Édith Laplane, gynécologue, plasticienne et brodeuse de vulves

Portrait
le 26 Mar 2022
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Cette médecin marseillaise produit, en dehors de son cabinet médical, des créations qui viennent nourrir un cabinet de curiosité autour du sexe féminin. Avec des broderies, ex voto et autre ready made, elle raconte des histoires de corps, de vie, de femmes.

Édith Laplane est gynécologue et plasticienne. (Photo : Michaël Serfaty)
Édith Laplane est gynécologue et plasticienne. (Photo : Michaël Serfaty)

Édith Laplane est gynécologue et plasticienne. (Photo : Michaël Serfaty)

“C’est une zone, non de passage, mais de plaisir. Pas une zone de reproduction. Quand on utilise le mot vagin pour définir le sexe féminin, on passe à côté de cela.” Édith Laplane, trente ans d’exercice de la gynécologie médicale derrière elle, choisit ses termes. Soucieuse de dire les choses simplement, sans ignorer le potentiel détonant de son discours. Mais ce n’est pas pour parler éducation sexuelle qu’elle nous reçoit dans sa cossue galerie nichée sur la Corniche. Ou pas tout à fait. Depuis presque deux décennies, la praticienne a un violon d’Ingres lié à sa profession. Elle tisse, et surtout elle brode, des créations subtiles autour de la représentation de la féminité, à commencer par, donc, la vulve. Organe sur lequel elle a certes un regard médical mais aussi un autre sensible, artistique.

“Une grande partie de mon travail de création porte sur le sexe féminin, au sens propre, la vulve, puisqu’il faut l’appeler par son nom. Ce qu’on ne nomme pas n’existe pas.” Ainsi ouvre-t-elle son livre récemment publié chez Arnaud Zalion, La curieuse cabine d’Édith artiste et collectionneuse. Il fait suite à une exposition qu’elle a organisé dans sa propre galerie, le Pangolin, fin 2021. En tournant les pages du recueil, on découvre à chaque double-page une création à la forme suggérée mais sans équivoque, de la broderie réaliste au photomontage d’une vulve pourvue de dents, d’une création de fourrure à un ex voto à un emboîtement de petits bateaux de papier. À chaque fois, la matière, le format, la couleur changent, mais l’œil n’hésite pas longtemps. Ses réalisations sont rejointes par des objets qu’elle a collectés, œuvres d’artistes amis ou objets chinés dans les brocantes ou durant ses voyages.

Ouvrage de dame (2010)

La photographe et plasticienne Carolle Benitah, qui l’a invitée à exposer à plusieurs reprises se souvient de la première fois où elle a découvert ce travail : “Au départ, elle m’a simplement dit qu’elle brodait. Puis j’ai découvert ses œuvres, j’étais très surprise ! Elle a une façon bien à elle de parler de cette problématique qui la préoccupe, par son métier notamment. On ne peut pas parler de cet organe, et elle, elle fait tout pour en parler. Elle dit les choses avec beaucoup de subtilité, sans lourdeur, de façon juste et très esthétique.”

Broderies et navettes

Les aiguilles de broderie sont donc son premier outil. Un détournement de cet art si lié à l’histoire des femmes. “C’est une pratique infériorisée, intime et domestique, j’aime la faire sortir de la maison. Passer d’une technique modeste à une technique artistique et dire avec quelque chose d’intéressant, de subversif”, confirme-t-elle, en évoquant cette vulve brodée sur du linge de trousseau, comme une allégorie critique du mariage.

“Quand j’ai vu que la bénédiction des navettes était un événement, j’ai trouvé intéressant de raconter des histoires de femme à partir de cette forme-là.”

L’autre incontournable de son vocabulaire est la navette marseillaise. Le biscuit à la fleur d’oranger est connu pour sa forme ambiguë, que l’artiste a décidé de décliner à l’envi. Le fait qu’on la célèbre pour la Chandeleur, fête si liée à la Vierge et à la fertilité, a achevé de la convaincre. “Quand j’ai vu que la bénédiction des navettes était un événement, j’ai trouvé intéressant de raconter des histoires de femme à partir de cette forme-là.” Pas surprenant donc que parmi ses œuvres, beaucoup rappellent le fameux gâteau ou prennent la forme de barques prêtes à prendre la mer, telles ces matriochka de papiers noircis d’écritures de femmes. Élisabeth Chambon, conservatrice du patrimoine, qui a fait le commissariat de l’exposition et coordonné le livre, voit dans ce fil rouge un ancrage fort avec “Marseille, cette ville de mythes, de légendes, avec la célébration de Saint-Victor” et “une très forte implication dans cette ville, dans la Méditerranée”.

