Au recensement, on ne répond pas à la question sur le lieu de naissance de nos parents

Billet de blog
par MalMass
le 31 Jan 2025
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Au recensement, on ne répond pas à la question sur le lieu de naissance de nos parents
Au recensement, on ne répond pas à la question sur le lieu de naissance de nos parents

Au recensement, on ne répond pas à la question sur le lieu de naissance de nos parents

Depuis mi janvier, comme chaque année, la collecte annuelle du recensement a débuté, avec une nouveauté majeure cette année : pour la première fois, on ne nous demande pas uniquement des informations sur nous mais aussi des informations sur nos parents, sur leur pays de naissance, dans le but de repérer les enfants d’immigrés. A Marseille, dont M. Le Maire aime à vanter la diversité des origines des habitants et leur sentiment d’identité marseillaise partagé, peut-on accepter de nous répartir dans des cases à visée ethno-raciale sur la base de l’origine de nos parents ?

La  LDH, la CGT, la FSU, le MRAP et l’Union syndicale solidaires appellent les personnes recensées à ne pas répondre à cette question, officiellement facultative, et demandent le retrait de ces questions, dangereures et inutiles. Écoutons-les.

Nous avions déjà parlé de cette évolution il y a deux ans, alors qu’elle venait d’être décidée. L’actualité récente la rend particulièrement préoccupante. Lors des élections législatives, le président du RN a explicitement distingué parmi les Français, les “Français d’origine étrangère”, pour les rassurer dès lors qu’ “ils travaillent” et “respectent les lois”.  Bruno Retailleau, le ministre de l’intérieur, comme d’autres de ses collègues de droite, ont eux-aussi déjà tenus ce genre de distinction entre des “vrais” Français, qui n’ont rien à prouver, et d’autres qui devraient mériter de rester Français.

La question sur le pays de naissance des parents permettra d’abord d’alimenter les discours de haine en leur permettant de cibler des quartiers “envahis”, où le “grand remplacement” serait à l’oeuvre, en ajoutant aux immigrés déjà identifiables dans les statistiques, leurs enfants. Cherchez bien, vous trouverez déjà des articles de la presse “sérieuse” qui classent les quartiers ou les communes selon la proportion d’étrangers. Allez lire aussi les articles et ouvrages de Michèle Tribalat, chercheure retraitée de l’Ined, obsédée par certaines statistiques. Au moindre désordre dans un quartier, ils brandiront son dosage ethnique s’il convient à leurs discours. Une cartographie des points des deals et des compositions ethniques des quartiers pourrait peut-être aussi leur plaire. Peut-être un sujet d’une prochaine publication de l’Insee ?

Grâce aux questions sur le pays de naissance de nos parents, les services statistiques ministériels pourront injecter le repérage des enfants d’immigrés dans les fichiers administratifs qu’ils exploitent : fichiers de France Travail, de la CAF, de la délinquance…. Les lois existantes le permettent et les outils techniques pour le faire sont déjà en place à l’Insee. Il faut bien éclairer et accompagner le pilotage des politiques publiques territorialisées dans un contexte où les idées d’extrême droite sont, par alliance, déjà majoritaires à l’Assemblée nationale et vraisemblablement, sont appelés à le rester durablement.

Chaque année, l’origine de millions de Français est désormais collectée. Comme les autres informations du recensement, elle sera conservée par l’Insee de “façon anonyme” mais associable par un “code statistique non signifiant” au “répertoire statistique des individus et logements” (RESIL) de l’Insee, qui donne pour chaque personne, son adresse la plus probable. A législation actuelle, il y a peut être peu de risque, mais les lois se changent et si de nouvelles politiques nécessitent de cibler des populations …

L’INSEE mise sur les vérités alternatives pour faire croire que l’évolution a été validée dans le cadre d’une large concertation alors que ce n’est pas le cas.

Les nouvelles questions ne sont pas anodines. Le directeur général de l’INSEE le reconnait d’ailleurs volontiers. Parce qu’elles sont sensibles, elles auraient méritées un véritable débat public sur leurs raisons d’être, leur utilité et les risques associés, mais à la transparence et à la clarté, ses promoteurs ont préféré la discrétion, les réunions de l’ombre et les mensonges par omission. Pour ne pas multiplier les exemples, prenons juste le billet de blog de l’Insee sur le sujet publié le 14 janvier 2025 et intitulé “En 2025 le questionnaire du recensement évolue et ce n’est pas si fréquent”.

A sa lecture, les personnes non averties comprendront que les évolutions du bulletin ont fait l’objet d’une large concertation grâce à un groupe de travail du CNIS en 2012, un séminaire en octobre 2020, “approfondi par des consultations complémentaires auprès de services statistiques des ministères, de l’Institut national d’études démographiques (Ined) et de la Défenseure des Droits” et qu’ “à la suite de ces concertations, en juillet 2021, l’Insee a proposé un nouveau questionnaire pour le bulletin individuel”.

La réalité est un peu, voire très différente. Il y a bien eu un groupe de travail du CNIS en 2012 pour conduire une large concertation sur les évolutions des questionnaires du recensement, mais ce groupe de travail a écarté les questions sur les pays de naissance des parents. Il y a bien eu un séminaire du Cnis en octobre 2020, avec des dizaines de participants dans le grand auditorium du ministère des finances pour savoir si les conclusions du groupe de travail de 2012 restaient valables, mais ce séminaire a conclu sur le maintien des conclusions et priorités du groupe de travail de 2012, sans que personne ne soulève la nécessité de revenir sur le rejet des questions relatives au lieu de naissance des parents.

