À Salon, le ministre promet de “libérer les élus” des contraintes du logement social

Reportage
le 30 Avr 2024
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À quelques jours de la présentation de son premier projet de loi, le ministre du Logement Guillaume Kasbarian a rencontré des maires sanctionnés par l'État pour leur nombre trop faible de logements sociaux. Son texte promet de desserrer ce cadre, vu comme un frein à la production.

Guillaume Kasbarian débat avec le maire de Salon et d
Guillaume Kasbarian débat avec le maire de Salon et d'autres élus locaux des propositions de sa future loi sur le logement. Photo : Julien Vinzent.

Guillaume Kasbarian débat avec le maire de Salon et d'autres élus locaux des propositions de sa future loi sur le logement. Photo : Julien Vinzent.

“Il y a zéro LLI ?” Quelques minutes à peine après être descendu de la 608 ministérielle, la question fuse. Pas inquiet de son utilisation d’un sigle peu courant, face à un auditoire rompu aux ramifications du logement, Guillaume Kasbarian arbore un sourire gourmand. Avec leurs loyers plafonnés, mais leur procédure attribution moins contraignante que les logements sociaux, ces logements locatifs intermédiaires sont un des piliers du “choc d’offre” que son gouvernement défend.

À Salon-de-Provence, face au bailleur CDC Habitat qui présente le réaménagement du quartier Lurian, il sonde ainsi le projet de loi qu’il présentera en fin de semaine en conseil des ministres. “Il va y en avoir sur la dernière tranche”, rassure Pierre Fournon, le directeur interrégional PACA et Corse du groupe public. “Ah super”, se félicite le ministre du Logement.

Le sujet aurait pu se refermer sur cet échange courtois, et somme toute superficiel, sans l’intervention du maire de la ville, présent parmi une demi-douzaine d’élus. “Au départ, la dernière tranche ne devait être que de l’intermédiaire”, glisse Nicolas Isnard (LR), qui explique avoir pesé pour que le programme de 147 logements accueille aussi un mélange de social et d’accession à la propriété. “Si vous êtes une infirmière de l’hôpital de Salon et que vous élevez un petit seul, si vous n’avez pas un logement social vous ne vous en sortez pas, argumente-t-il. Et, à un moment, si l’infirmière arrive à mettre trois sous de côté, elle va vouloir accéder à la propriété sans que ce soit hors de prix.”

Accueil frais

Aujourd’hui, le logement intermédiaire cannibalise le logement parce que les bailleurs ne veulent plus faire que ça.

Nicolas Isnard, maire de Salon-de-Provence

Quelques minutes plus tôt, en guise de résumé de la forte tension sur le logement social, le maire de Salon expliquait avoir vu le nombre de demandeurs passer de 2500 à 3000 depuis sa première élection en 2014. Et ce, en dépit des 500 logements sociaux construits pendant cette période. Pas démonté par la contradiction, le ministre du Logement commence à défendre son “LLI” comme “un bon produit, un moyen d’équilibrer une opération” pour les bailleurs. “Aujourd’hui, le LLI cannibalise le logement parce que les bailleurs ne veulent plus faire que ça. Nous, on leur dit « faites du logement social », insiste Nicolas Isnard. “Ça ne répond pas à toutes les demandes”, contre encore Guillaume Kasbarian. Le premier adjoint au maire, David Ytier, qui est surtout vice-président de la métropole délégué à l’habitat, pointe l’injonction paradoxale : “L’État nous fixe des objectifs sur les PLAI [les logements sociaux réservés aux plus modestes, ndlr] mais ça devient difficile de le produire…” Les militants de la confédération nationale du logement, venus dire leur “mécontentement” de la politique gouvernementale, auraient presque pu se passer du déplacement.

