Agents de sécurité au Mucem, ces “invisibles” de la culture
Après un mouvement de grève durant l'été en raison d'une série de licenciements, pour certains abusifs, un malaise plane toujours au sein des agents de sécurité du Mucem. Au sein du cadre majestueux du musée, ils dénoncent une ambiance délétère.
Le Mucem a ouvert en 2013. (Photo : LC)
Sous l’iconique résille de béton gris, il faut passer les pylônes grèges et doux au toucher avant d’arriver au check point de la sécurité. Le rituel, dans ce temple de la culture marseillaise comme à l’entrée d’un centre commercial ou d’un hall d’aéroport, chacun l’a désormais intégré. Le sac que l’on ouvre, les bras que l’on écarte devant la “scannette”, le pass que l’on tend, le billet que l’on cherche. Tout cela face à un homme – plus rarement une femme – en uniforme sombre que l’on ne regarde pas, ou si peu.
Au Mucem, certains agents de sécurité ont contacté Marsactu. L’envie de dire qu’ils travaillent “dans une ambiance délétère”, dit leur mail de prise de contact. Mais aussi de raconter ce “métier d’invisible”, comme l’explique Kais* attablé quelques jours plus tard dans un café du centre-ville. Ce trentenaire longiligne aime travailler au sein du musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, conscient à la fois de la beauté des lieux, mais aussi de la charge symbolique que porte ce musée national. “Le Mucem, c’est l’un des emblèmes de la ville. C’est fort de bosser là, mais parfois, c’est vraiment dur”, lâche ce titulaire d’un bac +2 dans le commerce. Il ne trouvait pas de travail dans sa branche, alors il a suivi une formation d’agent de sécurité puis enfilé l’uniforme en 2013.
“Les premiers mois, c’était parfait, tout se passait bien. Et puis l’ambiance s’est tendue et ils ont commencé à nettoyer”
Kamel, un ancien agent
Derrière les parois de verre bleuté imaginées par Rudy Ricciotti, le quotidien de Kais cumule la surveillance liées aux contraintes sanitaires, celle motivée par le plan Vigipirate et le gardiennage de tous les espaces intérieurs et extérieurs du musée. Dans cette filière, lorsqu’une entreprise décroche un marché, le cahier des charges lui impose de reprendre contractuellement les salariés du précédent prestataire. Il y a deux ans RPS Sécurité, présente également à La Friche La Belle de Mai, a donc remplacé Onet au Mucem. Les agents sont restés.
Puis certains sont partis. “Les premiers mois, c’était parfait, tout se passait bien. Et puis l’ambiance s’est tendue et ils ont commencé à nettoyer”, se souvient Kamel Belhaska, licencié en fin d’année dernière. Le Mucem, il l’a vu sortir de terre : “J’étais là avant l’ouverture en 2013, j’ai surveillé les travaux.” Presque dix ans plus tard, il décrit, comme d’autres gardiens, les chicaneries montées en épingle, les petits riens qui usent les nerfs, les blâmes pour des vétilles – un rapport remis 10 minutes en retard, une casquette ne portant pas le bon logo, un masque mal positionné.
Les plus anciens poussés vers la sortie
Marc (*) lui aussi en poste depuis les débuts voit là une stratégie : “Les altercations, ils n’attendent que ça. Tout est fait pour que tu exploses et que tu sois mis à pied.” L’objectif, dit-il, c’est d’écrémer les profils les plus anciens. Ils ont décompté quatre licenciements en quelques mois. Comme celui de Jean-Philippe Cardier, qui travaillait précédemment chez Onet. “Quand RPS est arrivé en 2020, on a compris que si les gars ne partaient pas d’eux-mêmes, ils allaient les liquider”, résume-t-il. Philippe Ibanez, responsable régional délégué de RPS Sécurité, dont le siège se trouve à Toulouse, récuse l’idée : “Il y a eu des licenciements mais pour des faits identifiés. On ne licencie pas pour un oui ou pour un non !” En juillet dernier un mouvement de grève inédit devant l’établissement était venu dire cette crainte d’une purge interne.
RPS a perdu au tribunal des prud’hommes dans le dossier qui l’opposait à Jean-Philippe. Amer, l’ancien salarié dont le licenciement abusif a été reconnu note que le prestataire “préfère budgétiser et aligner 15 000 euros aux prud’hommes plutôt que de payer la prime d’ancienneté de 80 euros à 40 bonhommes”. Une stratégie délibérée ? “C’est quand même étonnant de noter que les salariés licenciés semblaient donner entière satisfaction lorsque le marché était détenu par une autre société”, souligne Aude Adjémian, l’avocate de Kamel Belhaska qui devrait déposer le dossier de son client pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, devant le tribunal des prud’hommes d’ici à la fin du premier trimestre.
Les boites se battent pour avoir ce genre de clients de prestige. Cela leur sert de vitrine nationale”
André Merrakchi, de la CFDT
Chez RPS, Philippe Ibanez balaye l’argument. “Quand tout va bien, je ne vois pas pourquoi l’entreprise se séparerait d’un ancien qui connaît bien le site et la prestation“, assure-t-il. Même position au Mucem. “Moins on a de turn over, moins on a de risque pour la sûreté du site”, cadre Vanessa Hen, responsable du département bâtiments et exploitation au Mucem. La filière est pourtant coutumière du fait, analyse André Merrakchi, représentant CFDT pour les Bouches-du-Rhône des entreprises de prévention et de sécurité : “Les entreprises prennent les marchés à très bas coûts et pour tenir elles doivent faire des économies.” Surtout, détaille le syndicaliste, décrocher un client comme cet équipement culturel majeur est vital pour les grands enseignes de la sécurité : “Les boites se battent pour avoir ce genre de clients de prestige. Cela leur sert de vitrine nationale. Donc les gars qui l’ouvrent un peu trop, on les lourde”.