Des récits universels

Mais même en évoquant son travail avec la baie marseillaise derrière elle, Édith Laplane ne perd pas de vue sa mission de soignante. Au fil noir, elle a reproduit des dessins réalisés par des patientes pour imager leur anatomie. “Certaines représentent l’intérieur sans lien avec l’extérieur, d’autres en tout petit… C’est une base de discussion en sexologie mais ça m’intéresse aussi de m’en servir pour broder”. Elle s’inspire des secrets partagés, mais ne voit pas pour autant son travail comme une forme de thérapie pour se soulager. “Ce que j’essaie de faire, c’est que ces histoires de femmes que je recueille se mélangent, pour donner quelque chose d’universel, de commun, donner la parole au fond.”

Sa position de gynécologue lui permet, dit-elle, “de parler de tout ça de façon détachée, sans trouble”. “Pour nous médecins, c’est tellement désexualisé, habituel, cela fait 35 ans que je fais ça, je n’y vois jamais rien de scabreux ou d’obscène. La question, c’est comment parler de ça en ayant une marque de femme, ne pas offrir une représentation masculine d’une chose féminine”, développe l’artiste. En chemin, Édith Laplane semble ouvrir par ses créations des portes que sa pratique médicale laissent closes.

Mini (2020), inspiré du dessin d’une patiente.

Un combat à mener et à broder

Tout cela avec “une intention, une volonté farouche”, souligne Elisabeth Chambon. “Pour elle, c’est une seule et même chose, chaque discipline se nourrit de l’autre. C’est ce qui fait sa singularité, sa puissance, sa force, elle n’est pas plus l’un que l’autre, il n’y a pas de contradiction. Elle a beaucoup de choses à dire”, sourit la spécialiste qui rappelle que dans l’histoire de l’art, les représentations des femmes ont souvent oscillé entre “sorcières, putains”, et “madonne”.

“C’est l’inégalité, le principe d’injustice qui me meut, pose l’artiste qui se revendique féministe et a mené des combats aussi au sein de sa vie professionnelle pour la défense de sa discipline. La place est faite aux hommes sans questionnement, et il faut se battre pour se faire entendre quand on est une femme. Je parle du sexe féminin pour parler des femmes plus que de l’organe lui-même”. Son propos navigue ainsi de medium en medium, pour décliner des histoires tues de féminité et les épisodes d’une vie de femme, et a fortiori, de vulve : plaisir, mais aussi règles, fausse couche, IVG, chirurgie… “J’avais envie de broder ces cicatrices, assume-t-elle. Se faire trancher le ventre, avoir une épisiotomie ce n’est pas rien. J’avais envie de parler de ça.” À l’inverse, elle s’applique aussi à figurer les sensations plus douces comme ces petits points oranges piqués autour d’une entrejambe.

Le long de mes jambes la caresse du feu (2020/2021)

Des pénis, on en voit dans le paysage artistique, depuis toujours.

De son travail, elle n’a pas envie qu’on dise qu’il est choquant ou “trash”. “Des pénis, on en voit dans le paysage artistique, depuis toujours. Personne ne nous a demandé si ça nous dérangeait”, s’agace-t-elle. Quelques patientes ont repéré son site d’artiste sur internet et ont montré leur soutien. “Ça leur plaît, je ne sais pas si elles comprennent mieux parce qu’elles sont concernées ?”, s’interroge-t-elle encore.

Si ses proches apprécient et soutiennent la démarche, elle raille les confrères médecins marseillais qui l’ignorent parfois avec une pointe de dédain. “Souvent, les bourgeois marseillais n’aiment que ce qu’ils ont déjà vu ailleurs, les Marilyn et les pseudos Basquiat”, soupire-t-elle, avant d’ajouter “je comprends qu’on ne veuille pas mettre une vulve dans son salon…”  Pour l’heure, les œuvres d’Édith Laplane restent dans des écrins intimes, entre ce premier livre, le cabinet de curiosité et le cabinet médical. Préservées, choyées, mais pas moins explosives.

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Commentaires

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  1. Patafanari Patafanari

    Je connaissais un proctologue qui jouait bien de la trompette. Mais ça n’a rien à voir.

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  2. Haçaira Haçaira

    Et ça n’est pas drôle

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    • Patafanari Patafanari

      C’est toujours merveilleux quand on peut faire de sa passion son métier.

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  3. printemps ete 2020 printemps ete 2020

    C’est pas drole ,mais c’est son problème, on n’est pas obligés d’aller la voir ..
    Merci à Marsactu pour ce reportage.

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  4. MaxMama13 MaxMama13

    Bravo à cette artiste ! Quant à la ” cossue galerie”… On dirait presque une traduction de l’anglais dans Astérix et les Bretons. Épithète, attribut… Relire des bouquins de grammaire ! 😉

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  5. claquette claquette

    Beau personnage, merci pour la découverte!

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  6. Melanisette Melanisette

    Merci Marsactu pour la mise en lumière du travail artistique d’une femme médecin qui connaît parfaitement son sujet donc !

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