Les rouages bien huilés des fausses procurations du camp Ghali aux municipales 2020
Marsactu a pu prendre connaissance du dossier judiciaire qui vaut à trois personnes dont deux élus de la municipalité proche de la maire adjointe d'être renvoyés en procès. Il permet de comprendre comment plus d'une centaine de procurations ont pu être enregistrées par des policiers hors du cadre légal.
Samia Ghali lors du conseil municipal du 21 décembre 2021. (Photo : Emilio Guzman)
“Je m’occupais d’aller au contact des gens toute la journée. Je ne m’occupais pas des procurations….” Entendue le 26 octobre 2021 par les policiers de la division de lutte contre les atteintes à la probité, l’adjointe de Benoît Payan, Samia Ghali, s’emploie à nier tout rôle dans l’établissement de procurations frauduleuses dans le cadre de la campagne des municipales 2020. Candidate hors des partis, l’ex-membre du PS décrit un fonctionnement de campagne assez libre, sans rôles spécifiques, en tout cas pas pour gérer le recueil de procurations.
La veille, dans le même service, sa colistière Marguerite Pasquini, conseillère municipale déléguée auprès de Benoît Payan, avait accepté de prendre sur elle l’établissement de dizaines de procurations hors du cadre légal. Elle a déposé au commissariat des formulaires de procuration et des pièces d’identité qu’elle avait recueillies auprès d’électeurs qui ne souhaitaient ou ne pouvaient se déplacer le jour du scrutin. “Je suis la personne qui a pensé qu’au vue de la situation, il y avait peut-être un aménagement de la procédure qui pouvait être mis en place, sans que cela soit décidé au niveau de l’équipe de campagne. Si certains de mes colistiers ont eu la même idée ; ils ont du le faire de leur propre initiative sans que l’on se concerte ou que l’on reçoive de consignes.”
Comme son collègue Roland Cazzola et l’ancienne adjointe de la mairie des 15e et 16e arrondissements, Patricia Aharonian, elle sera jugée du 28 au 30 octobre devant le tribunal judiciaire de Marseille. Tous trois, qui bénéficient de la présomption d’innocence, devront répondre de faux dans un document administratif et usage de faux, ainsi que de manœuvres frauduleuses ayant pour but d’enfreindre des dispositions du Code électoral. La peine maximale encourue est de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende potentiellement assortie d’une peine complémentaire d’inéligibilité.
Alerte interne dans la police
Le dossier judiciaire, que Marsactu a pu consulter, permet de mieux appréhender la façon dont plus d’une centaine de procurations a pu être enregistrée à l’initiative du camp Ghali hors de tout cadre légal. L’enquête part d’un signalement interne. Le 10 juin 2020, à la veille de la parution d’un article de Marianne et d’une enquête de France 2 sur des procurations frauduleuses réalisées par la droite, les autorités policières adressent un “rappel important” à leurs troupes : tout policier qui validerait une procuration hors de la présence du mandant et sans vérifier de son identité s’exposerait à des poursuites pénales. C’est alors que le major de police M. du 15e arrondissement va se tourner vers sa hiérarchie. Au cours d’une réunion de service, il va déclarer avoir procédé à l’enregistrement d’une centaine de procurations apportées par liasse par Marguerite Pasquini et Magali Aharonian. Cette dernière s’était fâchée en cours de campagne avec Samia Ghali et a rejoint le candidat La République en marche du secteur, Saïd Ahamada.
L’enquête qui s’ensuit va alors essayer de comprendre la manière dont ont été établies ces procurations. Les protagonistes vont préalablement tacher de minimiser leur rôle avant d’être finalement confrontés à des éléments techniques qui vont fragiliser leur défense et même inquiéter leur patronne politique, Samia Ghali. La journée du 10 juin va particulièrement être scrutée car c’est à cette date que le major M. “refuse de rencontrer à nouveau Mme Pasquini” pour accepter de nouvelles procurations, note un rapport de police. Le même document précise que Samia Ghali tente alors à quatre reprises de joindre le commandant Henri Gil, aujourd’hui décédé et présenté par l’enquête comme l’intermédiaire des élus pour faire valider les formulaires – ce qu’il a toujours nié. Leur échange qui dure alors 17 minutes, est inédit dans la durée au premier semestre 2020.
