À Fos, des salariés d’Ascométal dépités après l’annonce du nom de leur repreneur

Actualité
le 30 Jan 2018
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La décision de justice pour la reprise du sidérurgiste Ascométal est tombée ce lundi : l'allemand Schmolz et Bickenbach va devenir le nouveau patron des 350 salariés du site de Fos. Une nouvelle qui n'annonce, pour beaucoup, rien de bon pour l'avenir de l'entreprise et de l'emploi.

Mouvement social devant l
Mouvement social devant l'usine d'Ascometal à Fos-sur-Mer en 2018.

Mouvement social devant l'usine d'Ascometal à Fos-sur-Mer en 2018.

Une quinzaine d’hommes discutent entre d’énormes pneus et une épaisse benne en acier d’où se dégage la chaleur d’un feu. Ce lundi matin, en apprenant la décision du tribunal de grande instance de Strasbourg sur l’avenir d’Ascométal, ils ont décidé de bloquer l’entrée de l’usine de Fos-sur-Mer où travaillent 350 personnes. “C’est une désolation… On ne pensait pas que ça allait se passer comme ça”, réagit à chaud Christian Pantoustier, délégué syndical CGT, la mine défaite. Tous viennent d’apprendre le nom de leur nouveau repreneur : le groupe suisse-allemand Schmolz & Bickenbach (S+B), dont l’offre était moins avantageuse socialement que celle de son adversaire anglo-indien Liberty House.

“Alors que Liberty voulait garder tous les postes, avec l’Allemand, à Fos, quinze postes vont être supprimés tout de suite. Mais le pire, c’est que le nouveau repreneur compte fermer d’ici à deux ans le train à fil [partie de l’usine où l’on fabrique des fils à ressorts notamment, ndlr]. 120 personnes y travaillent”, poursuit le syndicaliste. Alors que le repreneur anglo-indien prévoyait de maintenir la totalité des emplois d’Ascométal sur les cinq sites français, soit quelques 1500 postes, S+B envisage de n’en garder que 1243. Aussi, et c’est vraisemblablement ce qui a motivé la décision du tribunal, si l’Allemand prévoit d’investir 105 millions de moins que son concurrent (soit 195 millions d’euros), son offre ne comprend aucune aide publique. Ce qui n’était pas le cas de la proposition de Liberty House, qui comptait largement sur un coup de pouce des régions concernées (Hauts-de-France, Grand Est et Provence-Alpes-Côte d’Azur – laquelle proposait 5 millions d’euros) mais aussi de l’État pour un montant global de 20 à 30 millions d’euros.

Quatre rachat depuis 1999

Autour de Christian Pantoustier, les visages sont inquiets. Fabrice* a entamé sa troisième décennie à Ascométal“En moins de vingt ans, on s’est fait racheter quatre fois, on commence à avoir l’habitude. À chaque fois, on perd du confort de vie”, entame-t-il, résigné, avant d’être rejoint par un collègue. “Les repreneurs se succèdent et se servent de nous, ils ponctionnent. À chaque fois on perd des terrains, des outils, des magasins et on doit travailler plus pour compenser les suppressions de postes”, ajoute Christophe*, quinze ans de boîte, l’air abattu. Les deux hommes comparent l’évolution de leur salaire depuis leur embauche : à la centaine d’euros près, leur fiche de paie n’a pratiquement pas évolué.

“On sait qu’il va y avoir des réactions en cascade. Quand un service ferme, les autres en pâtissent. À l’aciérie, presque 50 % de notre production constitue la matière première du service fil. Forcément on va trinquer”, conclut Christophe. Ce lundi soir, les syndicats fosséens d’Ascométal avaient rendez-vous à leur demande avec les services du préfet. Ce mardi, une autre réunion doit avoir lieu sur le sujet, à Paris, mais sans eux.

