Avons-nous besoin d’une bonne dictature pour sauver un arbre ?

Billet de blog
le 28 Mai 2018
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Deux livres importants qui ne changeront rien à rien... Les obsèques de Johnny Hallyday au milieu de la pinède de Luminy... Spiderman a un truc à nous dire sur notre façon de traiter la nature... L'éducation par les catastrophes... D'après nos informations nous ne pourrons pas compter sur Jean-Claude Gaudin pour sauver l’humanité... Si ?

Avons-nous besoin d’une bonne dictature pour sauver un arbre ?
Avons-nous besoin d’une bonne dictature pour sauver un arbre ?

Avons-nous besoin d’une bonne dictature pour sauver un arbre ?

Je profite de la sortie du dernier livre de Cyril Dion, dont le succès sera sans doute aussi phénoménal que vain, pour commencer ici une quête tout aussi vouée à l’échec… D’autant plus que, selon les ratures que j’ai sous les yeux, il est peu probable que je parle de Johnny Hallyday ou des fesses de Kim Kardashian. L’idée est plutôt de commencer à touiller l'ébullition d'une métamorphose personnelle qui a débuté sournoisement il y a déjà plusieurs années et qui, ces derniers temps, enfile une expression de plus en plus concrète. Je me berce peut-être d’illusions, mais il est bien probable que si Ovide avait internet, il kifferait ce blog. Ce qui, logiquement, nous ramène au 19 mai dernier.

Le 19 mai dernier a vu ma métamorphose se solidifier un peu plus lorsque je me suis pointé, avec femme et enfant, au rassemblement organisé devant les locaux « urbains » de la Kedge Business School afin de protester contre l’abattage des pins centenaires de Luminy. C’était, après 2002, la deuxième fois seulement que je manifestais pour quoique ce soit et maintenant que j’y repense, c’était deux fois contre la bêtise. Mais contrairement à 2002, un temps où tout le monde a pu sentir le souffle cracra de l’indécence sur sa nuque, la manifestation du 19 mai dernier n’a pas connu le même succès. Nous étions, en tout et pour tout, une petite quarantaine, quarante-deux si je compte les deux gagas de la France Insoumise qui ont photobombé un rassemblement citoyens largement apolitique. 

« Quarante », me dis-je à moi-même… 

Ils étaient plus de 500 000 pour les obsèques de Johnny Hallyday. C’est marrant d’ailleurs, parce que le livre de Cyril Dion s’ouvre presque sur ce même genre d’effarement comptable. Et en l’écrivant à mon (humble) tour, en l’ayant vécu, vu de mes yeux vu, je me dis qu’il aurait fallu que Johnny vienne mourir au milieu des pins pour que la disparition de deux cents arbres à l’entrée du Parc National des Calanques intéresse quelqu’un dans cette ville de merd— Imaginez juste une seconde, 500 000 personnes massées sur le parking de la fac, les yeux rivés vers un Macron plus thaumaturge que jamais. À un moment donné, le Président touche un enfant bossu et deux trois lapins sauvages, puis il dit un truc du genre « There is no pinède B » avec son anglais un tantinet nasal. Après quoi, Line Renaud, entourée de bikers mutiques, les bras et les cuisses tatoués de loups, d’indiens et de portraits de Johnny déformés par les plis du gras, se met à lire des fragments du discours prononcé par Hans Jonas (Hans Jonas ?) lors de la remise du prix de la Paix des libraires allemands. Celui-là même où le philosophe parle de responsabilité, de nature, cite Faust à plusieurs reprises et interroge notre rapport à la liberté et à la démocratie. Délire.

* * *

Je parle de Hans Jonas parce que, une semaine avant cette cruelle désillusion (les pins ont été abattus), j’avais commencé la lecture d’un petit livre, Une éthique pour la nature, sorti chez Artaud, dans cette collection qui ressemble déjà à un petit temple de classiques à venir. Ce recueil d’entretiens datant de la fin des 80s, début 90s, pose et psalmodie plusieurs des bornes qui jalonnent la pensée « écologique » de Jonas. C’est un livre dont je conseille vivement la lecture à tout un chacun et plus particulièrement aux habitants de cette ville qui offre un terrain si fertile à la dissonance cognitive la plus sauvage.

Sorti de la petite bande de happy few qui réunit pêle-mêle militants écologistes lettrés, philosophes, moralistes, gnostiques et anthropologues naturalistes invités sur France Culture au beau milieu de la nuit, qui prend encore des nouvelles de Hans Jonas ? C’était pourtant un type sensas. 

