Le théâtre Toursky proche du redressement judiciaire, ses salariés se disent “abandonnés”
Cofondé il y a 52 ans par Richard Martin, le théâtre Toursky est en cessation de paiement. Il pourrait être placé en redressement judiciaire vendredi. Pour ses salariés, la situation est la conséquence directe du non-versement par la Ville de Marseille de sa subvention annuelle. Ils expriment aussi leur peur sur l'avenir de l'équipement culturel et pour leurs emplois.
Le théâtre Toursky, en juillet 2024. (Photo : C.By.)
“La décision a été prise par le conseil d’administration lundi soir de faire une demande de redressement judiciaire pour protéger au mieux les salariés et l’association Compagnie Richard Martin – Théâtre Toursky”, explique Elisabeth Audouard, l’avocate d’une partie des salariés du théâtre Toursky. Cette requête a été déposée en urgence mardi 23 juillet au matin et audiencée l’après-midi même par le tribunal judicaire de Marseille. La décision a été mise en délibéré au vendredi 26 juillet. Mais au sortir de l’audience l’avocate se satisfaisait d’un “avis favorable émis par le parquet” en faveur du placement en redressement judicaire de l’équipement culturel cofondé par Richard Martin, il y a 52 ans. En octobre dernier, l’emblématique comédien est décédé, laissant les rênes de la direction à son épouse, Françoise Martin-Delvalée.
Ce placement en redressement judiciaire va signer une nouvelle étape dans la bataille qui oppose depuis plusieurs mois la direction du théâtre et la Ville de Marseille. Au printemps dernier, la mairie, propriétaire du bâti, a décidé de suspendre sa subvention annuelle de 950 000 euros à l’équipement culturel en raison “d’un lourd déficit” et de la gestion du lieu qui a conduit à l’ouverture par le parquet de Marseille d’une enquête des chefs d’escroquerie et abus de confiance. Selon les conseils de la Ville, verser cette subvention risquerait de placer la commune dans la situation délicate de “soutien abusif”. La perte de ce financement crucial plonge le théâtre dans la tourmente financière et jette ses 21 salariés dans une sidération mêlée de colère : “On se sent trahis et abandonnés”, pose Mehdi.
“Je suis en dépression”
José, lui, est au bord des larmes : “Je suis en dépression totale.” L’homme travaille au théâtre Toursky depuis bientôt 30 ans. Entouré d’autres salariés de l’établissement culturel de Saint-Mauront (3e arrondissement), il laisse parler son désarroi auprès de Marsactu : “Je suis un pilier ici. Ce théâtre, il m’a attrapé il y a bien longtemps et ne m’a plus lâché depuis. La situation dans laquelle on se trouve est un enfer, elle me rend malade.” Ce soir de juillet, quelques jours avant le placement en redressement judiciaire, ils sont une demi-douzaine autour de la table, sur la terrasse du théâtre, réunis pour faire le point sur le devenir du Toursky.
Les salariés ne l’ignorent pas, la situation est difficile. La cessation de paiement, le placement en redressement judiciaire et la nomination d’un administrateur impliquent, certes, le gel des créances de l’équipement culturel, mais ils imposent aussi d’élaborer sous deux mois un plan de redressement. Et donc de réaliser des économies ou d’augmenter de manière importante les recettes de l’équipement. À moyenne échéance, la vie du théâtre et les emplois seront impactés. “À court terme, une grande partie des salariés va prendre ses congés en août, pas la totalité car le théâtre doit rester ouvert. Le solde des salaires de juillet et les congés d’août seront priss en charge par le fonds de garantie des AGS – association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés. Ils seront donc versés, peut-être avec un petit décalage”, précise Elisabeth Audouard. Mais à compter de septembre, charge à l’association gestionnaire d’assurer la reprise des paiements mensuels.
Recours indemnitaire
Voilà pour le plus pressé. En raison de la cessation de paiement, l’avocate a saisi le tribunal administratif (TA) : “J’ai déposé une demande préalable indemnitaire auprès de la mairie avant de saisir le TA pour seize employés. Car c’est du fait du non-versement par la mairie que les personnels se retrouvent dans cette situation. La mairie génère ce préjudice pour les salariés.” Un recours pour abus de pouvoir a également été formé devant la même juridiction, “contre la décision de la Ville de refuser d’inscrire le vote de la subvention au conseil municipal”.
