À Bouc-Bel-Air, il faut avancer masqué… ou presque

Reportage
le 21 Mai 2020
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À Bouc-Bel-Air un arrêté oblige au port du masque depuis le 15 mai. Le maire se targue d'une mesure protectrice pour la population. Du côté des habitants, l'arrêté divise, quand il est connu... Immersion dans le village masqué de Bouc-Bel-Air.

À Bouc-Bel-Air, il faut avancer masqué… ou presque
À Bouc-Bel-Air, il faut avancer masqué… ou presque

À Bouc-Bel-Air, il faut avancer masqué… ou presque

Bouc-Bel-Air serait-il l’irréductible village des Bouches du Rhône résistant au coronavirus, protégé non pas grâce une potion magique mais par un arrêté obligeant le port du masque ? Une mesure audacieuse, alors que des exemples plus à l’est de la région montrent que ce genre d’arrêté n’est pas du goût des préfectures et des associations. À Nice, Christian Estrosi a dû en proposer trois versions depuis le 7 mai, attaquées par plusieurs recours en justice.

Dans les Bouches-du-Rhône, la préfecture n’a finalement pas retoqué l’arrêté mais fait la grimace. Elle demande au maire LR Richard Mallié “d’améliorer la rédaction de son arrêté pour préciser les lieux dans lesquels le port du masque est obligatoire”. L’arrêté reste pour l’instant en vigueur. Alors à Bouc-Bel-Air, tout le monde avance masqué ?

Pas plus masqués qu’ailleurs

Depuis le bas du village où nous dépose le bus, il faut déjà marcher quinze minutes pour croiser une âme hors d’une voiture. Une fois arrivé sur la place du village, on s’attendrait à voir une foule de visages masqués, soucieux du coronavirus, ou de l’amende de 38 euros prévue par l’arrêté du maire. Surprise, des habitants jouent à la pétanque, sans masque, et côtoient une bande d’adolescents se chahutant, le visage également découvert.

Déjà là, un journaliste de M6, bien masqué lui, nous dispute les quelques passants qui traversent la place, pressés de faire des emplettes ou de rendre leurs livres à la bibliothèque. Il arpente la place de long en large, sa caméra au poing, en quête d’action, ou du moins d’une rare activité humaine masquée à filmer.

Quand on aborde ces quelques passants, une partie ne connaît pas la mesure, d’autres ne savent pas vraiment où ni comment elle s’applique. Certains viennent de Marseille, et profitent des coins ombragés de la place du village, discutent et fument, sans masques sur le visage, pas au courant de l’arrêté. “Je ne savais pas, mais il n’y en a pas beaucoup qui l’appliquent, regardez !”, s’exclame un Marseillais en désignant une femme sans masque sur la place.

À l’exception de quelques groupes de personnes en plein air, ceux qui s’engouffrent dans les commerces et la bibliothèque municipale portent déjà un masque ou le mettent en entrant. “L’arrêté n’a pas changé grand chose pour moi, je mettais déjà le masque avant” concède Sylvie, une habitante. “Par contre, là je sors de la poste et je l’ai enlevé dès que je suis sortie parce qu’il fait chaud là-dessous !”, ajoute-t-elle en riant.

Habitants et commerçants dans le flou

Il faut dire que l’arrêté n’était pas des plus clairs sur la marche à suivre. Dans une information aux habitants posté sur le site et le compte Facebook de la mairie, voici ce qu’il est expliqué : “Concrètement, le masque est obligatoire dans les commerces, les lieux recevant du public et où il n’est pas possible de répondre à l’exigence d’un mètre minimum entre individus “. Faut-il porter son masque en continu, même dans l’espace public ? Le dégainer dès que la concentration de personnes au mètre carré est trop importante ? Comment un policier pourra-t-il évaluer si une situation nécessite verbalisation ? Tant de questions et si peu de réponses pour les Boucains.

