Christophe Chave fait place aux compagnie

Billet de blog
le 5 Mai 2017
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Phasme de la compagnie Libertivore. Photo : Tom Proneur.
Phasme de la compagnie Libertivore. Photo : Tom Proneur.

Phasme de la compagnie Libertivore. Photo : Tom Proneur.

Entretien avec le metteur en scène et scénographe Christophe Chave, directeur de la Distillerie à Aubagne, à l’occasion de la deuxième édition de Place Aux Compagnies, mise en lumière de la jeune création régionale. Entretien.

Comment définir ce projet ?

C’est un projet Scènes d’Aubagne, qui propose un événement ponctuel sur trois semaines entre un lieu de fabrique, la Distillerie, un lieu de diffusion, le Comœdia, la médiathèque Marcel Pagnol et les politiques culturelles de la ville. Nous voulons créer un point de rencontre, de réflexion, sur le devenir du spectacle vivant en région, qui aboutisse à du concret. J’ai écrit un projet, que j’ai proposé aux partenaires susnommés, combinant des temps de résidences, des présentations au public, des concerts et des tables rondes pensées avec les compagnies, les institutions et surtout le public qui peut mettre son grain de sel. Par exemple, cette année, les compagnies ouvrent des temps de répétition au public, suivis d’échanges sur la fabrication. Cela crée une émulation, un désir de suivre le travail des compagnies, bref, d’impliquer le public dès le départ. Si l’on ne travaille pas pour lui, ce métier ne sert à rien.

Donner la place aux compagnies, laisser le champ ouvert à la création, l’essai, la recherche, c’est avoir le droit de se planter, de ne pas être d’accord, d’être agité par des incertitudes mais en étant mû par le désir d’aller au bout de quelque chose. Je partage cela avec tous les créateurs concernés. Il s’agit aussi, par rapport à la politique culturelle de mon territoire, la région d’Aubagne, de remettre en question la position de la compagnie, de la structure qui fabrique l’artiste à l’endroit de ses droits et de ses devoirs. J’ai tendance à trouver qu’aujourd’hui, les compagnies sont un peu fainéantes sur le plan de l’émancipation politique, qu’elles ne vont pas suffisamment taper aux portes. Il y une chute totale du service public par rapport à la création dans notre pays, avec des perspectives de culture et non d’art. L’art est très peu représenté dans ce qui est défendu sur les scènes, il y a un vrai manque. C’est donc le geste artistique que j’aimerais promouvoir avec cet événement en rappelant aussi que la Distillerie a toujours su prendre des risques dans ce domaine, tout en ne versant jamais dans le moindre élitisme. Pour Place Aux compagnies, chaque compagnie reçoit 2000 euros et bénéficie d’un accompagnement logistique et technique.

Justement, quelle est la mission de la Distillerie ?

Depuis 2006, la Distillerie est un lieu de résidence et de rencontre à vocation régionale accueillant des compagnies qui ont peu de moyens, de visibilité et qui ont des choses à dire. Un vivier de la création qu’il faut entretenir, car il y a sur les scènes peu de spectacles engagés, comme si l’on cherchait à ne pas gêner. C’est décevant au regard de ce qu’a pu être le théâtre à une certaine époque. Il y a une quinzaine de compagnies en résidence par an à la Distillerie sur quarante dossiers déposés ; nos choix d’accompagnement se portent sur celles qui proposent une réflexion politique, un questionnement sur l’émancipation du spectateur, sur son être au monde. Nous sommes aussi un lieu de pratiques amateurs, ce qui est très enrichissant et nous rend doublement exigeants dans le dialogue avec les non professionnels. Nous ne sommes pas enfermés dans notre chapelle et, personnellement, c’est cette relation aux « autres » qui me porte depuis le début. Il y a toujours un temps de parole partagé et convivial après chaque sortie de résidence, moment précieux et constructif pour les artistes qui sont mis en question sans jugement et avec bienveillance. Il y a aussi un noyau dur de programmateurs qui suivent ce que l’on fait et qui sont sensibles à notre éclectisme.

Comment vois-tu le paysage culturel actuel dans la région ?

