Journal de confinement. Day#2
Confinement. Planning. Organisation.
Où l'on apprend à renoncer à toute planification et à garder ses distances.
Confinement. Planning. Organisation.
Mercredi 18 mars. 9 heures. Des bruits de pas résonnent dans l’escalier. Lourds et répétés. Je me dis que les gamins du 6e étage ont trouvé le moyen de débuter cette deuxième journée de confinement par un jogging intérieur dans les escaliers. Et puis non. Je me souviens du mot affiché dans le hall il y a quinze jours annonçant le remplacement des interphones. Ils vont vouloir changer le combiné. Dans mon espace aseptisé. Des inconnus. L’homme assure qu’il ne faut pas les laisser entrer. “C’est juste complètement con. Déjà qu’on ne voit personne alors en plus si on n’entend pas quand on nous appelle”. Je ne suis pas de mauvais humeur. Mais je ne suis pas du matin. On frappe à la porte, j’ouvre et laisse s’engouffrer dans l’appartement un ouvrier masqué. Tout va bien. On veille tous les deux à rester à bonne distance. Son collègue posté en bas de l’immeuble interpelle le livreur sur le trottoir d’en face. Il hurle à une femme penchée au balcon qu’il laisse son colis dans le hall pour ne pas avoir de contact. Ambiance. Le gars de l’interphone a fini de travailler. Nous nous saluons. J’hésite, et passe un coton imbibé d’alcool partout où il a mis les mains, sous le regard de mon ado auto-proclamé inspecteur des travaux finis “n’oublie pas les boutons, maman, et passe bien sous le combiné” qui vient de terminer sa deuxième partie de “CallOf”. A 9 heures du matin, donc. Il est temps de prendre les choses en main. Planning, organisation.
La veille, le premier ministre a rappelé que même les déplacements pour enterrement ne seraient pas autorisés, cela s’annonce sérieux, on ne sortira pas de la journée. Ni des autres, d’ailleurs. Après avoir lu quelques remarques ici et là, j’ai renoncé à établir un emploi du temps, crayonné, surligné, colorié selon les jours, heures ou matières. Premièrement, on a tous passé l’âge des plannings et du coloriage –il faudra quand même qu’on m’explique l’intérêt méditatif de manipuler des crayons pour remplir des cases sans déborder, surtout, attention. Deuxièmement, il est évident que personne ne s’y tiendra, je vis avec un ado, très souple, un vrai serpent, et un homme, têtu, bien décidé à ne faire que ce qu’il veut. J’ai quelques ambitions me concernant, consistant à bosser un minimum, la culpabilité me poursuit ou le syndrome de l’imposteur, je ne sais pas bien à ce stade ; à vérifier les devoirs en ligne du minot ou tout du moins la connexion au service de “continuité éducative”, cette blague ; à profiter des pauses pour apprendre une langue étrangère, un truc bien difficile qui nécessiterait beaucoup de temps, avec un alphabet différent et la maîtrise du dessin, comme le russe ou le chinois par exemple ; à me remettre au sport, je sais c’est un peu singulier d’avoir un espoir pareil, pile au moment où l’on est enfermée chez soi, mais je ne suis pas une fondue de course à pied ou d’aviron, je n’ai jamais pratiqué que la danse et depuis que je me fais trop vieille pour mettre des pointes, les cours de barre au sol me vont très bien et ça, c’est facile, il suffit d’un tapis et d’une chaîne YouTube ; et à commencer la guitare, justement celle offerte à mon fils pour ses 11 ou 12 ans est toujours dans sa housse, comme neuve, le parfait instrument du débutant et j’ai déjà repéré quelques tutos d’accords bien plaqués pour me mettre à massacrer rapidement Hotel California. Nice.
A l’heure du déjeuner, il faut quand même se rendre à l’évidence. D’abord, il est 14 heures. On a donc complètement failli à notre devoir de parents, au respect du rythme de l’enfant et tout ce qui s’en suit. J’ai envoyé un wetransfer, sous le regard interloqué de l’homme qui me dit que c’est devenu compliqué depuis janvier et comment ais-je pu réaliser cet exploit ? J’ai pas mal hurlé pour me faire entendre du minot qui avait graduellement augmenté le volume sonore de différents jeux, oui, il a dû se lasser et nous revoilà maintenant sur les bases saines de Fortnite, hé oui, ça a un intérêt pédagogique. J’ai trouvé deux quizz d’espagnol, je me débrouille, j’ai pas tant perdu que ça. J’ai raté le coaching danse du matin mais j’ai sorti le le tapis de yoga, dont la partie exposée à la lumière s’est d’ailleurs sérieusement décolorée, c’est dingue, je ne pensais pas l’avoir laissé à la même place autant de temps, ça file, ça file, c’est fou. Et j’ai vu où était la guitare : au-dessus de l’armoire où elle est en fait depuis le déménagement.
Mais pile au moment où je comptais m’y mettre, la secrétaire du cabinet d’expertise, missionné par mon assurance professionnelle pour un dégât des eaux, m’appelle, c’est ballot, pour me proposer un rendez-vous, qui compte-tenu des restrictions actuelles ne pourra pas se faire de visu, vous comprenez bien madame, on ne se déplace plus, alors je vous propose plutôt un rendez-vous téléphonique pour valider le devis des réparations à faire. Qu’il n’y a pas. A faire. Car oui, moi ce qui m’importerait plutôt c’est que les assurances s’arrangent pour trouver la fuite et démonter la colonne d’eau qui dégueule sur le plafond de mon atelier à chaque fois que le nouveau voisin du dessus tire l’eau dans sa toute pimpante salle de bain. Et quelque chose me dit que le rendez-vous en ligne, même en visio, facetime ou skype ne résoudra pas le problème.
Oui mais madame, comprenez, maintenant, il va falloir garder ses distances.
Commentaires
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Merci Lorelei pour vos récits 🙂
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Merci de me lire ! Bonne journée 🙂
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