Le même jour, Charlotte Laugier contacte le commissaire divisionnaire de la division Sud Jean-Michel Hornus. “Elle m’indiquait avoir besoin d’un service, ce sont ses mots, et me demandait s’il était possible de venir faire des procurations à la division sud car au nord cela n’était pas possible”, explique l’intéressé au cours d’une audition. Ce jour-là, à un peu plus de deux semaines du premier tour selon son homologue de la division Nord, la plus proche conseillère de Samia Ghali souhaitait faire valider une soixantaine de procurations supplémentaires. L’intéressée niera toute connaissance d’un système de procurations frauduleuses et dédouanera vigoureusement Samia Ghali.
Pièces d’identité en pièces jointes
Le système va donc s’arrêter net. Et, avant même le second tour des municipales le 28 juin, les enquêteurs vont tenter d’en remonter le fil. Mandataire après mandataire, ils vont interroger les motivations de ces personnes. Plusieurs montreront leur parfaite ignorance du système de procurations et pour partie, leur faible connaissance des enjeux des municipales. Dans l’équipe Ghali, quand les documents ne sont pas remplis à la permanence ou en mairie de secteur, les pièces d’identité circulent par dizaines en pièces jointes de mail. Selon les déclarations de l’élue métropolitaine Ferouz Mokhtari, destinataire de ces mails, comme de Samia Ghali, il s’agissait de vérifier la présence des personnes sur les listes électorales. Mais certains témoignages sèment le doute comme cette déposition d’une mère de famille :
“J’ai envoyé par téléphone la photo de la pièce [d’identité], je n’ai pas gardé le numéro.
– Avez-vous fait des procurations pour vos deux filles ?
– Oui pour F. et N.
– Mais N. elle savait pas, elle est pas au courant que j’ai envoyé la carte d’identité pour le vote, elle est dans un foyer.”
Au cours de l’enquête, certains concurrents s’en inquiètent, raconte aux enquêteurs un colistier du Printemps marseillais. Joël Dutto. Dans un courrier, l’ancien conseiller général communiste, colistier de Jean-Marc Coppola dans les 15e et 16e arrondissements, fait part des suspicions qui ont émaillé la campagne. “À l’occasion de briefings, il nous remontait le fait que les partisans de Mme Ghali proposaient, lors de portes à portes, à leurs interlocuteurs et interlocutrices, l’établissement de procurations sans que les personnes n’aient à se déplacer. Ils indiquaient qu’il leur suffisait de photographier la carte d’identité des intéressé-es”, explique-t-il. Au cours de la campagne, plusieurs journalistes avaient effectivement été alertés par des militants du Printemps marseillais de ces soupçons avant que les négociations du troisième tour et le rabibochage des deux listes de gauche restantes ne closent le débat.
Confirmant l’intuition des enquêteurs, les expertises graphologiques réalisées sur un échantillon de 47 documents montreront que de nombreuses procurations portent la même écriture : “Ce sont 39 des 47 procurations sélectionnées sur lesquels Mme Pasquini et M. Cazzola inscrivaient des mentions”, conclut le rapport. Au fil des témoignages, on note qu’outre des rencontres sur le terrain, ce sont souvent des intermédiaires, dirigeants d’association, fonctionnaires ou syndicaliste, qui redirigeaient vers les membres de la campagne Ghali les personnes susceptibles de dresser des procurations.
Les patients de Roland Cazzola
Dans cette campagne où l’équipe Ghali jouait sa survie politique, Roland Cazzola, infirmier libéral de profession, active un autre filon, celui de ses actuels et anciens patients, pour beaucoup en difficulté pour se déplacer. L’élu s’enquiert alors de leur vote. Onze d’entre eux vont donner procuration. À l’époque, ils soupçonnent une atteinte à des personnes vulnérables : une personne dont la procuration a été annulée était sous tutelle et le consentement d’une autre n’a été recueilli que via sa fille. Mais les mandants sont souvent des proches des mandataires et Roland Cazzola, plus qu’un infirmier pour ceux qui lui confient leur voix. “J’exerce la profession d’infirmier depuis 30 ans donc il y a des patients qui deviennent des proches. Certains m’ont effectivement demandé si je pouvais faire le nécessaire pour faciliter l’établissement de procuration”, explique l’élu en garde à vue.
