À Félix-Pyat, la vie au ralenti d’une cité de 3000 habitants

Reportage
le 30 Mar 2020
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Près de deux semaines après la mise en place du confinement au niveau national, la cité de Félix-Pyat le vit calmement mais n’est pas encore au point mort. Si pour la plupart des habitants, les précautions sont de mise, pour d’autres le quotidien du quartier et les échanges sociaux se sont simplement adaptés, à visage démasqué.

Des habitants au pide de la fresque réalisée à Félix-Pyat par Méta 2. Photo : Lou Bes
Des habitants au pide de la fresque réalisée à Félix-Pyat par Méta 2. Photo : Lou Bes

Des habitants au pide de la fresque réalisée à Félix-Pyat par Méta 2. Photo : Lou Bes

Derrière le masque de protection, on imagine facilement le sourire d’Aurélie Massenet. La cofondatrice de l’association spécialisée dans l’aménagement urbain Meta 2, se trouve au pied de l’immeuble A1 du Parc Bellevue, face à la peinture d’un pissenlit fraîchement finie qui recouvre toute la façade latérale du bloc d’immeuble. Six jeunes habitants du quartier l’ont aidée à la réalisation de cette œuvre, haute de 14 étages, dans le cadre d’un service civique au sein de l’atelier Méta 2, basé dans le quartier voisin de Saint Mauront. Ben est l’un d’entre eux. Il revient bien volontiers sur cette expérience : “Ça me fait sortir un peu”. Il raconte comment cette année, il a appris a faire des pochoirs, à peindre, mais pas que. “On les a fait monter jusque là-haut !”, Aurélie nous montre un point à mi-hauteur de l’immeuble.

C’est ici l’entrée de la cité Félix-Pyat, cette copropriété dégradée autrement appelée Parc Bellevue ou le 143, puisque c’est le numéro de la rue où logent tous les habitants (lire notre série Vivre à Bougainville). À gauche, le métro plonge vers le centre-ville dans un sens, et devient aérien vers le Nord et la station Capitaine Gèze de l’autre. Le terrain vague qui le borde fait partie du vaste projet de parc de quatre hectares prévu par Euroméditerranée.

Près de deux semaines après la mise en place des mesures de confinement, à quelques mètres de là, on attend la gagne dans le stade de foot où un match bat son plein, et sur l’esplanade, on constate quelques petits rassemblements bien espacés. À deux, à cinq, on discute et on rigole. Une vie plus calme que d’habitude d’après les habitants croisés, mais pas un quartier en quarantaine non plus. Ben hausse les épaules : “Chez nous, c’est un peu tous les jours le confinement dans la cité. Si on sort c’est pas très loin et on voit souvent les mêmes personnes”.

Faire tourner l’information

Parmi les quelques véhicules qui passent, certains ralentissent pour dire bonjour, d’autres s’enfoncent brièvement dans la cité pour se garer près du réseau, où le travail n’est visiblement pas suspendu. Une voiture arrive un peu en trombe pour se garer à quelques mètres, un ami de Ben en sort pour faire la bise et se joint à la discussion. “Tout le monde m’appelle Snoop. J’habite ici, mais la majorité des autres personnes en voiture, elles sont venues faire les courses, tu vois ce que je veux dire”. Il ne perd pas le sourire, et il s’arrête souvent pour saluer de près ou de loin des visages bien connus, après 30 ans vécus dans le quartier, lui aussi confiné. “Les gens respectent plein de choses, moi aussi je fais attention, et les enfants sont bien cadrés. J’ai des nièces et neveux, et, crois-moi, leurs devoirs ils les font, et ils sortent qu’avec les parents. En plus, il y a quelques jours les pompiers sont venus chercher un malade grave dans l’immeuble à côté, ça a fait réagir plein de gens”.

Moussa Sitty est lui aussi un enfant de Félix-Pyat. Il y a grandi et y a travaillé de nombreuses années. Il décrit une situation malheureuse, celle du deuil dans des conditions complexes : “Je viens de perdre mes grands-parents, et dans la culture comorienne et musulmane, les deuils se vivent à beaucoup, et tout le monde dans le quartier veut venir nous rendre visite”. Il doit donc “gérer”, mais il ne dresse pas de constat alarmiste : “Je dirais que la plupart des gens suivent les consignes et comprennent. C’est pas toujours facile parce qu’on vit souvent dans des petits espaces et à beaucoup. Il y a ceux qui ne veulent pas vraiment se tenir au courant, et qui ne suivent pas”.

