À la Madrague de Montredon, l’État regarde enfin la pollution en face

Actualité
le 9 Mai 2022
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Pour la première fois, les services de l’État ont présenté les résultats précis d'analyses de sols de ce quartier du Sud de Marseille. Un projet immobilier doit voir le jour sur le site de l'ancienne usine Legré-Mante. La question de la dépollution n'a donc jamais autant été d'actualité.

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L'ancienne usine Legré-Mante, en plein cœur du quartier de la Madrague. (Photo : Violette Artaud)

L'ancienne usine Legré-Mante, en plein cœur du quartier de la Madrague. (Photo : Violette Artaud)

“Et dire que l’on vit comme ça depuis des années…” Jeune grand-mère, Maryse Delhomeau vient de recevoir les résultats de l’analyse des sols de son jardin. “Je suis à 523 !”. 523 microgrammes de plomb par kilogramme de terre, soit plus de 200 microgrammes de trop par rapport au seuil d’alerte. Voisine de la friche industrielle Legré-Mante, elle a participé à l’enquête de Gingko, la société qui porte un projet de dépollution et de reconversion immobilière du site. Un “diagnostic de la pollution historique” demandé par le préfet “dans un rayon d’un kilomètre sur les terrains publics et privés”, rappelle le courrier qu’elle vient de recevoir. Le fonds d’investissement spécialisé dans la dépollution et la reconversion de friches industrielle a donc lancé une campagne de prélèvements en… 2017. “Je me souviens, ils étaient venus chez moi. Je ne m’attendais pas à ça, il va falloir prendre des précautions.”, s’inquiète désormais cette jeune grand-mère. Cinq ans plus tard, les résultats enfin communiqués n’ont en effet rien de rassurants.

Quelques jours avant notre conversation, Maryse Delhomeau était la première, le mardi 3 mai, à prendre la parole devant la centaine de riverains conviés à la mairie des 6/8, pour évoquer cette question. De 1875 à 2009, du plomb puis de l’acide tartrique ont été produits dans cette usine à présent désaffectée. “J’ai un petit-fils que je garde très régulièrement et qui joue tout le temps dans le jardin. Que dois-je faire ?”

Face à elle, différents représentants des services de l’État et de la mairie des 6/8 se regardent. “Je vous conseille de contacter un médecin pour faire une plombémie”, finit par répondre Cécile Morciano, responsable du service santé-environnement de l’Agence régionale de santé (ARS). Autrement dit, de réaliser une prise de sang pour vérifier que l’enfant ne présente pas un risque de saturnisme, une maladie causée par ce métal lourd et qui touche le système nerveux.

Esquivée depuis des années par les autorités, la question de la pollution des sols dans ce secteur et de ses conséquences sur la santé n’a jamais été aussi clairement mise sur la table. Le lancement prochain du programme immobilier de Gingko y est pour beaucoup. Celui-ci doit être présenté lors d’une nouvelle réunion ce mardi 10 mai en mairie de secteur, en même temps que le détail de la délicate opération de dépollution. Une forme de transparence saluée par les habitants, qui sont loin d’avoir toutes les réponses à leur question.

Des taux jusqu’à 10 fois supérieurs au seuil d’alerte

Ces taux ne sont “pas compatibles avec les usages constatés dans les jardins d’agréments ou les jardins potagers”, estiment les services de l’État.

Maryse Delhommeau, qui vit au niveau de l’anse des Sablettes, à 800 mètres de l’ancienne usine, n’est pas la plus à plaindre. Trois habitations – sans que l’on sache sur quelles parcelles précisément – sont concernées par des teneurs en plomb qui atteignent les 3500 mg/kg. Des concentrations plus de 10 fois supérieures au seuil d’alerte !

En tout, 75 parcelles ont été testées dans le secteur. Sur 18 d’entre elles, les teneurs en plomb dépassent le seuil d’alerte. S’ajoutent à cela 15 parcelles où le taux d’arsenic cette fois-ci dépasse les 25 mg/kg, le seuil limite pour ce polluant qui peut également s’avérer dangereux pour la santé. Ces taux, annoncent les représentants de l’État présents mardi 3 mai, ne sont “pas compatibles avec les usages constatés dans les jardins d’agréments ou les jardins potagers.”