La résidence Tancrede Melet, livrée en 2020, se compose de seize “villas” et des bâtiments de deux étages seulement. (Photo : Julien Vinzent)

Fi du LLI, pour les élus locaux, s’il y a un caractère “exemplaire” dans cette mue d’un quartier bordé par la base aérienne et l’autoroute A54, c’est la “densification préservant le cadre de vie”. De 287 logements, le Lurian passera à 444 avec la livraison des derniers bâtiments en 2028. Commencée devant seize “villas” qui ne ressemblent guère à leur appellation et sont d’ailleurs des logements sociaux traditionnels, la visite se poursuit devant la principale démolition de l’opération. “Ici, il y avait 130 logements. Deux barres bien dures. On va aérer avec du petit collectif, sept ou huit logements en R+3”, décrit Pierre Fournon. Le tout en restituant 147 logements, desservis par un quadrillage de rues plus régulier.

Une logique qui a pourtant ses limites, fait valoir le maire de Salon, qui préside aussi l’établissement public foncier régional, spécialisé dans l’achat de terrains pour les collectivités. “À force d’empiler des normes, on a créé une crise du logement. On ne doit plus toucher les terres vierges et reconstruire la ville sur la ville. Mais c’est long et compliqué, on le voit bien avec cette opération qui va s’étaler sur près de 20 ans. On n’a pas le temps, l’heure est grave”, plaide Nicolas Isnard en aparté auprès du ministre, considérant les mesures du projet de loi comme “des artifices”.

À l’écoute des maires carencés

Salon-de-Provence n’est toutefois pas la moins dotée en logements sociaux. Avec près de 25 % du parc, elle n’est pas loin de l’objectif à atteindre et n’a donc jamais été sanctionnée par l’État. Mais les communes déficitaires sont nombreuses dans la périphérie salonaise, épinglées dans le dernier bilan départemental record, qui comprenait 40 arrêtés préfectoraux de carence. En début de matinée, sans la présence de la presse, le ministre a reçu quelques-uns de ces maires “de bonne volonté, pour discuter de ce qui peut freiner”. Un signe que les maires carencés ont l’oreille du gouvernement, après la signature d’un courrier commun soutenu par la présidente de la métropole Martine Vassal (divers-droite).

La philosophie de son projet de loi est, poursuit Guillaume Kasbarian, de “libérer la capacité des élus à construire plus” et donc ne comprendra “aucune contrainte imposée de façon descendante”. Celle du rythme de rattrapage du nombre de logements sociaux, au cœur du mécanisme de la loi SRU, serait au contraire desserrée. Les fameux logements intermédiaires seraient ainsi intégrés dans le volume. “Un maire qui consent à construire doit aussi avoir un poids dans le choix des locataires qui sont proposés pour vivre dans ces logements”, complète-t-il. “C’est une demande des maires”, souligne Jean-Marc Zulesi, le député Renaissance de la circonscription, qui participait à la réunion. S’y ajoutent un autre changement du mode de calcul et la fin de la primauté à la commission nationale SRU pour statuer sur les sanctions, donnant les coudées plus franches à l’analyse “locale” des préfets.

Au Lurian, la présentation n’est pas officiellement consacrée à ces points de crispation, qui préoccupent surtout les maires. Devant ce vaste terrain où les dernières intempéries ont fait naître des mares, le représentant de CDC Habitat évoque des difficultés concrètes, telles que la défaillance fréquente des entreprises, ici celle chargée de la voirie et des canalisations. Comptez neuf mois de retard minimum. “Il y aura quelque chose là-dessus dans la loi”, approuve le ministre. Complété par le préfet de région en uniforme, quatre députés Renaissance et RN et la présidente de la métropole et du département Martine Vassal, le cortège évite les flaques et revient, ici et là, à des sujets plus politiques, tel que celui des attributions de logements.

Rejet des Marseillais

De l’aveu du député Zulesi, l’enjeu n’a pas grand rapport avec le “choc d’offre”. Comme celui de la carence, il est pourtant central dans les débats avec les maires. En guise de guide des enjeux locaux, David Ytier explique au ministre que les bénéficiaires du droit au logement opposable sont particulièrement scrutés. Ces publics à la situation particulièrement précaire, dits “DALO”, après avoir fait reconnaître leur statut, doivent se voir proposer un logement par le préfet, qui pioche dans le contingent dont l’État dispose. Sur un ton descriptif qui ne dit pas s’il approuve, le vice-président de la métropole dresse deux catégories : les DALO locaux, qui ne posent pas de problème aux maires, et les DALO “marseillais”, objets de toutes les craintes.