Pour le maire Richard Mallié, la réponse est simple : “Si on est dans un regroupement et qu’on ne peut pas avoir une distanciation physique, il faut porter le masque. Pour moi, c’est du bon sens”. Pour l’heure, aucune verbalisation n’a été dressée. L’édile voulait avait tout faire une annonce dissuasive. “Pour moi c’est du bon sens, argumente-t-il. Moi-même je porte un masque lorsque je traverse la place”

Dans l’espace public, peu de signes de l’arrêté. Il ne figurait pas sur le panneau d’affichage à l’extérieur de la mairie mercredi 20 mai après-midi. Certains habitants ont reçu un coup de fil du maire, comme Catherine. “J’ai reçu un message vocal où monsieur le maire a expliqué le contenu de l’arrêté” détaille-t-elle, “ravie” de cet arrêté. Mais seule une passante parmi celles et ceux qui nous avons rencontrés nous a fait mention de ce message. Selon le maire, ces appels ont été récurrents tout au long du confinement, et s’il y a eu des ratés, “la liste de numéros s’est affiné au fur et à mesure quand des administrés nous signifiaient qu’ils n’avaient pas reçu les informations”.

L’information a surtout circulé par le bouche à oreille entre habitants, et grâce aux commerçants. “On informe de l’arrêté les clients qui entrent sans masques et en général ils en achètent”, explique Pascale Cardolaccia, gérante de la pharmacie du centre. Le cas se présente quelques secondes plus tard sous nos yeux, alors que deux clients entrent sans masque.

Un accueil mitigé de la population

Une chose est sûre, les avis sont tranchés : on adore ou on déteste l’arrêté pris par le maire. Chacun dépeint un village totalement différent. D’un côté, les villageois ne respecteraient pas du tout les règles sanitaires, mais pour d’autres, tout le monde se tiendrait à bonne distance.

Quand on regarde autour, la place est surtout vide, traversée par quelques passants, dont la majorité portent un masque. À une exception près, une longue queue devant La Poste, où les masques et la distanciation sociale sont de rigueur.

“Je trouve ça très bien parce que les gens ne sont pas raisonnables. Dimanche il y avait le marché et certains se faisaient la bise, ne respectaient pas la distanciation. Il faut les protéger d’eux-mêmes”, lance Lisa, une habitante très convaincue du bien-fondé de l’arrêté.

“C’est ridicule”, s’indigne Roger, tenancier du tabac sur la place. “Je vois des gens qui se connaissent depuis trente ans et qui se tiennent à l’écart les uns des autres.” Lui-même ne porte pas de masque derrière sa vitre en plexiglas qui le sépare des clients. “Pendant deux mois, j’ai été ouvert et en contact avec plusieurs centaines de personnes et on n’était pas obligés de porter un masque” ajoute-t-il. On ne sait pas si l’arrêté aura un effet sur la propagation du virus, mais il aura au moins bien fait parler de la commune.

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Commentaires

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  1. Massilia fai avans Massilia fai avans

    Les mêmes qui nous ont expliquer pendant des années que « Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage » (loi de 2010) prennent des arrêtés imposants qu’on le fasse. Je serai curieux de savoir comment vont se passer les prochaines polémiques nationales sur le port du voile qui ne manqueront pas de réapparaître quand tout ceci sera terminer. Il y en a au moins 3 ou 4 par an.

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    • Tarama Tarama

      L’état d’urgence sanitaire plus fort que l’état d’urgence terroriste.

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    • petitvelo petitvelo

      A ce propos, j’ai croisé l’autre jour un charmant couple, mais n’en tirons pas une règle générale, c’est l’atypicité qui m’a marquée.
      Monsieur était avec sa longue barbe et en tenue estivale. A son bras, Madame était toute de noir couverte, les cheveux compris et le visage mangé par un masque bleu … dans un département au vert, dans une large rue déserte.

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    • Jean-Baptiste Jean-Baptiste

      Loin de moi l’idée de défendre la loi sur la dissimilation du visage, mais elle a toujours prévu une exception pour raison sanitaire, tout comme elle prévoit une exception pour le port du casque à moto. Très mauvaise façon d’aborder sa remise en question !