Avant de venir, Aurélie a imprimé quelques dérogations de sortie et une copie des consignes gouvernementales pour les distribuer. La première raison de sa venue est là : elle sait que certains ne sont pas informés, et veut être un relais de fortune de communication gouvernementale : “Attention, les formulaires ont changé, il vous faut des nouveaux !” Pour Snoop et Ben ça tombe assez bien : ils prennent immédiatement en charge la diffusion de l’information. Les attestations imprimées en nombre sont déjà distribuées et les nouveautés expliquées aux habitants qui passent, en français ou en comorien, de la femme enceinte rentrant chez elle au voisin sorti faire les courses. Imprimer le formulaire ou même le recopier sur papier libre semble compliqué pour beaucoup.

Commerce de dérogations

L’infographie de l’État au sujet du Coronavirus, en quatre pages, sera également bien communiquée ; le partage des tâches s’établit entre Snoop qui se bat avec le scotch pour les afficher dans le hall d’immeuble et Ben qui fignole sur son téléphone un snap pour faire tourner l’info, “ça ira plus vite”.

Au centre de la cité, à quelques pas du commissariat et de l’école qui jouxtent les bâtiments, se trouvent les rares commerces du quartier. Seules trois boutiques n’ont pas le rideau tiré. L’épicier a quelques clients qui dégustent une boisson fraîche, le pharmacien reçoit une personne. En revanche, une petite queue s’est formée au taxiphone. On ne peut pas y entrer, mais sur un bureau qui occupe le pas de porte il y a un stylo qu’on partage, et on y pose de la monnaie. Les dérogations de sortie y sont vendues, et on vient en chercher pour tout le monde : “Combien tu m’en fais pour deux euros ?”

À ce prix-là, un jeune homme au masque chirurgical et aux gants en latex – le seul habitant croisé ainsi protégé – repartira avec dix autorisations prêtes à êtres remplies. ce papier fait office de laisser-passer dérogatoire s’il est accompagné la pièce d’identité en cas de contrôle de police. “Moi, je veux juste pas avoir de problèmes. Les contrôles, j’ai l’habitude et je préfère les éviter. Même avant le confinement, même si j’ai rien à me reprocher, je vois la police et je trace ma route. Et en ce moment, il y a de plus en plus de contrôles. J’ai un peu peur qu’ils en profitent, j’ai entendu pas mal d’histoires…”, raconte Snoop, méfiant. “J’ai vu des gens se faire contrôler sans dérogation, et les flics prennent en photo leur carte d’identité, on leur dit rien d’autre mais ils vont faire le PV une fois qu’ils sont rentrés au poste”.

Détente sur le stade de Félix-Pyat à l’heure du confinement. Photo Ilies Hagoug

Contrôles masqués et démasqués

Le jeune homme est particulièrement sur ses gardes, car quelques minutes auparavant, la police était bien visible dans le quartier lorsque quelques agents coursaient un petit groupe près du taxiphone. Les visages couverts de masques dépareillés – allant du précieux FFP2 en passant par le masque chirurgical ou en tissu, les policiers courent en les tenant. D’autres avancent le gaz lacrymogène au poing. La poursuite tourne court lorsque les poursuivis se réfugient dans les immeubles anciens en bordure des grands ensembles. Retour au poste, sans sourciller devant les quelques spectateurs hors de chez eux, qui reprennent la discussion interrompue, ou la place assise cédée pour mieux voir l’action. Peu ou pas de protection chez la plupart de ces badauds non confinés, et la pharmacie affiche comme tant d’autres : “Pas de masques, pas de gants”.

De l’autre côté de la cité, devant l’arrêt de bus qui jouxte le métro National, les contrôles liés au confinement sont plus d’actualité. Le bus 89, qui relie une bonne partie des quartiers nord au centre ville est bondé, service limité aidant. Trois gardiens de la paix montent à bord et vérifient que chacun des passagers détient la fameuse dérogation. Pour ceux qui ne la possèdent pas et qui n’habitent pas le quartier, le retour se fera à pied. Les contacts sont multipliés, et pour ces trois policiers, pas un masque en vue. L’un d’entre eux est particulièrement résigné : “Vous voyez vous-même les deux choses qui me désolent : le bus est bondé, tous n’ont pas un motif valable et de notre côté on est pas du tout équipés. Les quelques masques qu’on a réussi à nous trouver étaient tellement périmés qu’ils s’effritaient sur notre nez”.

“L’impression de faire ma part”

D’après le secrétaire départemental du syndicat Alliance, Rudy Manna, cet agent est loin d’être le seul à se plaindre du risque pris : “Je reçois chaque jours de nombreux témoignages, de nombreuses plaintes d’agents. On est en face d’une incompétence généralisée au niveau national. La priorité va au personnel soignant, c’est normal, mais dans tous les cas il n’y a tout simplement pas de masques ! On risque aussi de propager à la population ou même au sein de nos services”.

Les PV rédigés au commissariat seraient selon lui liés à cette situation exceptionnelle : “On prend en photo ou on relève l’identité, et l’amende est rédigée électroniquement, ça permet d’éviter de toucher trop de documents”. La généralisation de cette pratique habituellement réservée aux contrôles routiers est confirmée par la direction départementale de la sécurité publiques des Bouches-du-Rhône.