Une nouvelle campagne de prélèvements

“Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant de parcelles concernées avec des résultats aussi élevés, et encore, ce n’est qu’un échantillon”, réagit Roland Dadena, président de l’association Santé littoral sud. Depuis plusieurs années, ce retraité, devenu spécialiste du sujet, se bat pour la reconnaissance de la pollution dans son quartier. “Ce sont des seuils qui nous interpellent pour la santé humaine ! Sans compter que les travaux de dépollution risquent d’ajouter une couche supplémentaire”, s’inquiète le militant associatif, qui salue cependant l’effort de transparence de la part des pouvoirs publics. Mais il ne compte pas baisser les bras pour autant : “Je vais demander une cartographie précise des points où le taux de concentration de plomb est supérieur à 300 mg/kg, mais aussi que des études sur d’autres polluants soient effectuées.”

Justement, les pouvoirs publics comptent poursuivre les études. Lors de la réunion en mairie de secteur, une représentante de l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, a fait en ce sens une “proposition de levée de doute”. En d’autres termes, l’établissement public invite les habitants se situant dans les secteurs les plus impactés à se porter volontaires pour autoriser de nouveaux prélèvements dans leur jardin. L’Ademe envisage ainsi de réaliser des prélèvements dans 300 jardins supplémentaires et estime que 75 % de ces parcelles pourraient être concernées par des concentrations en métaux lourds qui dépassent les seuils limites. Soit 225 habitations.

“Ils ont peur que leur bien perde de la valeur”

À l’Amical, le petit bar de quartier de la Madrague de Montredon, la pollution, on connait. “Tout le monde s’occupe de ça en ce moment !”, prévient, un brin agacé, Serge Pes, le tenancier. À 11 h, c’est l’heure du pastis et pour François Migliarse, un habitué des lieux, l’occasion de se rappeler le passé. De 1971 à 1976, celui qui est “né ici, habite ici et a travaillé ici”, était manœuvre de l’autre côté du mur, à Legré-Mante. “Je me souviens une fois, un scientifique est venu. Je lui ai fait visiter l’usine. Il a dit qu’ici, il y avait assez d’arsenic pour tuer tout Marseille, se plaît à exagérer le vieil homme. C’est le passé industriel de la ville. Que voulez-vous y faire ? Tout le monde est contre la pollution, mais elle nous a fait vivre.”

Si la résignation peut se ressentir chez les plus anciens du quartier, il existe dans le secteur un autre blocage empêchant de déterrer le passé. “J’aimerais bien que la liste des terrains pollués soit rendue publique pour que l’on sache où c’est pollué. Mais les gens ne voudront pas. D’ailleurs, beaucoup ne veulent pas faire les prélèvements de peur que leur bien perde de la valeur”, glisse à son tour Michel Cuchet, un voisin mobilisé sur le sujet.

Pollution orpheline

C’est toute la question de l’après. Une fois que l’on sait, précisément, que l’environnement dans lequel on vit est pollué dans des mesures pouvant être dangereuses pour la santé, que faire ? L’Agence régionale de santé fournit avec les résultats des analyses une notice des comportements à adopter en cas de dépassement des seuils. Se laver les mains après avoir jardiné, ne pas planter de légumes, veiller aux risques d’ingestion de terre pour les enfants en bas âge… Des solutions de surface, qui sont loin de résoudre le problème en profondeur. “Admettons, on fait les analyses et notre terre est polluée. Qui va payer pour changer la terre ? L’État ?”, se questionne-t-on au bar de l’Amical. Une question qui, à ce jour, n’a pas encore de réponse définitive.

L’État est censé prendre en charge quand le pollueur est défaillant.

Patrick Couturier, chef de service à la Dreal

“En temps normal, c’est l’industriel qui est responsable de sa pollution et qui est obligé de dépolluer, a posé devant la salle pleine de Bagatelle Patrick Couturier, chef de service à la Dreal, la direction régionale de l’environnement, service décentralisé de l’État. En dehors du site de Legré-Mante, la pollution est issue de différentes usines qui appartenaient à des sociétés qui ne sont plus actives aujourd’hui.” Une pollution, qu’on appelle donc orpheline. Si Gingko s’est engagé à dépolluer le site qui lui appartient désormais, qu’en est-il du reste du quartier, également touché par la pollution de l’ancienne usine de l’Escalette ? Il semble que l’intervention publique initiée depuis près de 20 ans plus au sud sur le littoral, notamment à Saména, soit sur le point de s’étendre. “L’État est censé prendre en charge quand le pollueur est défaillant. Je dois voir ça avec le préfet et des partenaires pour essayer de cartographier de manière encore plus précise”, pose Patrick Couturier.

