la presse.Voilà d’où je partais, et peu importe l’image que j’avais des Roms, j’avais conscience d’un problème dont je savais surtout que je n’en savais rien et qu’il me semblait que beaucoup de gens en parlaient souvent, sauf les principaux intéressés.

Mais c’était justement l’enjeu de cette journée : nous mettre face à face, interroger notre image, partager un moment ensemble, se voir et comprendre que finalement, peu de choses nous séparent. On peut ne pas avoir besoin de ça pour le savoir, c’est vrai, mais ce genre d’expérience change forcément notre perception de l’autre. Car on peut ne pas être au courant de tout ce qui crée le problème Rom, mais un citoyen qui entend l’être pleinement ne peut se satisfaire de la situation actuelle en pensant qu’elle ne leregarde pas.

“Bienvenue chez les Roms de Yes We Camp… mais on peut vous expulser aussi à tout moment !” L’organisateur commence fort ! Après une rapide présentation des intervenants (associations, militants et surtout parents et enfants Roms installés à Plombières ou à Toulon), on nous distribue une feuille pour dessiner ce que nous évoque le mot “Rom”… Crispation… Que vont dessiner les gens ? Apparemment, les amis de Guy Teissier n’auront pas traversé Marseille, et le contrôle social faisant le reste, personne ne devrait faire de dessin insultant. Effectivement, tout se passe plutôt bien…

“-Ils vivent en symbiose avec la nature.

-Tu veux dire qu’ils sont sauvages ?

-Non, pas du tout, ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit.”

On sent que l’animateur a envie de pousser dans le négatif pour mieux rebondir après mais que le public n’a pas prévu de se laisser faire… Heureusement, des clichés sortent d’eux-mêmes : “Guitare ou flûte, et liberté”, “Longue jupe, gens en voyage, de grandes dames qu’on remarque”, “C’est la liberté de jouer sa vie”… Bref, assez pour que l’animateur puisse conclure “qu’on ne sait pas ce que c’est qu’être Rom”, et qu’une clarification était nécessaire.

D’où viennent-ils ? Que signifie le mot “Rom” ? Quelle est la différence entre Tsigane, Romanichel, Rom, Gitan… On a notamment appris que Tsigane vient du grec et Gitan de l’appellation Egyptien (qui donnera Gipsy) qu’on leur donnait en Grèce. J’ai oublié les détails et je ne voudrais pas dire de bêtises là-dessus, je vous encourage donc à chercher des définitions précises si ça vous intéresse. La première mention de leur présence en France date de 1419, et la dernière vague migratoire vient de Roumanie et Bulgarie. C’est autour d’eux que se cristallise le débat.

Si j’ai bien compris le sens des interventions des représentants associatifs et des Roms, voilà quelques points qui sont à prendre en considération dans le débat (en sachant que mon compte-rendu est partial, je n’ai pas tout retenu) :

  • Ceux qui ont témoigné disent vouloir s’installer en France, rêvent d’une maison, d’un travail et de pouvoir scolariser leurs enfants. Ils ne sont nomades que par obligation, chassés d’un endroit à l’autre.
  • Ils se voient généralement refuser les permis de travail, ce qui leur ferme pas mal de portes par la suite.
  • La scolarisation des enfants est compliquée par trois facteurs : les expulsions et reconduite aux frontières rompt le processus, certains chefs d’établissements refusent de les accueillir dans des écoles déjà difficiles, certains parents refusent que leurs enfants soient scolarisés et une responsable associative de conclure justement : “on ne peut pas dire que untel est bon ou méchant, on sait juste que c’est compliqué”.

Je n’ai rien de spécial à écrire sur le nomadisme car je me demande encore à quel point les personnes que l’on a vu sont représentatives, ou disons que le stigmate du nomadisme est très ancré en moi et que j’aurais besoin d’en discuter plus pour être convaincu. En revanche, sur le travail et l’éducation, ces témoignages remettent les choses en perspective.

