Des drames aux mécontentements

EFFONDREMENTS, CLIMAT, GILETS JAUNES

Billet de blog
le 9 Déc 2018
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Trois événements, qui semblent n’avoir pas de lien entre eux, se déroulent en même temps et se rencontrent à Marseille. Mais peut-être, après tout, ne sont-ils pas aussi éloignés que cela l’un de l’autre.

La rue d’Aubagne et ses incidences politiques

Il est temps, désormais, de penser la dimension pleinement politique de l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne. C’est ce qu’a refusé la maire des premier et septième arrondissements, lors du Conseil d’arrondissements du 6 décembre. À un conseiller d’arrondissement, C. Pellicani, qui proposait que le Conseil d’arrondissements adopte un « vœu » appelant la Ville de Marseille et les autres institutions locales de s’engager dans une politique active du logement et de l’immobilier, afin de tirer les leçons du drame, elle a refusé d’engager un débat, estimant que ce n’était pas de la compétence du secteur des premier et septième, alors que, précisément, le propre d’un vœuest d’interpeller les pouvoirs concernés afin qu’ils prennent des mesures. Au lieu du débat, la maire a voulu que le Conseil d’arrondissements prenne une minute de silence en hommage aux victimes. Il s’agissait, ainsi, de ne penser les événements de la rue d’Aubagne que dans la violence de leur dimension personnelle et de les lire avec l’émotion qu’ils suscitent en refusant d’engager le débat qui aurait permis de leur donner leur dimension pleinement politique. De cette manière, la maire a refusé que le Conseil d’arrondissements joue pleinement son rôle d’espace de débat politique, en refusant qu’il se livre à la réflexion et à la discussion qui auraient permis que leur soit pleinement reconnue leur signification politique et qui les auraient vraiment inscrits dans l’histoire de la politique de la ville. Mais, si l’on réfléchit bien, on peut se rendre compte que, de cette manière, la maire du secteur rejoignait la posture politique du président de la République et du gouvernement à l’égard de la crise des « gilets jaunes », qui consiste à la réduire à l’expression d’un mécontentement ponctuel sans reconnaître sa signification politique, celle de la critique et de la contestation de la politique engagée aujourd’hui par l’État dans le domaine de l’énergie et, au-delà, sans doute, celle du rejet global de cette politique.

 

Signification du mouvement des « gilets jaunes »

Bien sûr, à la différence des événements de la rue d’Aubagne, le mouvement des « gilets jaunes » n’est pas propre à Marseille et n’a peut-être pas sa place dans l’espace de débat ouvert dans « Marsactu ». Mais il ne faut pas croire qu’ils sont si éloignés que cela. En effet, ils ont au moins un trait commun, très important : l’effondrement des immeubles de la rue d‘Aubagne et la politique engagée au sujet des taxes sur le carburant sont, l’un et l’autre, des manifestations de ce que Max Weber appelait la violence légitime, celle qui est exercée par l’État, qui se définit justement par le fait qu’il en a le monopole. Si Max Weber définit l’identité qui caractérise l’État, parmi les autres acteurs politiques, par le fait de détenir le monopole de la violence légitime (legitimer, écrit-il), c’est-à-dire de la violence conforme à la loi (alors que la violence, d’une manière générale, consiste à échapper à la loi, à la transgresser), qu’il s’agisse de la guerre ou de la violence de la répression, ce n’est parce qu’il accepte l’exercice de cette violence et qu’il la considère comme conforme à la morale, mais c’est parce qu’il constate qu’il s’agit d’une violence qui est prescrite par la loi. C’est cette loi même qu’il s’agit aujourd’hui de contester quand on se trouve devant les abus de cette violence, comme quand la politique de la ville en matière immobilière, qui consiste à ne pas intervenir et à laisser le marché opérer en toute liberté, entraîne des morts, quand la violence policière entraîne des blessés au cours des manifestations des gilets jaunes ou de ceux qui les soutiennent en exprimant leur mécontentement devant la politique de l’État ou encore quand une dame de 80 ans meurt à Marseille, après avoir reçu, dans son appartement, une grenade lacrymogène lancée par des policiers au cours de la manifestation du 1erdécembre. Dans ces moments, la violence de l’État a beau être légitime parce qu’elle est considérée comme conforme à la loi, elle n’en pas moins intolérable.

 

La violence et le climat

Et c’est ainsi que la signification des événements de la rue d’Aubagne et celle des manifestations des gilets jaunes rejoint celle de la marche pour le climat. Car, finalement, la méconnaissance des pouvoirs à l’égard de la menace du réchauffement climatique liée à l’excès de production et de consommation d’énergie manifeste, elle aussi, une forme de violence, qui porte, elle, sur l’espace dans lequel nous vivons. Marcher pour revendiquer la mise en œuvre d’une politique de l’énergie et de l’écologie permettant un ralentissement du réchauffement climatique exprime aussi le rejet de la violence énergétique et climatique des politiques libérales menées dans le monde entier. Ne nous trompons pas : il s’agit d’une autre forme de violence, mais d’une violence tout aussi meurtrière que les autres. La politique climatique est une manifestation nouvelle de la « violence légitime » de l’État, que Max Weber, bien sûr, ne pouvait pas prévoir quand il écrit Le métier la vocation de l’homme politiqueen 1919, au lendemain de la première guerre mondiale. C’est dans la suite de ce siècle que l’État a imaginé les nouveaux modes de violences légitimes, les nouveaux modes de répression, les nouveaux modes d’excès de pouvoir, que nous connaissons aujourd’hui, parce que c’est aujourd’hui que nous les subissons et que, par conséquent, nous devons les dénoncer.

 

Qui sème la misère récolte la colère

C’étaient les mots qui étaient scandés par les manifestants qui, hier, défilaient dans les rues de Marseille pour protester contre la violence manifestée par le libéralisme en s’en prenant au climat, par la violence du réchauffement, en s’en prenant aux classes populaires par la violence exercée contre elles par les excès menés par une politique détruisant les espaces de vie, les lieux de travail et les entreprises, les emplois et les retraites. Mais, hier, à Marseille, un pas supplémentaire a été franchi, d’abord par les gaz lacrymogènes qui empêchaient les citoyens de manifester leur mécontentement, puis par les blindés qui venaient transformer l’espace de la ville en un espace de guerre. Curieuse conception de la démocratie que celle dans laquelle le pouvoir s’exerce par les blindés.

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