À Gémenos, le candidat de la Nupes Lucas Trottmann fait campagne en terres hostiles

Le candidat de la Nupes lors d'un tractage sur le marché de Gémenos le 15 juin. (Photo : Marius Rivière)

“Au premier tour, j’ai voté blanc. De toute façon, c’est déjà joué d’avance”, lâche Angélique, devant son stand de poissons, les mains noircies par l’encre des seiches qu’elle nettoie avec conviction. Les yeux rougis par les nuits trop courtes de l’entre-deux tours tant bien que mal dissimulés derrière les verres de ses lunettes, Lucas Trottmann écoute, et se lance : “je suis le candidat de la gauche, dimanche, il y a un second tour, et on est face au RN”. La commerçante l’interrompt : “Mélenchon ? Ah non merci !“. Mauvaise pioche.

Voilà une heure que le candidat de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes), issu de la France Insoumise, erre sous les halles du marché couvert de Gémenos. En compagnie de quelques militants, le jeune homme en chemise à carreaux et coupe bien arrangée interpelle les rares passants présents ce mercredi matin dans cette ville tout sauf acquise à la gauche. Dimanche soir, à l’échelle de la 9e circonscription, il est arrivé en 2e position du premier tour des élections législatives avec 21,6% des voix, trois points derrière Joëlle Mélin, candidate du Rassemblement National (24,8%).

À deux jours du second tour, le candidat chasse les “réserves de voix”, chères aux sondeurs. Dans ce quartier, Roland Gilberti, maire (LR) de la commune depuis 1983, a réuni 43% des voix. Mais à l’échelle de la circonscription, il est arrivé en 4e position dimanche soir, derrière Bertrand Mas-Fraissinet, le candidat Ensemble (majorité présidentielle). 

“Vous êtes de gauche ? Allez vous faire foutre !”

Dans cette circonscription située à l’est de Marseille comprenant Aubagne, Gémenos ou la Ciotat, 54% des électeurs ne sont pas allés voter dimanche. Le marché a des allures de gueule de bois électorale. “Le premier travail, c’est de rappeler à quoi servent ces élections, à quoi servent les députés”, précise Bernadette Sambou-Saivet, ancienne directrice de maison de quartier à Aubagne et suppléante de Lucas Trottman en tendant un tract à une passante. “Vous êtes de gauche ? Allez vous faire foutre !”, lui répond-elle. Décidément, ces deux derniers jours de campagne s’annoncent longs pour le candidat.

“On a besoin de changement, c’est sûr mais je trouve que Mélenchon est un peu trop « dictateur », le personnage fait peur”, confie Jean-Luc, vendeur de vêtements. “Je peux entendre la critique mais il n’est pas seul, il y a des gens autour de lui. On cherche à diminuer la personnification en politique”, assure Lucas Trottmann au milieu des chemises pendues, un tract “Jean-Luc Mélenchon Premier ministre” à la main. Difficile équation. 

Le commerçant assure avoir connu 50% de pertes en deux ans. La crise Covid est passée par là. “Je pense que les labos y sont pour quelque chose”, lâche, un brin énigmatique le vendeur. Lucas Trottmann piétine sur place, hésite et enchaîne : “c’est pour ça qu’on propose de bloquer les prix des biens de première nécessité“, récite-t-il, vraisemblablement plus à l’aise pour discuter pouvoir d’achat.  

Militant et collaborateur de Manuel Bompard

D’où vient ce candidat de 29 ans en passe de devenir député ? Son CV ne diffère pas beaucoup de celui d’autres hommes politiques : une fois sa licence en poche, il a rejoint Sciences Po Paris, pour un master “Affaires Publiques”. “Tous mes camarades de promo ont rejoint l’administration ou des cabinets-conseils, je n’avais pas envie de ça”, retrace le candidat sur la terrasse d’un café du vieux Gémenos. Alors, après les amphis, il veut toucher à la terre. Il passe un brevet de responsable d’exploitation agricole en maraîchage biologique. Ensuite ? Il s’installe à Naples durant un an. 

Qu’est-ce qui le décide finalement à entrer en politique ? “Les chemises déchirées des patrons d’Air France”, lance-t-il, en référence au mouvement de grève des salariés de la compagnie aérienne qui, en 2015, s’était illustré par la prise à partie musclée d’un des dirigeants. “Quand le gouvernement de Manuel Valls s’est positionné contre les salariés alors que c’est eux et leurs familles qui trinquaient, ça a été la goutte d’eau”, se remémore-t-il. Dans la foulée, il rejoint la France Insoumise, s’engage dans la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon en 2017 depuis Marseille, puis dans celle de Manuel Bompard aux élections Européennes de 2019. Il est depuis lors son attaché parlementaire au Parlement européen à Bruxelles. Ce dimanche, les deux hommes tenteront tous deux de rejoindre le palais Bourbon en se présentant à quelques kilomètres de distance l’un de l’autre. 

C’est quelqu’un qui connaît la politique, qui a un savoir-faire.

Bertrand Mas-Fraissinet, Ensemble

Difficile de trouver un élu de gauche pour en dire du mal. “Il a un beau parcours pour son âge. C’est plutôt positif que ça soit un jeune qui représente la gauche et pas un vieux briscard de la politique”, s’enthousiasme Gérard Cazorla, ex Fralib et ancien candidat de la gauche aux municipales à Allauch. “Il incarne parfaitement la Nupes, il a su jouer collectif sans se soucier de l’étiquette politique des uns et des autres, c’est une vraie belle surprise”, détaille Denis Grandjean, ancien candidat EELV aux élections municipales de 2020 à Aubagne. “C’est quelqu’un qui connaît la politique, qui a un savoir-faire”, reconnaît Bertrand Mas-Fraissinet, le patron département d’Ensemble, battu dimanche dernier dans cette circonscription. Avant de modérer : “mais il n’a fait que cela. Il n’a pas eu d’engagements sociétaux“. Le candidat s’en défend : “au contraire, mon expérience est un plus, j’ai une vraie connaissance du travail parlementaire et demain, si je suis élu député, je pense pouvoir faire avancer mes dossiers rapidement”. 

Aux accusations d’inexpérience s’ajoute l’étiquette de parachuté dans une circonscription inconnue pour lui. “Ma famille habite [Roquefort] La Bédoule depuis plus d’un siècle ! J’y ai habité, j’ai vécu à Marseille, je connais ces villes depuis tout petit”, assume Lucas Trottmann. Et d’égrener quelques initiatives aubagnaises inspirantes au niveau national selon lui : la gratuité des transports, la sanctuarisation de terres agricoles par l’association Terre de Liens ou la lutte pour l’hôpital public.

Pèlerinage à Fralib

Lucas Trottman a rencontré les salariés de Scop-ti. (Photo : Marius Rivière)

Après le marché, le candidat Nupes se rend en terrain moins hostile : à l’usine Scop-Ti, la coopérative emblématique des anciens salariés de Fralib, exploitants de la marque de thé 1336, ayant remporté leur combat face à la multinationale Unilever. 

Lors d’un débat organisé par France 3 Provence-Alpes, lundi 13 juin, la candidate du RN, Joëlle Mélin a assuré “soutenir les salariés de Scop-Ti”. Ce qui fait s’étrangler Olivier Leberquier, président de la coopérative. “En 2011, le seul parti qui s’est opposé à une subvention accordée à notre association par le conseil régional, c’était le FN”, affirme-t-il. Lucas Trottmann sourit, comme requinqué par les mots des ouvriers pour affronter les deux derniers jours de campagne.