En marge de cette guérilla juridique, c’est surtout le flou “entretenu par la mairie” sur l’octroi des subsides et sur le devenir du théâtre qui revient comme principal motif de l’abattement des employés du théâtre. “Ça fait des mois qu’on nous balade, il faut arrêter de nous prendre pour des cons”, reprend Mehdi. Assise au côté des salariés rencontrés, Françoise Martin-Delvalée, la directrice, assure que cette décision de la mairie résulte d’un complot. “On sait tous que ce sont des représailles politiques”, dit-elle avant de dénoncer des “méthodes staliniennes” qui visent à “assassiner” le théâtre. “Il faut que cette subvention soit versée, insiste-t-elle. Car il y a ici des gens en souffrance. On a dû créer une cellule psychologique.”
“On en a marre de souffrir !”
Mehdi, par ailleurs délégué du personnel, abonde : “On en a marre de souffrir ! Sur 21 salariés, 16 sont en dépression : ils ne dorment plus, sont mal, à chaque réunion ils pleurent.” Lui-même, explique-t-il, est allé voir le médecin :“Il voulait m’arrêter, mais j’ai refusé. Si l’un abandonne son poste, ça va donner une charge supplémentaire aux autres qui sont déjà à bout…” L’avocate qui suit les personnels du théâtre constate, elle aussi, “des faiblesses au niveau mental” chez certains. “Notamment chez ceux qui ont déjà subi un licenciement économique par le passé. Ils savent par quoi ils vont passer.”
Nous savons qu’il y a là des gens de qualité et compétents qui seront certainement utiles à la structure à l’avenir.
Jean-Marc Coppola
La mairie, par la voix de l’adjoint à la culture Jean-Marc Coppola (PCF), a à plusieurs reprises promis que quel que soit le devenir de l’équipement ces employés ne resteraient pas sur le carreau. Il le redit à Marsactu, désireux d’avoir “un propos rassurant à leur égard” : “On examinera avec beaucoup de bienveillance et d’attention les candidatures de ceux qui désireraient intégrer les services communaux. Nous savons qu’il y a là des gens de qualité et compétents qui seront certainement utiles à la structure à l’avenir. Nous ne sommes évidemment pas insensibles au fait qu’à partir du moment où la Ville ne vote pas cette subvention, cela peut avoir des conséquences sociales.” L’avocate des personnels veut croire “qu’un travail commun avec la mairie, pour trouver une sortie de crise, avec une ouverture pour les salariés, est possible.”
Manque de transparence
Sur la terrasse du Toursky, peu en sont convaincus. En charge de la comptabilité, une salariée “très en colère” souligne qu’il “est compliqué d’envisager d’aller travailler pour des personnes qui [les] maltraitent.” Christophe, qui gère les ressources humaines, est “révolté”, par la manière dont l’équipe municipale gère selon lui ce dossier. Il dit “être allé mendier” des courriers à l’hôtel de ville, lorsque la mairie ne souhaitait pas recevoir la direction. “Et si demain, on est en liquidation judiciaire, on va être au chômage et les AGS prendront en charge nos salaires. Et puis après ? Coppola va nous envoyer un SMS pour nous embaucher ? Mais enfin, soyons sérieux ! On sait bien que ça ne se passe pas comme ça !”, s’irrite-t-il.
On veut garder la compagnie Richard Martin (…). Personnellement, j’ai signé pour une idée, un projet. Je vais me battre pour que cette œuvre continue
Clémence, une salariée
Les embaucher ? “Mais pour faire quoi ?”, interpelle encore Zorah. Comme les autres salariés, elle regrette que “la mairie ne dise pas de manière transparente” ce qu’elle veut faire du site. S’y ajoute, embraye Clémence, qui travaille au sein de l’administration, la crainte de voir disparaître l’esprit même des lieux : “On veut garder la compagnie Richard Martin, qui est notre employeur. Nous sommes des salariés engagés. C’est ce qui nous lie à ce théâtre. Personnellement, j’ai signé pour une idée, un projet. Je vais me battre pour que cette œuvre continue.” Tous défendent “une communauté d’esprit” dont le travail “est important pour la vie du quartier.”
Pour l’avenir la Ville de Marseille ne donne pas encore de piste claire. “Mais de toute façon en tant que propriétaire du lieu la Ville envisage toujours de garder sa fonction culturelle à cet équipement. On ne veut pas fermer un théâtre mais le faire rayonner encore plus”, dit Jean-Marc Coppola
Jeudi dernier, le 18 juillet, après deux premières entrevues, les porte-paroles des salariés ont de nouveau rencontré les représentants des services municipaux, en compagnie de leur directrice. Sans fumée blanche. “On s’est encore heurtés à un mur. On a l’impression d’un dialogue de sourds. Mais, nous, dans un mois, on risque d’être au chômage”, s’alarme Mehdi. “Pourquoi Payan ne veut pas nous rencontrer ? Et Vassal et Muselier? Ok, ils ont versé leurs subventions, mais depuis, c’est silence radio !”, insiste Zorah.