“L’État a besoin de cartographier non plus avec des points, mais avec des zones qui permettront de développer un dispositif adapté à la situation”, explique à son tour Pierre Bennaroche, maire des 6/8. Un dispositif adapté qui pourrait s’inscrire dans un plan de prévention de risques, mais prendre du temps à être mis en place. “Il y a quelques années, on passait pour les casse-pieds, pour la mouche du coche, se souvient Elisabeth Oliva, de l’association Santé Littoral Sud. Les élus nous disaient qu’il n’y avait pas de pollution, que le mistral avait nettoyé.” Désormais, il se murmure qu’il suffit de suivre sa direction pour retrouver les parcelles les plus polluées du coin.

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Commentaires

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  1. Sébastien Hebray Sébastien Hebray

    Entre “Connaissez vous le passer industriel de Marseille ?” et “Ce n’est pas le même budget” ENFIN, l’Etat ouvre les yeux.

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  2. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    “Les élus nous disaient qu’il n’y avait pas de pollution, que le mistral avait nettoyé.” Cet “argument” très scientifique (non) du mistral qui “nettoie” aura bien servi à l’équipe nullicipale gaudiniste : le maire sénile qui a roupillé ici pendant un quart de siècle s’en est servi aussi pour s’opposer à toute restriction de la circulation automobile. Selon lui, il n’y avait pas de pollution atmosphérique car “nous avons le mistral qui souffle pour nettoyer l’air”. Menteurs et irresponsables, ces gens se foutaient complètement de la santé de leurs administrés.

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  3. marc BOCHET marc BOCHET

    ancien habitant du 8e
    Bonjour à tous, les chiffres on s’y attendait un peu et les élus eux espéraient qu’ils baissent avec le temps c’est pourquoi rebelote on déclare qu’il faut a nouveau cartographier pour pouvoir intervenir….ils attendent simplement que les habitants soient tous partis ou morts alors ils feront une dépollution rapide et pourront jouir des terrains à leur guise. Droite ou gauche c’est tout pareil.

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    • jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

      Droite ou gauche c’est tout pareil….!?? Pourtant tout dépend comment vous voyez la Gauche ou la Droite.
      Je préfère l’intérêt public ou bien les services publiques qu’en bien ou profit particulier même si cela désacralise la propriété privée. C’est ce que fait une Commune quand il faut agrandir un chemin…!

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    • PierreLP PierreLP

      Je n’ai pas de souvenir que la droite marseillaise ai cherché à mettre autour de la même table les services de l’état, la population et les élus, sur ce dossier comme sur dautres….

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  4. MarsKaa MarsKaa

    Et le bord de mer ? Où l’on se baigne, où l’on pique-nique, où l’on pêche depuis les rochers, où les enfants jouent dans le “sable” (gravette)… quel taux de pollution du bord de mer, eau et sol ? Sur quelle distance ?
    La droite n’a rien fait depuis 25 ans. A toujours été dans le déni et le jemenfouti.
    Il est temps de se préoccuper de ce problème qui touche des privés, mais aussi un espace public.

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  5. Mars, et yeah. Mars, et yeah.

    L’impact sur la valeur de l’immobilier dans le secteur peut être sanglant, car ce sont des terrains que ni vous ni moi n’achèterions en connaissance de cause vus les taux de pollution.

    Et on applaudit une fois encore l’ancienne municipalité qui s’est dépêchée de s’embringuer avec Gingko pour pondre une grosse bouse immobilière (qui va ajouter une quantité astronomique de voitures dans ce secteur déjà impraticable hors la période Novembre-Mars) sous couvert d’une pseudo démarche de dépollution.

    “Pseudo”, car leur action va consister non pas à dépolluer au sens où les citoyens l’entendent (c’est-à-dire radicalement) mais au strict sens de la réglementation (donc le moins possible). En sachant qu’il n’y a ni à la Ville ni à la Métropole de capacité ni de savoir-faire pour contrôler le respect des engagements / du respect de la loi, et encore moins de volonté tant ils sont stressés (tous) par le retard accumulé ces 40 dernières années en matière de production de logements.

    Bref, c’est toujours aussi glorieux. J’en viendrais presque à laisse tomber cette ville que j’aime tant tellement tout cela est mal géré. Presque.

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  6. Patafanari Patafanari

    Panique organisée? On a testé la terre des jardins. Pas la santé des habitants du quartier en la comparant avec celle des habitants d’autres quartiers?
    N’y aurait -il pas un effet d’aubaine exploité par certains pour récupérer du foncier à vil prix?

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