La fondation de France veut bétonner la colline de Pagnol pour lutter contre le cancer
Dans le quartier de la Treille (11e), la Fondation de France espère vendre un terrain de 1,3 hectare passé en zone constructible lors de la révision du plan local d’urbanisme. Un projet à l’encontre des valeurs de l'organisme selon le référent environnement au niveau régional qui a quitté son poste depuis.
Mohammed El Guettaa s'occupe de ce terrain abandonné depuis plusieurs années. Photo : Rémi Baldy
Du vert à perte de vue, une poignée de maisons éparpillées, dont l’une abandonnée, des vignes et un calme absolu. Difficile de croire que le lieu se trouve à Marseille. Et pourtant, il s’agit d’un coin abrité du quartier de la Treille (11e), plus précisément au vallon des Douces, à proximité du chemin de Pluvence. Mohammed El Guettaa, un habitué des lieux, ne donne pas d’adresse précise :
En venant de la Valentine, prenez la montée des Camoins, vous arrivez à une patte d’oie, prenez sur la gauche en allant vers Allauch. Vous verrez un viaduc en pierre rouge magnifique. Traversez la petite forêt, il y a une borne au bord de la route c’est là.
Le petit chemin cabossé, dont le bas-côté sert de décharge sauvage, semble ne mener nulle part. Depuis 10 ans, Mohammed El Guettaa dit entretenir ce terrain abandonné. Par simple amour des lieux avec une affection particulière pour le cèdre qui s’y trouve. En se promenant à travers les vignes, la végétation et une bonne dizaine d’oliviers, il prend le temps de montrer “les raisins d’Hambourg”, “les iris blancs”, “les épinards”ou “les cerisiers”….
“Il y a tout ici, il faudrait mettre quatre agriculteurs et faire de la vente à la ferme. Le site pourrait permettre d’alimenter les écoles voisines ou de faire venir des enfants pour qu’ils voient comment on travaille”, s’enthousiasme-t-il. Aux abords d’un terrain en restanques, il imagine un “théâtre pour faire venir des conteurs”. Cette partie est pourtant destinée à accueillir des habitations. Elle se situe sur un terrain de 4,4 hectares appartenant à la Fondation de France.
Un terrain avec une faible valeur
Reconnue d’utilité publique, cette association se décrit sur son site comme le “premier réseau de philanthropie en France” qui “accompagne” les projets d’intérêt général notamment pour “agir pour un environnement durable”. Bien loin de la spéculation foncière, donc. Pourtant, la Fondation de France compte vendre 1,3 hectare de son terrain. Soit la partie qui se situe en espace constructible, le reste étant classé comme naturel à protéger (2,4 ha) et agricole (0,7 ha).
“C’est un dossier compliqué qui traîne depuis longtemps, nous espérons une vente aux enchères début 2020″, confirme Cécile Malo, déléguée générale de la Fondation France Méditerranée. Car l’organisme a récupéré ce terrain en legs en… 2005. “Nous appliquons la volonté du testament. Ici, il s’agit de valoriser et vendre le terrain pour investir l’argent dans la recherche contre le cancer”, explique Cécile Malo. Sauf qu’à l’époque, le terrain ne disposait pas d’une partie constructible. Sa valeur était donc nettement plus faible.
“Nous nous sommes rapprochés de la mairie pour le passage de ce terrain en constructible, il se trouve qu’elle avait déjà engagé une modification du PLU [plan local d’urbanisme, ndlr], raconte Cécile Malo. C’était une étape très longue puisqu’il a été validé en juin 2013″. Dès 2007, une délibération de la ville de Marseille indique que cet espace est en zone NB, soit non constructible. La mairie, note alors que “la pression foncière sur un tel site (…) nous incite à engager plusieurs actions conjointes” dont “une modification des règles d’urbanisme en vigueur”. Dans cette optique, la Ville demande une enquête publique pour “permettre une urbanisation plus dense mais respectueuse du site”. Contactée, cette dernière n’a pas répondu à nos questions dans les délais impartis à la publication de cet article. Tout comme la métropole, chargée de l’élaboration du PLUi.