Ce n’est que quelques mois plus tard, au printemps 2021 que la Défenseure des Droits a demandé à l’Insee de collecter cette information sensible au nom de la lutte contre les discriminations – et non pour connaître la mobilité résidentielle comme le suggère le billet du blog de l’Insee. Suite à cette demande effectuée dans le secret d’un bureau, des réunions discrètes associant l’Ined et la Drees ont conduit l’Insee a faire fi des conclusions des larges concertations menées auparavant. Loin “d’approfondir” les conclusions des larges consultations réalisées, les “consultations complémentaires” évoquées dans le billet de blog ont en réalité conduit à les jeter à la poubelle. En 2025, l’Insee ment donc par omission sur la réalité des concertations menés et ce n’est pas si fréquent. Alors pourquoi ce choix ?

Pourquoi aussi faire cette évolution ? Ni la Defenseure des Droits, ni l’Insee n’ont jamais expliqué de façon concrète et précise comment le recensement pourrait être utilisé pour lutter contre les discriminations. On saurait être plus transparent dans la gestion d’une question sensible au sens du RGPD, surtout lorsqu’elle est collectée annuellement auprès de millions de Français et que leurs réponses sont injectables facilement dans de multiples fichiers administratifs par des services statistiques relevant d’autorités ministérielles !

La Cnil a validé nous dira-t-on ? Mais comment la Cnil a-t-elle pu juger de la “proportionnalité du traitement” sans savoir comment concrètement, les données allaient être utilisées ? Sans cette information, comment a-t-elle pu juger que les informations collectées étaient nécessaires, robustes et pertinentes au regard de l’utilisation souhaitée ? Sans cette information, comme a-t-elle pu contrôler la conformité de cette collecte aux obligations légales ? Voilà de quoi alimenter la défiance sur les autorités indépendantes et les discours de ceux qui pensent que les opinions politiques de leurs membres priment sur la rigueur juridique et administrative de leur raisonnement – rappelons que, parmi les “commissaires” de la Cnil, les juristes, représentants le Conseil d’Etat, la Cour de Cassation et la Cour des comptes, sont moins nombreux que les parlementaires et les “personnalités qualifiées” choisies par le gouvernement, le président du Sénat et la présidente de l’Assemblée nationale.

En y regardant de près, il y a donc beaucoup trop de questions, de secrets, de mystères et de mensonges qui entourent cette évolution sensible et, même si ce n’est pas si fréquent, pour éviter les mauvaises surprises, ne répondons pas aux questions facultatives du recensement…

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PS1 : Pendant que j’y pense, M. le Maire, en tant que recruteur des agents recenseurs, avez-vous été informé clairement de l’évolution du questionnaire ? Des objectifs de cette évolution ? Des concertations menées en amont ? Du caractère facultatif de ces questions ? Vos agents recenseurs ont-ils aussi été clairement informés du caractère facultatif de ces questions sensibles ? Dites-le nous. On aimerait savoir.

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PS2 : Je vous pose sur la table une possible raison de la discrétion de la Défenseure des Droits sur les raisons de sa demande : inspirée par François Héran, Claire Hédon veut sans doute mettre en place des outils permettant aux entreprises et aux administrations qui le souhaitent de développer des politiques de discriminations positives à l’anglo-saxonne. Pour cela, il faut qu’elles puissent comparer “leurs” dosages ethniques à ceux de leur zone d’emploi. Il faut donc des statistiques territorialisées que seul le recensement peut produire.

Pourquoi ne pas le dire ? Peut-être parce que Claire Hédon et François Héran veulent mettre la charrue avant les bœufs pour contourner le Parlement qui n’a pas encore voté pour une telle politique ? Ailleurs, dans les pays qui utilisent le recensement pour outiller une politique de discrimination positive, les instituts nationaux de statistiques n’ont pas anticipé sur une éventuelle loi future pour modifier le recensement. Ils ne l’ont fait qu’après que des lois aient été votées pour mettre en place des politiques de discriminations positives et les outiller. Mais, il est vrai qu’en France, l’éventualité d’une telle loi est plus qu’improbable après le rejet de la discrimination positive sur des critères ethnoraciaux par le Comité Veil, au grand dam de Nicolas Sarkozy (rappelons que Nicolas Sarkozy avait mis en place ce comité en 2008 pour réfléchir à une évolution du préambule de la Constitution dans l’espoir de mettre en oeuvre une politique de discrimination positive ethnoraciale en France).

Une autre raison, encore moins dicible, explique peut-être le silence sur la raison d’être des nouvelles questions du recensement. Claire Hédon et François Héran doivent se douter que leurs objectifs risqueraient de braquer la droite et l’extrême droite. En ne disant rien, ils peuvent s’assurer de leur soutien puisqu’une partie de la droite et l’extrême droite sont aussi intéressées par la racialisation du recensement, pour de toutes autres raisons. Un jeu de dupes en quelques sortes, dont les enfants d’immigrés risquent de faire les frais.   

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