Beaucoup d’artistes, de compagnies et de lieux ont disparu ou renoncé depuis 2008…

Depuis que Marseille a été nommée Capitale européenne de la Culture en fait…

Il y a eu un écrémage, des choix qui ont fait beaucoup de mal à tout le monde.

Parce que l’on veut valoriser du catalogue, être rentable… Moins d’art et plus de culture ?

Voilà, c’est ça. Il y en a qui jouent le jeu, il y en a qui se battent, et il y en a qui meurent… On vit un peu sur le cadavre des autres, et je ne suis pas d’accord avec ça. Je préfère le développement et l’enrichissement de la culture qui est pour le politique un écrin à l’intérieur duquel les artistes pédalent. Or, on ne peut pas cantonner l’art au pédalo de la culture. Le temps du montage d’une création s’est considérablement allongé, le prix de vente est devenu le critère principal, on est dans des perspectives de rentabilité culturelle, et pas de soutien artistique ; en cela, la Distillerie et PAC sont une bulle d’air pour les compagnies. Il y a quelques lieux sur la région qui font ça aussi, et que j’ai envie de nommer : le 3 Bis F, le Théâtre Antoine Vitez, le Lenche à l’époque, Montévidéo, la Gare Franche et l’Entrepont de Nice… Des gens qui ont encore la conscience, non de la viabilité, mais de la faisabilité d’un projet. Rendre possible l’impossible, ce qui est le fondement de l’art.

Après cinquante ans de communisme, la mairie d’Aubagne est passée à droite. La Distillerie continue-t-elle d’être valorisée avec la même amplitude ?

C’est un lieu des possibles, ça a été compris. Le public nous y a beaucoup aidé. C’est grâce à la reconnaissance du public et du spectateur en particulier, celui qui est attentif à la création, qui est franc, vivant et émancipé du rouleau compresseur de la TV, que la Distillerie existe encore. Nous sommes aidés par la ville et la région qui y ont cru dès le départ, depuis peu par le département et la Drac. Tout cela est encore très fragile.

Quelques mots sur les chantiers-spectacles proposés cette année ?

Il y a deux lectures, La Pièce de Martin Crimp (Théâtre d’Exploitation) et Héroïne(s) de Sabine Tamisier (compagnie Les Passeurs). Puis, en termes de sorties de résidences, nous avons Le Roi aux pieds sales, vieux conte indien pour le jeune public revu et corrigé en conférence ludique par deux actrices, Pascale Karamazov et Sophie Zanonela (de la compagnie aubagnaise Fluid Corporation), Oblique et Obscur d’Arno Caléja, à savoir la vitalité du tragique mise en scène par Pascal Farré avec Anne Naudon (compagnie Soleil Vert/Laurent de Richemond), puis Olympe de Gouges, de l’intérêt d’ouvrir sa gueule ou pas, un théâtre de conférence pas tant sur la femme (révolutionnaire de 1790 et première féministe de l’histoire) que sur le théâtre (compagnie Bretzel). Enfin, L’Oiseau Bleu, une mise en scène par Eric Schlaflin d’un des plus beaux textes de Maeterlinck, poésie rare et d’une beauté absolue (compagnie L’Argile).

Diffusés par le théâtre Comoedia et bénéficiant d’une bourse de la ville d’Aubagne de 8000 euros par projet, Mon Petit Poucet de José Pliya, un (pas si) jeune public (Zone & Cie/Frédéric Recanzone), Phasmes, spectacle de cirque contemporain, une petite merveille (compagnie Libertivore), et Permis de Bouger, grave et jouissif (Collectif Cocotte Minute, qui travaille dans l’espace urbain). Il y aura aussi la table ronde à propos des moyens de production publics et privés du théâtre vivant avec des fondations et des mécènes invités, notamment Mécènes du Sud et les Trois Mondes, qui essayent de faire le pont entre entreprises et monde culturel.

Propos recueillis par Olivier Puech

Place aux compagnies : Du 28/04 au 19/05 à Aubagne. Rens. : https://ladistilleriesite.wordpress.com/

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