Le référent environnement quitte son poste
Avec le PLU de 2013, une partie du terrain devient donc constructible, jusqu’à 15 % de la surface avec un maximum à 160 m2 construits par parcelle. Une aubaine pour la Fondation de France qui demande en 2014 un permis d’aménager pour la création d’un lotissement de neuf lots dont cinq à construire. Le plan de ce projet est à consulter ici :
Cette découpe en lots permet de multiplier la surface constructible. S’en suit des recours des riverains, inquiets du passage d’engins de travaux. Une situation arrangée à l’amiable avec la Fondation de France d’où son optimisme pour la vente prochaine du terrain. Mais en interne, le sujet est plus délicat.
En 2016, Christian Desplats, le nouveau référent environnement de la délégation régionale prend connaissance du dossier. Il l’estime “en contradiction avec les engagements et valeurs portés par de la Fondation”. Après avoir vainement tenté d’obtenir des explications auprès des services parisiens qui gèrent le sujet, il décide de quitter son poste “pour ne pas avoir à cautionner cette opération immobilière”. Cécile Malo se montre plus mesurée : “Je comprends que cela pose question, nous essayons de prendre la décision la plus équilibrée et efficace. Ce n’est pas un exercice facile, mais je suis convaincue que le projet qui aboutira permettra de réaliser le rêve de notre donatrice.”
Avec un potentiel de vente qui va augmenter. Le prochain PLUi revoit à la hausse les chiffres de la capacité de construction avec un maximum de 300 m2 par lot. Il y a déjà des intéressés pour reprendre le terrain assure la directrice générale. “Dont des particuliers qui habitent à proximité, mais il y a un devoir de publicité au moment de la vente tout le monde sera au courant”, ajoute-t-elle.
Viendra ensuite le temps de s’occuper de la partie classée comme terre agricole. Elle sera aussi vendue aux enchères. “Nous allons contacter la Safer [ndlr : qui s’occupe du foncier agricole et a un droit de préemption, NDLR], la chambre d’agriculture et nos experts pour nous assurer que les terrains soient dans un projet d’une agriculture responsable”, assure Cécile Malo. Un chantier qui promet d’être compliqué, puisque le terrain ira là aussi au plus offrant.
Vous pouvez retrouver cette enquête dans le numéro de mai du Ravi, le mensuel régional d’enquête et de satire dont nous sommes partenaires.
Commentaires
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Des fois Marsactu j’ai du mal à comprendre vos choix éditoriaux… Faire un article et décrier une organisation de la sorte par rapport à un projet immobilier découlant d’un don d’un particulier ayant dicté sa volonté, pour une dizaine de baraques ? Mais quelle importance ?
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Bonjour,
cette histoire nous a semblé digne d’intérêt car elle illustre concrètement le lent phénomène de déprise des terres agricoles et naturelles dans les franges de Marseille (et la métropole en général), que nous avons traité sous l’angle macroscopique ici https://marsactu.fr/cest-mon-data-ou-sont-les-22-000-hectares-de-terres-agricoles-betonnees-depuis-25-ans/
Il éclaire de plus un enjeu du futur PLUi que nous n’avions pas détaillé lors de notre précédente analyse (https://marsactu.fr/les-sept-points-chauds-du-plan-durbanisme-de-la-metropole/), à savoir l’évolution des constructibilités des zones d’urbanisation “maîtrisée” (UM).
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“bétonner la colline” pour la construction de 10 maisons, c’est pas un peu mensonger et surtout putaclic comme titre??
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Les bétonnières sont à l’oeuvre partout dans Marseille, pas un mètre carré n’y échappe, mais vers la Treille, où il reste encore de la nature malgré une pression immobilière folle depuis des années, c’est particulièrement hallucinant.
Gaudin, amateur revendiqué de pagnolades, n’aura même pas protégé ce patrimoine. Même ça ce n’est que de la com’ (tout comme pour les “noyaux villageois”, en réalité livrés aux promoteurs).
#BétonPartout
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Acte 1 : terrain inconstructible.
Acte 2 : terrain constructible avec un maximum de 160 m2 par lot.
Acte 3 : terrain constructible avec un maximum de 300 m2 par lot.
Acte 4 : ?
Tout va bien : y a bon le béton. Alors qu’il faudrait arrêter l’étalement urbain et le mitage des zones naturelles, on continue en klaxonnant. Mais c’est pour la bonne cause, hein. Et tant pis si les futurs propriétaires des cabanons construits là-bas n’auront qu’une solution pour se déplacer : la bagnole, et son cortège de nuisances.
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