Affaire de la rue d’Aubagne : l’ex-adjoint Julien Ruas refuse d’être le fusible politique

Décryptage
le 3 Fév 2022
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Les avocats de Julien Ruas plaidaient mercredi devant la chambre de l'instruction pour obtenir l'annulation de sa mise en examen dans le dossier des effondrements survenus le 5 novembre 2018. L'ancien adjoint à la prévention des risques de Jean-Claude Gaudin est poursuivi notamment pour homicides involontaires et mise en danger délibérée d'autrui.

Julien Ruas était adjoint de Jean-Claude Gaudin en charge de la sécurité civile. (Photo : BG)
Julien Ruas était adjoint de Jean-Claude Gaudin en charge de la sécurité civile. (Photo : BG)

Julien Ruas était adjoint de Jean-Claude Gaudin en charge de la sécurité civile. (Photo : BG)

En partie visible par la vitre de la double-porte close, une magistrate en robe requiert à grands gestes. Ses mains dessinent des vagues, tranchent et enveloppent. Difficile d’en déduire le sens des réquisitions de l’avocate générale près la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui intervient dans le dossier de la rue d’Aubagne. Celui-ci finira toutefois par filtrer : pour elle, il n’y a pas lieu d’annuler la mise en examen de Julien Ruas. Seule personnalité politique mise en cause aujourd’hui, l’ancien adjoint chargé de la prévention et de la gestion des risques, Julien Ruas, n’est pas présent dans la petite salle du palais Monclar, qui abrite la chambre de l’instruction. Dans ce rendez-vous assez technique, ce sont ses avocats qui défendent pour lui la nullité de la décision annoncée en novembre 2020.

L’audience est à huis-clos puisqu’elle est couverte par le secret de l’instruction. Y sont discutés des éléments de fond du dossier qui n’ont pas vocation à être divulgués. La porte hermétique protège le huis-clos. On n’entend que l’écho des voix, jamais plus, même si, en tendant l’oreille, on entendra le nom “Marsactu”. Au sortir de l’audience, les avocats Érick Campana et Benjamin Mathieu confirment s’être appuyés sur un article de notre journal pour conforter leur argumentation. Le 19 octobre 2020, avant la seconde réunion des parties civiles, nous mentionnions l’intention des juges de procéder aux premières mises en examen.

Quelques jours plus tard, le 7 novembre, Julien Ruas trouve dans sa boîte aux lettres une convocation pour son audition de première comparution, le 19 novembre. Il doit se voir signifier sa mise en cause notamment pour des faits supposés d’“homicides et blessures involontaires par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité et prudence et mise en danger délibérée d’autrui”. À l’époque, ses avocats demandent un report de cette audition en vain. Ce délai trop court pour préparer la défense de leur client justifie aujourd’hui leur requête en nullité.

Délai trop court pour un dossier complexe

Dans un temps aussi court, nous ne sommes pas en mesure de défendre notre client, dans un dossier aussi lourd et complexe.

Érick Campana, avocat de Julien Ruas

“Nous demandons que l’émotion légitime ne prenne pas le pas sur le travail de la justice, détaille Érick Campana. Cela revient à demander ni plus ni moins que le respect des droits de la défense”. Selon les avocats du conseiller municipal LR, il s’agit donc de défendre une question fondamentale. “Dans un temps aussi court, nous ne sommes pas en mesure de défendre notre client, dans un dossier aussi lourd et complexe”, argue Benjamin Mathieu. “Il faut bien penser que le dossier de la rue d’Aubagne, il va de là à là-bas“, image Érick Campana en traçant une ligne de ses pieds à la salle des pas perdus, dix mètres plus loin.

Ces arguments étaient déjà au cœur de l’audition de l’élu du 19 novembre 2020 dans le bureau des juges. Lors d’une courte élocution, Julien Ruas lui-même estimait ses droits floués : “Je constate qu’aujourd’hui encore que vous me maintenez dans l’incertitude la plus totale quant aux faits qui me seraient reprochés. Je suis donc privé de toute possibilité de m’expliquer, de débattre et de vous convaincre de mon innocence. Un tel manquement à mes droits fondamentaux est inacceptable et ne saurait être justifié par des contingences de calendrier”.

Lors de leur plaidoirie devant la chambre, ses avocats n’ont pas totalement écarté les arguments de fond concernant les faits reprochés à Julien Ruas. De manière classique, la défense s’exprime après le rapport du président du tribunal qui déroule les éléments du dossier, l’intervention des différentes parties civiles et les réquisitions de l’avocat général.

Débat sur le fond du dossier

Par ces voix différentes, le dossier a été évoqué sur le fond quant aux faits qui pourraient établir la responsabilité directe de l’ancien adjoint dans le déroulé du drame. Lors de son audition devant le juge, cet automne, Jean-Claude Gaudin lui-même a pris soin de souligner combien l’exercice de ses pouvoirs de maire reposait sur les délégations à ses adjoints. Et notamment à Julien Ruas, signataire des arrêtés de péril et “élu dévoué, compétent, attentif à tout”.

