… dans la même direction
Elle est plasticienne et collectionneuse. Il est photographe et plasticien. Mais tous deux sont aussi médecins gynécos et ont compris comment le mal dit ou le mal nommé peut devenir maladie, et comment l’invisibilité ou la violence s’exercent trop souvent sur le corps des femmes. Au Musée du Pavillon de Vendôme, ils nous donnent à voir, de manière brute ou artistique, le monde autrement.
Oeuvre d'Édith Laplane. (Photo : DR)
On a découvert La curieuse cabine d’Édith, artiste et collectionneuse en 2021 lors d’une visite guidée au Pangolin à Marseille, puis ses Sexvotos et Cætera dans la galerie parisienne de Rachel Hardoin en 2023. D’abord émerveillé par la finesse et la richesse de ses créations, on a regardé amusé et quelque peu bousculé, comme d’autres visiteurs, comment des objets du quotidien, transformés ou pas, peuvent s’apparenter à des vulves et des clitoris. En nommant le plus naturellement du monde ces parties intimes trop souvent invisibilisées, ce n’est pas seulement le corps de la femme qu’Édith Laplane nous donne à voir autrement, mais le monde qui nous entoure. De la même façon que les mouvements féministes ou #MeToo nous dévoilent la prégnance du masculin sur les mots ou les comportements qui nous ont jusque-là accompagnés.
Au Musée du Pavillon de Vendôme, chaque mot sur chaque cartel est soigneusement choisi et les trouvailles de l’artiste sont subtiles, oscillant entre drame et sourire. Ainsi, sous ces cols de chemise où la broderie s’étend, au simple intitulé Cols, 2023 s’ajoutent les mots glacés « Cancer invasif /Col.poscopie ». Et ce drap brodé de rouge, dans un tiroir entrouvert, dont le titre La tâche porte un terrible accent circonflexe, transformant la salissure en obligation ! Ou encore ce cartel notifiant sobrement « Caryotypes de Louis et Lucrèce, brodés de bleu, rouge et or sur mouchoir ancien », caryotypes qui ne se distinguent que par un chromosome et par… trois fleurs de lys (1) .
Michael Serfaty nous avait estomaqués en 2022 avec sa série La chair des mots exposée à Paris à l’espace photographique de Sauroy, puis à Maupetit, côté Galerie à Marseille. Ses portraits de femmes, tels quels ou découpés, mis en scène, avec des mots retenus ou criés auxquels il avait prêté l’oreille jour après jour dans son cabinet, ces mots qui disent les souffrances, la violence, la peur, le mal-être, les souhaits aussi… on les retrouve ici en partie et on les relit avec la même émotion.
Dans une autre salle, des ventres cicatrices, traces de césarienne, font grimacer certains jeunes visiteurs. Mais nous donnent la chair de poule quand on lit la longue liste des prénoms, tous ces bébés sauvés (et leur maman aussi) grâce à ce geste chirurgical. Toutes les cicatrices n’ont pas la même histoire…
Une série récente propose des portraits plus souriants sous le titre Femmes vitales, visages multiples enserrés d’objets, portraits à la fois légers et lourds de sens, comme ces Vitales et libérées par des dizaines de clés ou ces Vitales et attachantes cernées de pinces à linge. On a particulièrement aimé les Vitales et amoureuses, coincées entre papillons qui volettent (ceux qu’on ressent parfois au ventre ?), pâtes alimentaires et nœuds pap’.
Superbement écrit, le texte … et s’éblouir, découvert à Arles l’été dernier (il accompagnait l’exposition collective éponyme proposée par La Fontaine Obscure), trône sur un chevalet. Tout autour, des photos noir et blanc grand format sublimées de rouge.
Qui de l’un ou de l’autre a récolté et disséminé en différents endroits ces embauchoirs anciens, sortes de pieds moulés en bois, comme une présence de corps tronqués des temps jadis ? Instruments servant à ajuster au plus près la chaussure sur le pied, pieds fins, bouts pointus, talons hauts, corps normés, enserrés, question de mode ou de société…
Au-delà du sens de leurs œuvres respectives, il y a de quoi être bluffé par le temps passé, la patience et la minutie des deux artistes dans la création de leurs œuvres, entre broderie, perles et fils de soie, collages et assemblages, déchirures et recousures, ou encore écriture de tous ces mots serrés, conservés précieusement dans un énorme cahier… Temps passé aussi à explorer ce lieu, l’habiter littéralement et, là encore, on est frappé par leur minutie lorsqu’on découvre, dans une vitrine
suspendue à une frêle tige de bois, deux petites cages d’où sortent deux bras qui se tendent l’un vers
l’autre…
Cette exposition commune, c’est Christel Pélissier-Roy, Directrice des musées d’art et d’histoire d’Aix-en-Provence et responsable du Musée du Pavillon Vendôme, qui en a eu l’excellente idée. Comme il est jouissif qu’une ville bourgeoise comme Aix puisse, sans tabous, exposer de tels objets ! Pourtant, Christel Pélissier-Roy nous a confié qu’elle a eu du mal à les convaincre. Si respectueux l’un et l’autre, ont-ils eu peur que l’équilibre de leurs travaux artistiques soit malmené ?
Il n’en est rien. Il n’y a pas fusion mais dialogue, échanges, influences ou confrontation. Et ce rapprochement est une évidence tant leurs réflexions, leurs démarches, leurs pratiques se croisent, se répondent, se renforcent. Si chacun garde son indépendance de femme, d’homme et d’artiste, c’est aussi le cheminement sensible d’un couple qu’on voit à l’œuvre, et c’est beau !
Aline Memmi
Ni tout à fait la même, ni tout à fait un autre d’Édith Laplane et Michaël Serfaty : jusqu’au 28/04 au Musée du Pavillon de Vendôme (13 rue de la Molle / 32 rue Célony, Aix-en-Provence). Rens. :
https://www.aixenprovence.fr/Musee-du-Pavillon-de-Vendome
Pour en (sa)voir plus : www.edithlaplane.com / www.michael-serfaty.com
(Et cet article de Marsactu en 2022 sur le travail d’Édith Laplane)
(1) On raconte que le Pavillon de Vendôme aurait été construit par Louis de Mercœur, duc de Vendôme, pour abriter ses amours clandestines avec Lucrèce de Forbin-Solliès, dite « la Belle du Canet ». Clandestines à cause du qu’en-dira-t-on : bien que tous deux veufs, leur union aurait été considérée comme une mésalliance.
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