Section syndicale retoquée
Dans ces salles où l’on questionne depuis 2013 les notions de civilisation, de valeurs humaines, de rapport à l’autre… le quotidien des petites mains de la sécu paraît infime. Et au Mucem, le prestige s’accommode peu de représentation syndicale pour les employés de la sûreté. L’entreprise RPS est bien sûr dotée de représentants du personnel, “mais ils sont à Toulouse tout près des patrons”, grince Marc. Les agents marseillais ont cherché à monter une section. Jean-Philippe Cardier – “je suis un peu une forte tête”, sourit-il – s’est lancé et Kamel Belhaska a distribué des tracts de la CFDT. Le tribunal administratif, saisi par RPS, a retoqué l’élection au motif qu’il ne s’agissait pas là d’un établissement en propre. Les salariés reviendront à la charge dans les mois qui viennent. Mais Jean-Philippe Cardier a depuis été licencié. “Je vous confirme qu’il a payé son implication syndicale”, pose sans détours André Merrakchi.
“On fait les gardiens dans l’un des plus beaux lieux de Marseille et on n’est pas toujours bien traités”, pique un homme, une fois son uniforme remisé au vestiaire. Les guéguerres sur les temps de pause – parce que certains vigiles en profitent pour griller une clope -, les journées qui peuvent s’étaler de 8 h 45 à 20 h (avec une coupure de 40 minutes à midi), les plannings parfois bousculés deux jours avant une prise de poste quand la loi requiert un délai de sept, l’irritation quand la file d’attente est trop longue, la responsabilité, aussi, de devoir surveiller des œuvres assurée pour des montants astronomiques… “La pression fait partie du job. Mais un samedi d’été, on peut faire entrer 4000 ou 5000 personnes. Je peux vous dire que c’est tendu”, dépeint Kais. En 2019, le Mucem a accueilli plus d’1,2 million de visiteurs.
“Anges gardiens”
Pendant la pandémie, en bons travailleurs de première ligne, les hommes et les femmes en uniforme noir (ses “anges gardiens” comme les appelle le site internet du musée) ont, comme il se doit, continué à veiller sur les salles et les jardins, 24 h sur 24 h, sept jours sur sept, même fermés. Jean-Philippe se souvient d’une journée de début du confinement où l’eau avait été coupée : “Et nous comme des cons, on était là-bas sans même pouvoir se laver les mains ou aller aux toilettes.”
“Les salariés évoluent là dans un certain confort et un cadre de travail qui n’est pas l’entrée d’un Carrefour…”
Philippe Ibanez, RPS Sécurité
Vanessa Hen en convient, le poste sécurité est un métier dur : “Ces agents ce sont les premières personnes que l’on voit en arrivant. Or la première impression que l’on se fait d’un lieu va imprimer sur tout le reste. Ils sont aussi souvent déconsidérés par une partie du public, car vus comme des empêcheurs de tourner en rond, ils sont ceux qui demandent de montrer le pass, de lever les bras…” Raison pour laquelle, explique-t-elle, par choix du Mucem, les agents sont ici rémunérés au-dessus de la grille indiciaire en vigueur. “En retour le client est très exigeant, c’est bien normal”, complète Philippe Ibanez le responsable régional délégué de RPS. Chaque semestre le Mucem note la prestation de RPS Sécurité. Un bonus semestriel de 200 à 400 euros pour chaque employé dépend du résultat. “Les salariés évoluent là dans un certain confort et un cadre de travail qui n’est pas l’entrée d’un Carrefour…” argue le responsable.
Condescendance
Kais n’a pas envie de faire pleurer dans les chaumières. Mais ce qui le chagrine un peu “c’est le manque de considération” dans lequel ses collègues et lui évoluent. “Des fois, les gens des bureaux du Mucem sont condescendants”, souffle-t-il le nez au ras de sa tasse de café froid. Dans le somptueux bâti posé sur l’ancien môle, cohabitent les 145 salariés contractuels et employés du ministère de la Culture et ceux des prestataires (médiation, entretien des ascenseurs, jardinage, nettoyage…). Des mondes qui s’interpénètrent facilement, ou non. “Il arrive qu’ils ne nous disent même pas bonjour. Ou qu’ils s’agacent si on ne les reconnaît pas et qu’on leur demande d’ouvrir leur sac”, raconte un gardien. “Des fois, certains te dise sèchement “je travaille ici”. Jure ! Et moi, je fais quoi ?” Reste alors la sensation, tenace, d’être des salariés de seconde zone.
Vanessa Hen, la responsable du département bâtiments et exploitation du Mucem, est embarrassée. “C’est dommage que vous ayez ce genre de retours. Car depuis l’ouverture c’est une question que nous nous sommes toujours posée”, glisse-t-elle. “Nous travaillons avec de nombreuses prestations externalisées et il a fallu mettre tout ça en musique. Mais j’avais la naïveté de croire qu’au bout de neuf ans on y était arrivés.” Quant à l’idée d’avoir au sein du musée un personnel de gardiennage interne, formé spécifiquement pour le site, la responsable l’évacue. “Désormais, dit-elle, tous les musées vont vers l’externalisation.” Un choix économique, évidemment. Un choix de civilisation.
* À sa demande son prénom a été modifié
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Revendications sans doute légitimes. Pour ma part les personnels de surveillance auxquels j’ai eu affaire ne se distinguaient pas par une grande amabilité. Facilement agressifs.
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