Ses avocats veulent limiter son champ d’action aux seuls arrêtés de péril. Mais les parties civiles comme l’avocate générale sont allées plus loin en ouvrant une large fenêtre sur le fonctionnement de la politique de lutte contre l’habitat indigne durant les mandatures Gaudin. L’avocate de la fondation Abbé Pierre, Agathe Quinio, est ainsi revenue sur l’affaiblissement du service dont il avait la charge, l’absence de travaux d’office dans les immeubles en péril entre 2014 et 2018 ou le rapport au vitriol de Christian Nicol, rendu public en 2015.

Le rôle de l’adjoint mis en cause

Puis la cible se rapproche. Les arguments se resserrent sur la responsabilité directe de l’élu et du service dont il avait la charge dans le lent naufrage des 63 et 65 de la rue d’Aubagne. Or, Julien Ruas n’est pas mis en examen pour les seuls faits de l’automne 2018, mais pour des faits qui peuvent remonter à 2014. Période durant laquelle le service de prévention et de gestion des risques a été le destinataire de nombreuses alertes quant à la situation de fragilité du 65.

Nos clients, comme les Marseillais dans leur ensemble, ne comprendraient pas que le seul responsable politique poursuivi dans ce dossier voit sa responsabilité amoindrie.

Pascal Luongo, avocat de parties civiles

Missionné à l’époque pour une expertise et aujourd’hui témoin assisté dans cette affaire, Reynald Filiputti avait écrit à plusieurs reprises pour souligner le danger que représentait cet immeuble. En 2017, il vient encore une fois en appui du cabinet Betex pour souligner la nécessité d’une procédure de mise en péril. Enfin en septembre 2018, Julien Ruas est le destinataire direct d’un courriel envoyé par Sabine Bernasconi, maire LR de secteur, saisie par une riveraine qui découvre à ses pieds un morceau du jambage du 67, inexorablement emporté par le 65.

À la sortie de l’audience, ce mercredi, un autre avocat de parties civiles, Pascal Luongo insiste sur le retentissement public qu’aurait une décision de nullité. “Nos clients, comme les Marseillais dans leur ensemble, ne comprendraient pas que le seul responsable politique poursuivi dans ce dossier voie sa responsabilité amoindrie par l’annulation de sa mise en examen”. La décision est mise en délibéré jusqu’au 16 mars.

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Commentaires

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  1. Alceste. Alceste.

    Puisque ces élus issus de la gaudinie ont pour habitude de dire que cela est toujours la faute des autres, et cet adjoint en est un parfait exemple, et bien monsieur Ruas dites nous quels sont ces autres ?

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    • Otox Otox

      Pourtant, lorsque l’on assiste au différents conseils municipaux, la Gaudinie, aujourd’hui opposition, se targue d’être à l’origine de tout, “c’est nous qu’on a” ” c’est moi qui avons fait” “que je fasse tout bien à Marseille depuis que j’existe que j’ai le meilleur des bilans” etc.
      Devant les juges, pourtant, d’après leurs dires, ils ne sont plus maîtres de rien…

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  2. Andre Andre

    Je trouve surprenant que Gaudin n’ait pas été mis en cause lui aussi. S’il ne jouait pas de tous les instruments, c’était quand même lui le chef d’orchestre et l’habitat dégradé et insalubre aurait dû être pour lui une partition importante. Vu l’état indigent des services dédiés au moment de la catastrophe, ce n’était manifestement pas son répertoire….

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    • Alceste. Alceste.

      Vous connaissez sans doute le fameux monsieur “ON” ?

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  3. taï taï

    Les avocats n’ont comme seule défense, celle du respect des droits de leur client Ruas pour traiter un dossier lourd en un trop court temps !!! Ruas a-t-il même conscience que nos huit voisins morts n’ont pas eu droit, se serait-ce à quelques minutes, pour s’échapper de leur logement. Huit morts, victimes du temps très long de l’incurie gaudiniolesque, et de l’incompétence de ses obligés, sans omettre le cynisme de certains des propriétaires élus.

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    • Jean Peuplus Jean Peuplus

      vous avez raison. De plus n’oublions pas que dans cette affaire, M. Ruas bénéficie de la protection fonctionnelle pour payer sa défense donc aux frais des contribuables. En conséquence, moralement double peine pour les malheureuses victimes

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  4. Neomarseillais Neomarseillais

    L’absence de travaux d’office de 2014 à 2018 dans les immeubles en péril… rien que ça. Je suppose par ailleurs que les propriétaires des immeubles en question sont, ont été ou vont être inquiétés ?

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  5. Mars, et yeah. Mars, et yeah.

    Grosse bordille sans talent ni compétence, qui obtient un poste confortablement rémunéré où quantité de valets lui font des génuflexions, qui s’étonne de devoir un jour se retrouver à devoir payer l’addition. Vae victis.

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