Le mot “permis de travail” me semble une aberration, pourquoi quelqu’un qui veut travailler ne pourrait-il pas chercher librement un boulot ? Ça ne veut pas dire garantir un travail à chacun, mais juste permettre à tous d’en chercher un ou d’exercer une activité, d’essayer quelque chose. Marseille a souvent grandi grâce aux nouveaux arrivés, on peut même dire qu’elle les a exploités, mais même dockers mal payés ou journaliers : il y avait une possibilité de faire quelque chose. Aujourd’hui, coincé dans une France qui n’arrive pas à choisir entre un système très encadré et très redistributif qui permet à l’État de prendre en charge la précarité, ou un système très ouvert où chacun à une chance ; Marseille ne permet plus aux derniers arrivés d’essayer de s’en sortir, elle les bloque, elle bricole, elle expulse et elle croise les doigts pour que le front national ne passe pas les 50%…

La scolarisation, qui est revenu suffisamment pour que l’on comprenne qu’elle était au centre des enjeux. On a notamment entendu une petite fille s’exprimer dans un marseillais sans faute, ce qui permet de rappeler à ceux qui en doutaient que l’intégration passe par l’école (pour les Roms comme pour les autres) et notamment par la maîtrise de la langue. Mais comment suit-on une scolarité normale en vivant dans la rue ? On est loin de l’esprit de Ferry, où les instituteurs prenaient aussi en charge l’hygiène ? Et bien pas forcément, certains directeurs d’école acceptent d’ouvrir l’école plus tôt pour que les enfants puissent se laver avant d’aller en classe, et on nous a même parlé de parents d’élèves qui acceptaient de laver le linge de ceux qui n’avaient pas accès à l’eau courante. Mais là encore, on bricole.

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Après ces présentations est venue le temps des questions. Je dis questions et pas débat parce qu’un homme se présentant comme “immigré tunisien”, qui partageait une perception plutôt en décalage avec les associations présentes (pour reprendre ses mots : “la France a bon dos, que font les Roms pour s’en sortir ? Moi aussi j’ai immigré ici, personne ne m’a aidé et je m’en suis sorti, il ne faut pas cracher dans la soupe”) a clairement été invité à ne pas lancer de débat, mais à plutôt poser des questions naïves sur la culture Rom. C’est vraiment dommage d’avoir fermé la porte aussi vite, cette personne, certes un peu agressive dans sa formulation (mais pas plus qu’une militante très remontée qui défendait la cause), soulevait un point de vue partagé par beaucoup de marseillais (cf les CIQ) et n’a pas eu de réponse alors que c’était l’occasion.

Du coup, la suite était un peu moins intéressante, des gens acquis à la cause ont posé des questions consensuelles, on a encore appris quelques choses, notamment sur l’enseignement, la minorité aisée (2000 Roms sur 2 millions environ, notamment les mafieux et ceux qui pratiquent le prêt usurier sur les autres Roms).

S’en est suivi un moment fanfare et concert où  il a été difficile de se mélanger totalement : quelques hommes Roms ont invité des militantes associatives à danser, mais pas l’inverse. Et on a vu peu d’échanges mixtes, sauf chez les enfants, mais il est vrai que la barrière de la langue est ici un vrai problème, si on ajoute à ça le poids des stigmates, on peut se dire que c’est déjà pas mal, et pour ceux qui voudrait poursuivre, une kermesse est organisée au 91 Plombières à partir de 15h le 30/06.

Enfin, il flottait quand même un air de Guédiguian première période dans ce moment de convivialité, on est pas à l’Estaque pour rien. J’ai personnellement évolué sur la question à l’occasion de cette journée, je suis convaincu que c’est très compliqué, qu’une solution efficace ne peut pas faire l’économie de la sédentarité (apparemment recherchée), du travail et de l’école. Puisque la prime de retour en Roumanie est clairement un échec, ne pourrait-on pas employer cet argent à tester une autre stratégie ?

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Commentaires

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  1. Lou Lou

    Gentil reportage, mais bien loin de ce que vivent actuellement les familles dites Rroms de Marseille, chassées dans la peur par la police de trottoir en trottoir en étant obligées à chaque fois d’abandonner quelques unes de leurs maigres possessions.
    Pourtant, comme ils sont ingénieux en construisant en quelques jours (quand ils arrivent à rester quelques jours quelque part) des cabanes je dois le dire beaucoup plus jolies et confortables que celles de Yes we camp, et comme ils ont le désir de s’intégrer et que leurs enfants aillent à l’école.
    C’est pour cela qu’ils s’accrochent à la France, beaucoup plus encore que parce que nos poubelles sont plus riches que dans leurs pays d’origine et qu’ils y trouvent un tout petit peu moins de racisme.
    Continuez à parler à ceux qu’on désigne comme Rroms, et informez vous sur leur situation et leurs permanentes expulsions à Marseille, par exemple en allant taper ce mot et en regardant les photos sur le site de Mille Bâbords (http://www.millebabords.org).
    Merci pour votre empathie.

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