“Tu es un peu jeune pour te faire remarquer, tu ne crois pas ?”

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le 22 Avr 2016
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Depuis deux ans, l'adjointe au maire Caroline Pozmentier préside une cellule de tranquillité et de citoyenneté. Elle y convoque les mineurs absentéistes ou auteurs d'incivilités. L'idée est de leur faire un rappel à l'ordre solennel. Marsactu a assisté à une séance.

“Tu es un peu jeune pour te faire remarquer, tu ne crois pas ?”
“Tu es un peu jeune pour te faire remarquer, tu ne crois pas ?”

“Tu es un peu jeune pour te faire remarquer, tu ne crois pas ?”

Dans la salle des mariages de l’hôtel de ville de Marseille, sous les lustres, un simulacre de cour de justice se tient ce mercredi. Celui de la cellule dite “de citoyenneté et de tranquillité publique” (CCTP) chargée d’effectuer un rapport à l’ordre solennel à des mineurs qui pratiquent l’absentéisme à l’école, ou qui ont commis des troubles à l’ordre public. Une sorte de mise en garde avant de glisser vers l’autre rive du port, sous l’autorité de la justice. Une “dernière main tendue”, répètent à l’envi les responsables de la cellule.

Tout l’après-midi, des adolescents et leurs parents ou représentants légaux défilent, prennent place sur les chaises face à l’estrade où siègent des représentants de plusieurs administrations : Philippe Pesteil, pour l’Éducation nationale (en charge à l’inspection académique du dossier écoles de Marseille), Marc Labouz, directeur de la police municipale, le commandant de police Frédéric-Noël Vidal et Bernard Guillemin, substitut du procureur. Au centre, ceinte de l’écharpe tricolore, Caroline Pozmentier, adjointe au maire déléguée à la sécurité publique et à la prévention de la délinquance mène les débats et alterne entre intransigeance et compréhension.

“C’est le passage de la dernière chance”

Ahmad*, un premier gamin de 14 ans scolarisé au collège Henri-Wallon (14e) entre, accompagné de son père, d’origine turque qui ne comprend pas le français et d’un autre proche parent, venu pour traduire les échanges. Il est reproché à Ahmad d’organiser des bagarres devant le collège Alexandre-Dumas, situé à proximité. “Tu es un peu jeune pour te faire remarquer, tu ne crois pas ?” attaque Caroline Pozmentier. “C’est moi la victime dans l’histoire, je me fais agresser”, répond-il avec aplomb, un sourire narquois en coin. Attitude qui a le don d’agacer ses interlocuteurs qui l’enjoignent dans ce cas à porter plainte. “Il faut que tu comprennes que c’est le passage de la dernière chance ici”, reprend l’adjointe.

L’adolescent défie les adultes, jure qu’il dit la vérité. Après un sermon du représentant de l’Éducation nationale, c’est Marc Labouz, le directeur de la police municipale qui hausse la voix : “Je ne te crois pas. Des jeunes qui essaient de nous mener en bourrique, on en voit des centaines. Méfie-toi. Tu dis que tu veux être architecte ? Tu vas être déçu. Parce qu’en prison, l’architecture, elle est pas terrible.” “On sait tout, on travaille ensemble, n’oublie pas” prévient Caroline Pozmentier qui le fait lever pour son rappel à l’ordre solennel. “J’espère que je n’aurais pas à te revoir”. La menace reste suspendue dans l’air.

“Madame, l’école est obligatoire”

Jogging aux couleurs de l’OM, un autre grand gaillard poli entre aux côtés de sa mère, absentéiste patenté scolarisé en classe de troisième aux Caillols. Sa mère le protège, excuse ses absences : “Il a des problèmes d’allergie, il est fatigué”. Le substitut du procureur rappelle la loi et les obligations des parents : “Madame, l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans. Vous risquez jusqu’à 3 000 euros d’amende”. Le discours se rode, cet argument lourd est répété à chaque cas d’absentéisme. Le commandant de police Frédéric-Noël Vidal enchaîne : “Votre enfant peut se retrouver à traîner et tomber dans des histoires de drogue…” La mère promet. On lui souffle de balancer un seau d’eau à son fils les jours où il refuse de se lever. “En tant que premier magistrat de la Ville, je t’ai convoqué pour ce rappel à l’ordre”, conclut Caroline Pozmentier qui, comme à chaque fois, fait lever l’adolescent de sa chaise en lui demandant désormais de retrouver le chemin de l’école.