Zaïnaba passe devant la fresque en revenant du travail. Ironie du soir, elle travaille dans une blanchisserie qui traite majoritairement du linge pour des établissements médicaux. La jeune femme y est couturière, et sa mission actuelle est de fabriquer des masques pour le personnel qui traite le linge utilisé par les patients et les soignants. “J’y suis depuis le 2 mars et c’est arrivé à ce moment-là, donc on fait des masques. C’est bizarre, je ne me rends pas trop compte du confinement parce que je vais au travail tous les jours. Mais j’ai quand même l’impression grâce à ça de faire ma part dans ce qu’il se passe. J’entends les gens applaudir à 20h et je suis contente d’avoir contribué”.

Le pissenlit gigantesque qui orne désormais le bâtiment A-1 devra, comme le reste de la France, attendre quelques temps avant que les regards des passants ne se posent sur lui. Il lui manque d’ailleurs une touche finale. “On doit faire les racines de la fleur, avec chacun des participants à l’œuvre qui choisira où elles iront et ce qu’elles représenteront”, explique Aurélie. Pour Ben, c’est déjà tout choisi. “Je vais mettre la même phrase que j’avais choisie pendant une projection qui faisait partie du projet : Le jour se lève pour nous tous”.

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Commentaires

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  1. Malaguena/Jeannine Malaguena/Jeannine

    j’ai eu 2 témoignages :

    1° une personne que je connais bien qui habite ce quartier, qui elle n’a pas de masque, mais la plupart des jeunes “qui traînent” en portent.

    2° une amie policière qui me confirme qu’effectivement quand ils ont un masque, ils le portent le plus longtemps possible car pas suffisamment de masques, mais confirmation la plupart des jeunes de ces quartiers (de la plupart des cités) portent des masques FFP2 ou autres.

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  2. Tarama Tarama

    ” Une voiture arrive un peu en trombe pour se garer à quelques mètres, un ami de Ben en sort pour faire la bise et se joint à la discussion.”

    Il y en a qui ont du mal à imprimer. Et pas que les attestations.

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  3. corsaire vert corsaire vert

    C’est exact …et valable dans tout le quartier .
    Les soignants de l’hôpital européen en manquent mais les passants : jeunes en maraude , en sont pourvus .
    Cherchez l’erreur ….
    Le marché noir ainsi que celui de la drogue n’ont pas de cesse , confinement ou non
    Ce n’est pas dans ces conditions que l’on s’en sortira .
    Certaines personnes croient aussi que le vaccin de la grippe immunise contre le Covis 19 ! ( entendu dans une grande surface du quartier)
    Entre ignorance et commerces illicites l’angélisme de l’article n’est guère convaincant .
    Il faut reconnaître que le slogan officiel entendu sans arrêt dans tous les médias ” si vous avez de la fièvre et de la toux , vous êtes PEUT ÊTRE MALADE” est tellement stupide qu’il n’incite pas à la prudence : si on a de la fièvre et de la toux ON EST BIEN MALADE ET NON PAS PEUT ËTRE !!!
    Sans fièvre ni toux on n’est pas contagieux ? SI !!!!!ON PEUT ÊTRE PORTEUR ET CONTAGIEUX .
    La connerie de nos dirigeants endormis dans leur confort de privilégiés est sans limite et ce serait comique si elle n’était pas létale .

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    • Zumbi Zumbi

      Je ne vois pas d’angélisme dans cet article, mais une description d’une situation, qui n’a pas besoin de commentaires indignés, de dénonciations confortables ni de wagons de points d’exclamation. Encore moins qu’on nous explique ce qu’on doit penser.
      Soit dit en passant, dans d’autres quartiers plus “respectables” on peut aussi constater, en devinant que les mêmes causes produisent les mêmes effets que de plus en plus de personnes se promènent avec des masques, et qu’à certaines heures le trafic automobile s’intensifie.

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    • Pierre Pierre

      Merci Zumbi

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  4. Alceste. Alceste.

    Il faut quand même préciser quelque part la provenance de ces masques chirurgicaux de base ou ceux plus élaborés. Ils proviennent sans doute des stocks d’hôpitaux , de cliniques ou de pharmacies et ceci concerne comme le précisait Zumbi , tous les quartiers de Marseille sont concernés . La très , très , très grande majorité des gens qui bossent dans ces lieux de soins sont des gens qui font leurs métiers de façon dévouée , remarquable , risquée. et merci à eux du fond du cœur. Mais malheureusement au milieu de ces personnes remarquables, nous avons les connards habituels pratiquant “le tombé du camion”. J’espère qu’ils vont se faire interpeller et “prendre cher”.

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  5. PromeneurIndigné PromeneurIndigné

    Excellent article

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