Pour l’heure, malgré le répit temporaire qu’offre le placement en redressement judiciaire, le brouillard ne se dissipe pas encore sur le devenir de l’équipement culturel. D’ici là, les personnels ont lancé une pétition en ligne dans laquelle ils alertent sur la menace de “mort immédiate” qui plane sur le théâtre et ses 21 salariés.
Pas de bailDans le cadre des nombreuses procédures qui opposent la direction du théâtre Toursky à la Ville de Marseille, l’association Compagnie Richard Martin – Théâtre Toursky avait déposé un recours contre la municipalité pour obtenir la copie du bail emphytéotique dont elle disait bénéficier pour occuper les lieux. Or, une décision du tribunal administratif du 15 juillet révélée par La Provence et dont Marsactu a également eu connaissance donne raison à la mairie sur ce point. “Outre le fait que le bail emphytéotique, au regard de son importance, aurait dû être en possession de l’association requérante, d’autres mentions et d’autres pièces produites, qui actent d’un prêt gracieux des locaux dans les années 1970 et d’une convention d’occupation temporaire plus récente conclue entre les parties, permettent de tenir pour établie l’inexistence d’un tel bail”, argue notamment le tribunal.
Actualisation le 24 juillet à 16 heures : Ajout dans le premier paragraphe d’une citation de l’avocate des salariés, Elisabeth Audouard concernant un “avis favorable du parquet” à un placement en redressement judiciaire. Le tribunal judiciaire a mis sa décision en délibéré au vendredi 26 juillet.
Commentaires
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Désolé pour les salariés, cette situation est navrante, mais n’est-elle pas la conséquence d’une gestion contestable, d’un autre temps ?
Richard Martin, paix à son âme, a un peu trop mélangé la politique politicienne locale avec son statut de directeur d’un grand théâtre subventionné. Et parfois en faisant un peu n’importe quoi. Alors forcément, à un moment donné, ça se paye.
Et puis, franchement, on en a marre de cette approche hyper égocentrée (la plupart du temps portée par des hommes blancs d’un certain âge, comme le CAC 40) de ces grand équipements culturels financés par nos impôts, au nom d’une vision, d’une idée, d’un projet, que dis-je, d’une incarnation !
Le monde change, les pratiques doivent suivre. Personne n’est propriétaire de la culture, encore moins quand elle est financée par de l’argent public.
Bon courage néanmoins, aux salariés, qui se retrouvent englués dans cette situation inextricable.
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le problème est qu’ un théâtre n est pas une entreprise
Il ya forcement des contentieux politiques surtout si tu leche pas
ca me rappelle l ‘histoire du théâtre du merlan
……………
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Je valide, quand on lit cet article, c’est comme si tout était de la fautes des autres ! Hé les gars, vous allez pas me faire croire que vous saviez pas que Richard Martin était un magouilleur de première.
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l’aveuglement créé par le Grand Gourou est sidérant.
La gestion est depuis quasi toujours rocambolesque, mais la cessation de paiement c’est la faute à la mairie. C’est peut-être la mairie qui aussi à créer les conditions du déficit ? Donc au lieu de dessiller des yeux, ils sont malades.
Ces gens-là n’ont pas encore compris que les années Lang, “dépensez, les collectivités et l’Etat combleront” sont finies depuis 30a ? Toursky ou Festival d’Aix même combat.
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C8, NRJ 12, théâtre Toursky, même combat !
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“Représailles politiques”, “méthodes staliniennes” : on sent la recherche d’un compromis intelligent… “Il faut que cette subvention soit versée” : les désirs de Madame sont des ordres, et l’argent public est à sa disposition, sans doute.
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Déjà, le fait que ce soit Madame Martin qui prenne la suite de Monsieur Martin est déjà un problème……..
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Le cercueil de Richard Martin (avec catafalque) a été exposé sur scène pendant 3 jours, faisant du Toursky un castrum doloris.
trois jours d’exposition du corps. Comme Staline.
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Je trouve que cet article accorde bien trop de place à la parole du théâtre et de ses employés, en une sorte de microtrottoir déséquilibré. Le fond du problème est quand même que la mairie n’est pas là pour financer le fonctionnement du théâtre et verser les salaires parce qu’une gestion irresponsable l’y obligerait. Les subventions des collectivités ne servent pas à ça mais à développer le projet d’un établissement culturel.
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C’est triste mais c’est comme ça. Les salariés, malheureusement, sont complètement endoctrinés par leur direction. Ils ne semblent pas conscient du tout conscient de l’affaire saisie par la justice et de sa gravité…
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