Aujourd’hui comme à chaque séance, les cas d’absentéisme sont les plus nombreux. Deux sœurs excellent dans ce domaine, avec 86 jours d’absence pour l’une et 63 jours pour l’autre, face à leur mère débordée avec ses cinq enfants. Dans une attitude désinvolte, Luciana et Jasmine* signifient leur indifférence à la séance. Sara*, une autre jeune fille qui a un comportement perturbateur en classe, récemment exclue du collège Germaine-Tillion, est défendue vertement par sa grande sœur. Le père est en prison, la mère alitée. “Pourquoi le principal du collège n’est pas là ?”, s’énerve-t-elle. Philippe Pesteil, le représentant de l’Education nationale répond doucement : “Je le représente. Vous savez, lorsqu’on exclut un élève, ce n’est jamais de gaieté de cœur”. “Vous êtes dans la réaction humaine d’une sœur, vous la défendez. Mais elle a eu un comportement inadmissible, des propos homophobes entre autres, des menaces sur un enseignant. On ne peut pas mettre tous ces problèmes de comportements derrière des problèmes familiaux…”, enchérit Marc Labouz. La grande sœur, presque autant sermonnée que Sara, se range aux arguments. Murée dans son silence, l’adolescente répond juste : “Mon ancien collège, je ne l’aimais pas”.

L’année dernière, une centaine de dossiers ont ainsi été traités à Marseille par ce dispositif mis en place en 2014. Concernant l’absentéisme, le taux de retour à l’école atteindrait 75%. “Cette année, on monte en puissance puisqu’on en est seulement à la deuxième réunion et on a déjà examiné 76 dossiers, explique Caroline Pozmentier. L’idée est de lutter contre un sentiment d’impunité, et de montrer aussi qu’on s’occupe d’eux. Le partenariat entre les différentes administrations, qui partagent une charte de confidentialité est important. On est dans l’infra-judicaire, même si tout se fait sous l’égide du parquet”.

Travail d’intérêt général et sermons

C’est dans le cadre de la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance que le député des Bouches-du-Rhône Bernard Reynès (LR) a proposé la création de ces CCTP. “Marseille est la seule ville de cette taille a en avoir mis une en place”, assure l’adjointe au maire. Alors qu’il n’existe aucun moyen de coercition, les adolescents et leurs parents jouent en général le jeu et répondent à la convocation.

Kevin et Mehdi*, deux amis presque majeurs viennent avec une des mamans, vêtue d’un boubou chatoyant. Elle se tait mais suit les échanges avec intérêt, acquiesce aux remontrances formulées à l’égard des deux garçons. L’affaire est cocasse. En février dernier, Kevin a filmé Mehdi en train de rapper devant deux containers poubelles en feu, avenue de Balustres (13e), pour réaliser un clip. L’artiste explique qu’il est en prépa… pompier, ce qui déclenche des rires étouffés. La journée a été longue.

“Tu te rends compte que vous auriez pu avoir un casier judiciaire, et là, ta carrière de pompier aurait été fichue”, interpelle le représentant de la police nationale qui ne rit plus. Brillant à l’oreille, le rappeur plaide l’ignorance. “Vous vous êtes gâchés là, ajoute Caroline Pozmentier. On vous propose d’accepter, en réparation, un travail d’intérêt général non rémunéré de 15 heures qu’il faudra déterminer”. La CCTP peut ainsi proposer ce genre de travaux de “réparation” n’excédant pas trente heures. Les ados acceptent immédiatement. Ils ont eu chaud. Le tribunal, de l’autre côté de la rive, est accessible à vol d’oiseau.

* Les prénoms des mineurs ont tous été changés.

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Commentaires

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  1. Renardsauvage Renardsauvage

    Très

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  2. Renardsauvage Renardsauvage

    Très bonne initiative!

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  3. Treblig Treblig

    Belle initiative !
    Je suis sûr que le pouvoir de persuasion des intervenants saura en convaincre quelques un !

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  4. CAN. CAN.

    Louable initiative que l’on aurait tort de minimiser
    Une graine est semée
    Reste à espérer qu’elle germe
    Une perche est tendue aux enfants ainsi qu’aux parents
    Reste à espérer qu’ils s’en saisissent

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  5. julijo julijo

    Initiative très intéressante. Tout ce qui va dans ce sens est louable de toutes façons. Ce n’est certainement pas la seule initiative, et dans les établissements les professionnels font généralement leur boulot.
    Les CCTP et leur “rappel à l’ordre solennel” devraient avoir un impact plus fort, plus large. Notamment une manifestation d’intérêt civique pour les ados et leurs familles.

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