Un rejet de la ville-centre et de ses habitants confirmé, à propos de l’enjeu des relogements en cas de démolition, par le député Renaissance et ex-président de 13 Habitat, Lionel Royer-Perreaut. Problème : en fin d’année dernière, le gouvernement a demandé au préfet de cesser d’attribuer des logements en quartiers prioritaires à ces bénéficiaires du DALO, pour “éviter de concentrer les ménages les plus pauvres”. Le poids plus important accordé aux maires sur les attributions pourrait réduire encore davantage les possibilités.

Encadrement des loyers à Marseille : le ministre veut d’abord “y voir plus clair”
Encadrer les loyers pour limiter les conséquences de la crise du logement : le dossier est porté depuis près de quatre ans par la majorité municipale à Marseille. Officiellement formulée en novembre 2022 par la métropole Aix-Marseille Provence, après des mois de tractations, la demande est depuis lors sur le bureau du ministre du Logement. Ou plutôt des ministres, Guillaume Kasbarian étant le troisième en date. Et pas le plus fervent soutien de la mesure. Alors que les conditions administratives sont réunies depuis quelques jours pour statuer sur le cas marseillais, le ministre nous a répondu qu’il souhaite au contraire temporiser : “Cet encadrement est débattu localement et fait aussi l’objet de débats d’experts et d’économistes sur les effets réels. L’encadrement permet certainement de réduire la part du loyer, mais il peut aussi avoir un effet sur l’offre. (…) Il faut évaluer ce dispositif et je répondrai en temps et en heure aux collectivités qui me sollicitent sur le sujet, mais en étant extrêmement vigilant à ce que ces mécanismes ne viennent pas renforcer la crise du logement en supprimant de l’offre sur le marché.” Aucun délai précis n’est fixé pour cette évaluation.
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Commentaires

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  1. barbapapa barbapapa

    Apartheid social à visage découvert

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Les dernières années auront vu la “libération” de la parole pauvrophobe, raciste et ségrégationniste, notamment de la part d’élus soit-disant “républicains” dont le discours ne se distingue plus de celui de l’extrême-droite. Une belle avancée de la civilisation.

      Lutter contre les pauvres, c’est certes plus facile que de lutter contre la pauvreté. Le gouvernement l’a bien compris, et la droite locale n’est pas en reste.

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    • julijo julijo

      oui, et en nommant ministre, ce député, qui s’était déjà bien fait remarquer, macron ne s’est pas trompé.
      ses propos décomplexés sont souvent à gerber, l’écho qu’ils rencontrent parmi les élus locaux incompétents et redevables à vassal, n’est pas très étonnant.
      comme ailleurs, on avance, on avance….

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      A remarquer le parallèle avec la “libération” de la parole anti-écologique qui “libère” l’agriculture des contraintes écologiques (mais pas que, voir les autorisations délivrées aux giga-fermes d’élevage). Ce gouvernement verse complètement dans un libéralisme capitaliste voire financier de plus en plus pur. 91 municipalités de la métropole avaient rêvé de concentrer tous les logements sociaux dans la 92ème, le gouvernement leur en donne les moyens.

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  2. pm2l pm2l

    Comme dans d’autres secteurs, la multiplication des règlements, des normes, des contraintes et des injonctions finit par décourager les initiatives et provoque une crise globale. L’enfer est pavé de bonnes intentions, on a souvent tendance à le réaliser après coup.

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    • RML RML

      Oui. Bon. En meme temps, si ces élus travaillaient un peu ( ce qui est quasi impossible ici) il n’y aurait pas de problèmes…

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  3. PromeneurIndigné PromeneurIndigné

    Chassez ces pauvres que je ne saurais voir ! Comme d’habitude

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  4. Piou Piou

    “Un maire qui consent à construire doit aussi avoir un poids dans le choix des locataires qui sont proposés pour vivre dans ces logements”
    A deux doigts d’institutionnaliser le clientélisme…

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