{INTERMÈDE BIOGRAPHIQUE}

Vite fait : il est né en 1903, en Allemagne. Étudie à la fac auprès de Hurssel et Heiddeger (perso, j’ai eu monsieur Not en littérature française et madame Cipriani en littérature comparée). Rencontre Hannah Arendt dont il sera le premier boyfriend déprimé. Le second étant Gunther Anders dont on reparlera. 1933, les nazis gagnent les élections. Visionnaire, Jonas s’exile en Angleterre puis en Palestine et ne remettra presque plus jamais les pieds en Allemagne. Son père est assassiné à Auschwitz. 1979 est une année exceptionnelle puisque c’est celle où je vois le jour. Pour fêter ça, Jonas publie son texte le plus connu : Le principe de responsabilité. Un pilier de la littérature écologique au même titre que les textes d’Élisée Reclus, John Muir, Humbolt ou Rousseau. Concluons cette note biographique flash éclair et téléportons-nous jusqu’en 93 (à jamais les premiers) année de la mort de Hans Jonas et de la publication d’Une éthique pour la nature donc qui trente ans après reste d’une acuité de plus en plus inquiétante.

{FIN DE L'INTERMÈDE}

Que nous dit Hans Jonas par delà le Temps et la Mort ? Plus ou moins trois choses. Un, que nous sommes dans la même situation que Spiderman. Du fait de notre maîtrise de la nature et des autres espèces vivantes, notre liberté s’est considérablement accrue et, du même coup, notre devoir responsabilité aussi. « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. » Il va même plus loin en y greffant un principe de précaution qui ferai couiner Pierre Gattaz si Pierre Gattaz avait encore quoique ce soit à faire couiner : « J’avais formulé le principe suivant : lorsqu’il existe deux pronostics opposés quant aux conséquences de grandes révolutions technologiques, l’un bénéfique, l’autre néfaste, il faut, en vertu de la dimension de notre propre puissance et de ce qui est en jeu, accorder la préséance au pronostic défavorable et renoncer ou, tout du moins, ralentir le processus. » C’est le principe de responsabilité dans sa totalité morale.

Deux, que notre éducation passera par l’expérience des catastrophes. Très chers bobo écolos (je me mets dedans jusqu’au cou), ça ne sert pas à grand chose de retweeter sans fin les énumérations de fin du monde qui filent sur nos portables, de faire des tutos pour montrer comment transformer un sac plastique en porte-monnaie, de signer des pétitions à tour de bras ou de manifester devant les locaux d’une école de commerce en papier crépon pour sauver deux arbres. Globalement, les gens s’en foutent ou plutôt, non, ils ne s’en foutent pas mais l’ampleur du problème est telle que nous n’arrivons pas à conceptualiser la situation. C’est un peu comme essayer d’imaginer La. Fin. De. L’Univers. Impossible. Du coup, notre seule planche de salut est de nous rapprocher littéralement du problème, de le rendre intime, palpable pour que notre cerveau, commence à travailler dessus.

Il est plus probable que la peur obtienne ce que la raison n’a pas obtenu et qu’elle parvienne à ce à quoi la raison n’est pas parvenue.

Hans Jonas

Bon, alors il prononce cette phrase en 1992, une année où la France a gagné plus de médailles d’or aux Jeux Olympiques de Barcelone qu’il n’y a eu de catastrophes écologiques dans toute la galaxie. C’est dire le ratio. Avec du recul, je pense parler au nom de tous si je dis que cette méthode a largement échoué. Notre apathie face aux catastrophes environnementales semble aussi infinie que notre voracité à les créer.

Trois, une question sympa : la démocratie est-elle encore efficace pour faire face au problème écologique ? Ahaah ! Ça c'est le coeur de la meule. Hans Jonas ne répond pas non, mais constate froidement les limites du système (Cyril Dion, lui, doute même que nous soyons réellement en démocratie). Le constat de Jonas est le suivant : toutes les données scientifiques l’attestent, nous courrons, avec une allégresse tout à fait incompréhensible, vers notre auto-destruction. Nous n’avons plus beaucoup de temps pour réagir. Or le système démocratique est trop complexe, trop long à la détente, coincé par un timing électoral improductif et des intérêts restreints trop puissants. Et, paradoxalement, nous devons agir en urgence… sur du long terme. 

(C’est le moment d’aller aux toilettes si vous en avez besoin)

Il faut bien identifier les deux forces antagonistes que place Jonas dans cette réflexion : notre propre liberté et notre propre capacité à la contrôler. Cette liberté a engendré une puissance technologique sans commune mesure qui est la source de notre domination sans partage sur la planète, mais aussi celle de notre propre effondrement. Cette puissance est aujourd’hui au coeur de notre civilisation. La croissance, tout ça. Pour Jonas, elle est fondamentalement une expression collective et donc, seule une puissance collective, c’est-à-dire politique, peut, doit la maîtriser. Or, sauf erreur de ma part, dans nos démocraties cette puissance politique émane du peuple. Par conséquent, et concentrez vous parce que ça devient choucard, par conséquent donc c’est en vertu de la liberté politique que chacun de nous se trouve le sujet individuel de cette nouvelle obligation. C’est donc au niveau de l’individu civique que s’amorce le potentiel de changement. Pourquoi ? Tout simplement parce que la multitude ne prendra jamais la décision altruiste de réduire son train de vie et ses libertés en vue de sacraliser un avenir que personne n’arrive à conceptualiser. 