À l’image de ses collègues, il dira avoir in fine fait confiance aux policiers, garants de la loi. Il déposait, dit-il “les Cerfa [formulaires, ndlr] de procurations imprimés sur internet remplis au niveau du mandant et du mandataire avec les copies des pièces d’identité dans le but que les policiers se déplacent aux domiciles des mandants”. Lors d’une deuxième garde à vue, il insiste : “Je reconnais ne pas avoir totalement respecté la procédure en remplissant moi même les parties mandataires ou mandant ou les deux pour des personnes de ma connaissance, tout en étant persuadé que les services de police effectueraient le travail de vérification obligatoire dans cette procédure.”
Roland Cazzola, Patricia Aharonian comme Marguerite Pasquini n’auront jamais admis aux policiers une chasse organisée aux procurations. Au fil des investigations, les acteurs politiques du dossier ont cherché à minimiser le rôle des uns et des autres. Ce n’est que confronté aux résultats de l’enquête que Roland Cazzola a dû admettre être passé par Marguerite Pasquini pour le dépôt de procurations. Josette Furace, aujourd’hui conseillère municipale, avait dans un premier temps déclaré être allée elle-même au commissariat avant d’être démentie. Quant à Sébastien Jibrayel, actuel adjoint, il déclare d’emblée avoir donné sa procuration à Marguerite Pasquini, en disant tout ignorer du fonctionnement des procurations.
Les enquêteurs qui évoquent “une probable connaissance du système de procurations frauduleuses par Samia Ghali” ne pourront dépasser le stade des soupçons. Dans leur synthèse, ils ne peuvent s’empêcher de noter : “La forte humilité qu’elle clamait vis-à-vis de ses colistiers au cours de la campagne était en opposition avec les enjeux des scrutins et de leurs résultats déterminants, tant dans la nomination du maire de Marseille que dans son positionnement au premier plan de la mairie centrale.” Sollicitée par Marsactu par l’intermédiaire de sa directrice de cabinet, Samia Ghali n’a pas fait de commentaire, tout comme les avocats des trois prévenus.
Commentaires
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« Cette dernière s’était fâchée en cours de campagne avec Samia Ghali et a rejoint le candidat La République en marche du secteur, Saïd Ahamada. »
Les convictions politiques tiennent à si peu de choses…
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Tellement vrai ce que vous dites
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La droite est bien pourrie à Marseille , mais la gauche ne vaut guerre mieux. Cela est même pire quand on écoute les discours de cette dernière sur les “valeurs”.
Et dire que le racolage public est répréhensible alors que le racolage politique ne l’est pas. Il y a quand même des incongruités.
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Ayons la décence collective de ne pas jouer les surpris ou même les dubitatifs. Ces faits, ces manières de faire, cette attitude mafieuse de la part de Sainte Samia, Notre-Dame-des-Réseaux, n’a rien de nouveau.
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Quelle indignité ! Piétiner Sabrina la « ministre de Marseille « ne leur suffit pas. Ils s’attaquent maintenant à la Madone de Marseille. Et un jour peut-être, si une femme parvient à se faire élire Maire, ils se débrouilleront pour l’éjecter rapidement.
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Vous oubliez Rubirola cher Patafanari , qui s’est fait satéllisée.
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Cette affaire, tout comme celles dans le 6/8 et le 11/12, ont mis au jour des pratiques certainement bien ancrées, preuve en est la façon décomplexée dont tout était réalisé, y compris dans les commissariats. Un peu comme si il était tout à fait normal de détourner la procédure… “M’enfin, je comprends pas, j’ai fait quelque chose de mal?!!!”
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Sympa l’article, pas ouf non plus mais ça va ça se li.
Après, perso je trouve Mme GHALI disqualifiée depuis une de ses sorties sur comment il falalit “envoyer l’armée dans les quartier”
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Je ne suis pas un fervent soutien de Mme Ghali, elle a quelques qualités et apparemment quelques défauts. Cela dit, la coïncidence que la justice se souvienne d’elle juste au moment des législatives me pose question. Que la justice face son travail, nous sommes d’accord, mais quand même…
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