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  2. Jacques89 Jacques89

    L’air n’est pas forcément plus « bel » à Bouc, mais devant les incohérences des dispositions adoptées par les services de l’Etat, on ne peut pas reprocher aux maires d’user de stratagèmes pour développer des mesures générales qui visent à réduire la prolifération du virus. Que ce soit sur les traitements ou sur les mesures de protection, la cacophonie généralisée depuis des mois n’est que le résultat d’une politique qui jongle avec les insuffisances des services saccagés depuis des années.

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  3. Tarama Tarama

    ” On ne sait pas si l’arrêté aura un effet sur la propagation du virus, mais il aura au moins bien fait parler de la commune.”
    Tout est dit.

    Et ces gens, lui, Estrosi, sont des habitués de la gesticulation dans le seul but de faire parler d’eux.

    Arrêté retoqué par la préfecture depuis (car illégal).

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  4. pbatteau pbatteau

    A tout le moins, au lieu de se défouler pour ou contre le malheureux Maillé, on peut regarder la littérature scientifique la plus récente sur la transmission du covid

    https://www.pnas.org/content/early/2020/05/12/200687411

    (malheureusement en anglais mais la revue PNAS mérite le détour souvent car c’est l’une des trois ou quatre revues scientifiques au sommet de la hiérarchie mondiale même si cela tout article reste entaché d’incertitude.
    Ce qui est montré par un montage expérimental sophistiqué est que des particules de salives émises en parlant et contenant suffisamment de charge virale pour contaminer peuvent subsister plusieurs minutes dans l’air ambiant et s’y mouvoir dans tout l’espace avant de retomber par gravité. Pas trop de risque en plein air certes mais dès des individus parlent sans masque dans un endroit fermé (ex supermarché ou commerces ), même avec la distance requise, le virus peut se balader sans être filtré par la plupart des masques (fait pour protéger les autres et non soi-même) et à fortiori être respiré par les personnes sans masque même distantes de plusieurs mètres. On a d’ailleurs pu remarquer le lendemain de la publication du papier, lors d’une émission TV en studio sans masque mais avec distance, que l’animatrice a évoqué une instruction qui leur a été donnée de ne pas parler fort. Bernard Pivot présent et toujours volubile , a eu beaucoup de mal à respecter la règle ! Espérons pour les autres qu’il n’était pas positif.

    Je ne sais pas si Richard Maillé lit PNAS mais son idée n’est pas dénuée de fondement pour les lieux non en plein air au moins.

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  5. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Comme l’écrit Tarama un peu plus haut 21 mai 2020 à 10h47) :
    “Et ces gens, … sont des habitués de la gesticulation dans le seul but de faire parler d’eux. ”

    Profitons en pour parler de M. Maillé :

    Richard Mallié a été élu au poste de premier questeur à l’Assemblée Nationale en juin 2007, « un questeur qui se croyait tout permis » selon Médiapart :

    « En 2013, un ancien majordome dans les appartements des questeurs nous avait révélé les dérives d’un des détenteurs du poste, Richard Mallié (UMP). Celui-ci avait oublié qu’il servait l’État, et non l’inverse. Le député avait, par exemple, envoyé son chauffeur à 700 km de Paris, dans sa circonscription, livrer des meubles à plusieurs de ses proches.
    « Quand une personne est à votre service, elle est à votre service ! » nous avait répondu l’ancien questeur à propos des 1 000 faveurs sans rapport avec la fonction qu’il avait exigées de son maître d’hôtel payé sur fonds publics.

    Richard Mallié n’a jamais été embêté. Le majordome, lui, avait été licencié avant notre article, mais il avait tenu à nous parler « pour briser l’omerta qui pèse sur le fonctionnement de l’Assemblée, tous partis confondus » : « Quelques personnalités clés sont toutes-puissantes, sans contre-pouvoir en face d’elles, personne à qui rendre des comptes. Heureusement que tout ce qui se passe au Palais-Bourbon ne se sait pas à l’extérieur, sinon ça entacherait gravement l’image des politiques. »
    https://www.mediapart.fr/journal/france/140719/mediapart-le-parlement-et-le-fantasme-du-coupeur-de-tetes?page_article=2

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