Hans Jonas en conclut  que face à une situation si extrême il n’y a pas de place pour le processus de décision lent et complexe de la démocratie et que la tyrannie finit souvent par montrer le bout de son nez. Lui il s’en fout, il est mort, mais le vice de cette équation à quinze mille inconnues c’est qu’au final la persistance même de toutes nos libertés dépend d’une limitation altruiste de ces mêmes libertés. Sauver notre planète en lambeaux, notre race maudite et une partie non négligeable de nos libertés. Une pierre, trois coups.

Arrivé à ce stade, je note plus de questions que de réponses. Quel choix nous reste-t-il alors que nous ne semblons pas pressé de nous réveiller ? Sommes-nous condamnés à une apothéose que nous ne pourrons même pas partager sur Instagram ? Quel récit pouvons-nous alimenter pour changer de paradigme ? La privation d'une partie de nos libertés s'enclenche politiquement dès lors que notre "sécurité nationale" est en jeu. Pourquoi cela ne pourrait-il pas être envisagé lorsque notre "sécurité humaine" l'est aussi ? Je veux dire, il est évident que nous ne pourrons pas compter sur Jean-Claude Gaudin pour sauver l’humanité, si ?

Je commence donc ici une chronique anthropocène gonzo pour essayer de trouver des répon—- des pistes. En essayant d’être le plus lucide possible, ça sera au mieux un relevé foutraque sur la place de la nature et de la pensée écologique dans une ville abîmée comme Marseille. Sur la place de l’homme dans la nature ou, comme il le croit depuis des lustres, en dehors de la nature. Une bibliothèque pour essayer de penser autrement. En quatre mots : une vraie fête foraine.

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Illustration d'après une photo de © David Coquille

 

Commentaires

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  1. Amelie Amelie

    Hans et toi vous avez tristement raison. (et j’ai même pas eu besoin d’aller aux toilettes). L’Humanité n’est pas conçu pour réagir rapidement à un danger qui n’est pas palpable. On va droit dans le mur.
    Y’a des jours où je me dis que, si-si-si, y’a des trucs à faire. Un petit bruit d’en bas qui finit par casser les oreilles et briser du crystal (de Chine en plus), quelque chose comme çà. Mais ce processus me semble tellement lent.

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  2. Input-Output Input-Output

    Je suis malheureusement moi aussi persuadé que nous irons jusqu’au mur. Puis une fois que nous nous serons bien tous cognés, nous serons suffisamment KO pour accepter qu’une “dictature verte” vienne nous dicter nos faits et gestes pour économiser le peu qu’il restera à protéger. Mais ce sera déjà trop tard…Je déteste avoir raison dans ces cas là, mais je me trompe rarement malheureusement…

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  3. Lagachon Lagachon

    En tous cas, si c’est toi qui raconte la fin du monde, je m’abonne !

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  4. LN LN

    Nous y étions aussi : “on est une petite quarantaine non ? Pfffffffff… Tu prends tous ceux du stade (y avait eu un match la veille) et le compte est bon” souffle la voisine. Yes ! Sauf qu’ils sont pas là…” Je pense que dans le mur nous nous y sommes déjà fracassés. Cette puissance à passer en force, au delà de la raison, de la loi, de la logique , du bon sens et de l’intérêt collectif se répète, partout, souvent… Ca lamine le cerveau, ca pousserait presque au crime bien que pacifiste jusqu’au bout des doigts. Je dis ca, car ce sentiment de dégoût laisse derrière lui une sale odeur. Avez-vous su qu’entre hier et aujourd’hui, les plages du Prado ont été fermées pour cause de pollution après les pluies ? Pourtant 3 ans de chantier et 63 millions plus tard, le bassin Ganay (promis pour une mise aux normes européennes : plus de plages fermées et diminution des rejets dans les calanques) finalement ne sert à rien sauf d’avoir enrichi un peu plus Vinci, Veolia…
    L’association PSE Ganay et des riverains (peuchère d’eux zétaient pas 40 !) ont été condamnés par 3 fois au tribunal à verser des dommages et intérêts à ces piacanpi. Qui des marseillais s’est soucié de cette entreprise, de ce combat ? Ca a juste râlé quand ca coinçait de trop sur Michelet. Sinon, m’en fouti (dirait l’autre) ! comme les arbres de Luminy.
    Tout ca pour dire que les catastrophes ne servent aucune pédagogie mais je lirais volontiers Jonas et Dion.

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    • Lionel Bérenger Lionel Bérenger

      Merci du message LN ! Je vous conseille vivement leur lecture et surtout de ne pas cesser d’être agacé. Ça finira par payer.

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