“Une décision politique”

Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire reçoit aujourd’hui dans ses bureaux les dirigeants du groupe S+B, ceux de Vallourec (entreprise qui co-gère avec Ascométal le site de Saint-Saulve dans les Hauts-de-France que S+B veut fermer) ainsi que le président de la région Hauts-de-France et “des parlementaires concernés”. Pierre Dharréville, député communiste de la 13e circonscription s’était déjà rendu à Bercy il y deux semaines pour pousser le gouvernement à prendre position en faveur du repreneur le mieux-disant socialement. Avant l’annonce de la décision finale, le député s’inquiétait déjà du choix du procureur de la République qui se dirigeait vers le repreneur allemand. Cette fois-ci, l’inquiétude s’est transformée en “indignation”, exprimée dans un communiqué :

“Le gouvernement porte une lourde responsabilité dans cette situation. Se refusant à prendre position et à s’engager malgré nos interpellations, il s’est de fait associé à la position du procureur de la République. […] Les apparences laissent à penser que les salariés, qui ont déjà consenti de nombreux efforts pour redresser la situation , payent aujourd’hui la note du couple libéral franco-allemand.”

“Mauvaise solution”

Le choix prendra effet le 2 février prochain, soit dans trois jours. De son côté, le gouvernement semble soutenir le choix du TGI de Strasbourg, qui “permet la reprise de la quasi-totalité des sites d’Ascométal et des salariés qui y sont attachés, par le groupe industriel Schmolz & Bickenbach qui opère déjà sur le marché des aciers spéciaux”, peut-on lire dans un communiqué de Bercy. Un argument qu’à Fos, y compris dans les services censés être éloignés des suppressions de postes, on prend plutôt dans le sens inverse.

“Avec l’autre repreneur on ne savait pas trop ce que ça aurait pu donner. Avec celui-ci, on sait que c’est une mauvaise solution, amorce Antoine, en poste au support technique de vente depuis cinq ans. Schmolz a les mêmes sites que nous. Pour l’instant tout va bien puisque la production en Europe est bonne, mais lorsque les conjonctures vont s’inverser – et c’est ce qui va arriver car ce sont des cycles – c’est chez nous qu’ils vont fermer”. Une inquiétude que partagent également certains décideurs publics locaux.

“Cette nouvelle est inquiétante d’autant plus qu’à la base, Schmolz ne voulait pas reprendre le site de Fos”, déclare pour sa part René Raimondi, le maire divers gauche de Fos-sur-Mer. Autre réaction, celle du président de la région Provence Alpes Côte d’Azur Renaud Muselier qui “ne peu[t] accepter en l’état les conditions de cette reprise” et “demande l’ouverture immédiate de négociations au plus haut niveau pour la préservation de l’emploi et le maintien du train à fil sur le site de Fos-sur-Mer”.

Dans la journée de lundi, le directeur de l’usine de Fos a dû, à plusieurs reprises, gérer la colère de de ces salariés. Dans la matinée d’abord, en venant tenter de rassurer ceux qui avaient pris l’initiative de bloquer l’entrée, puis l’après-midi, lorsque des employés de deux services (le four et le service de recouvrement des fils) ont menacé de faire grève. Ce mardi matin, les syndicalistes de la CGT doivent faire le tour des services pour prendre la température puis, en fonction des différentes volontés, convoquer une assemblée générale dans l’après-midi. Mais ce lundi, assis devant le portail de l’usine dans laquelle ils travaillent depuis des dizaines d’années, plusieurs ouvriers d’Ascométal-Fos ont la même envie : “prendre un chèque et se casser de là”.

* Les prénoms ont été changés à la demande des interviewés.

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Commentaires

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  1. corsaire vert corsaire vert

    Quelque repreneur que ce soit, les suppressions d’emplois étaient à la clef à court ou moyen terme … voir tous les précédents en la matière et la colère des salariès qui se faisaient des illusions !
    Où voit on dans nos économies ultralibérales que l’emploi est prioritaire ?
    C’est sur la masse salariale que les bénéfices se font …
    Je suis étonnée que la CGT qui a pourtant une histoire de ce genre de transaction soit dupe !

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  2. jemamo13 jemamo13

    Le précédent repreneur avait promis le maintien des emplois et en a supprimer plusieurs centaines et a pourtant touché 40 millions d’aide publique il y’a 4 ans … a quoi à servi cet argent?

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  3. petitvelo petitvelo

    M Raimondi, il faut voir le côté positif: Arcelor pourra racheter à ascométal son droit à polluer Fos et ça financera le départs des Asco.

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