Le plus gros propriétaire du Gyptis jugé pour avoir loué 29 taudis
Ce jeudi et pour deux jours, Majid B., le plus gros propriétaire du Gyptis, doit répondre devant la justice de la soumission de personnes vulnérables à des conditions d'hébergement indigne. Il louait jusqu'à 29 appartements pour lesquels il percevait jusqu'à 400 euros de loyers alors que plusieurs arrêtés de péril et d'insalubrité interdisaient toute location.
Le plus gros propriétaire du Gyptis jugé pour avoir loué 29 taudis
Un immeuble chasse l’autre, dans le sinistre palmarès marseillais de l’indignité. Aujourd’hui muré, la copropriété le Gyptis, rue Cristofol, à la Belle-de-Mai, a atteint, sans nul doute, les tréfonds de ce que des humains peuvent faire à leurs semblables, par simple appât du gain. Comme d’autres médias, Marsactu a arpenté ses couloirs inondés et sans lumière, envahi de cafards et de rats, où vivaient des femmes, des hommes, des familles, piégés entre le réseau de drogue qui occupait le hall et les marchands de sommeil qui réclamaient leur loyer.
Parmi ceux-ci, une figure sombre émerge, celle d’un certain Majid B, propriétaire de 29 logements dans la barre orangée du Gyptis. Cet Aubagnais sans histoire de 47 ans comparaît ce jeudi pour soumission de personnes vulnérables à des conditions d’hébergement contraires à la dignité. Il risque pour cela jusqu’à sept ans de prison ferme, 200 000 euros d’amendes et la confiscation de ses biens.
Ses locataires, souvent sans-papiers et sans ressources, sont peu aujourd’hui à s’être constitués parties civiles. En novembre 2022, ils étaient près d’une dizaine, emmenés par l’association Marseille en colère, présidée par Kaouther Ben Mohamed. Tous dénonçaient ce propriétaire qui percevait des loyers malgré des arrêtés de péril. Avec leur avocat, Aurélien Leroux, ils ont saisi le procureur. Un mois plus tôt, la Ville de Marseille, également partie civile, portait plainte contre X pour les mêmes faits. Celle-ci s’est ensuite élargie aux délits généralement résumés sous l’appellation de marchand de sommeil.
L’enfer du Gyptis
L’immeuble est suivi de près par les pouvoirs publics depuis de longues années. De 2018 à 2022, il est visé par une série d’arrêtés, tantôt pour insalubrité, tantôt pour mise en sécurité. Le résumé qu’en dresse le rapport de synthèse du parquet de Marseille fait froid dans le dos :
“Présence d’écoulement d’eaux usées, présence de rats et de cafards, présence de déchets putrescibles dans les gaines techniques, les couloirs et les escaliers, infiltrations d’eau, problème dans les colonnes de distribution électrique et danger des installations électriques, absence de sécurité incendie”.
Par deux fois, la justice elle-même se rend sur les lieux, en janvier puis février 2023. Un mois plus tard, l’immeuble est définitivement évacué. Mais les dernières semaines du Gyptis sont sans doute les pires qu’aient connues ses résidents. Face aux policiers et magistrats, les locataires citent tous un même homme, Majid B., qui s’impose comme une cible prioritaire pour la justice.
Transports sur site
Le dossier est plein de ces dépositions saisies à la volée dans les couloirs de l’immeuble. Tous décrivent un état de vulnérabilité extrême et des conditions de vie effroyables. Sergent S. est comorien, il “survit plutôt qu’il vit au Gyptis depuis un an“. Il paie chaque mois 400 euros à Majid B. qui vient les récupérer en personne. Le dernier loyer perçu date de janvier 2023 alors que cela fait plusieurs mois que l’immeuble est frappé d’arrêtés qui gèlent le paiement des loyers. “Je cohabite avec deux rats qui mangent toutes mes provisions“, explique-t-il aux enquêteurs.
La plupart des témoignages décrivent le même processus de collecte, soit en direct par le propriétaire, soit via son contact sur place : Aziz, un Sénégalais qui recommande des personnes issues de sa communauté, ou en situation de grande précarité.
Migrants vulnérables
C’est le cas de Alfussainey, un Gambien en situation irrégulière, arrivé en France en 2021 après avoir passé près de dix ans en Libye. En traversant les Alpes, il a perdu plusieurs phalanges des mains et des pieds à cause du froid. Il décrit le même état d’abandon de l’immeuble et la saleté repoussante de l’appartement dans lequel Aziz l’a placé. “J’ai payé jusqu’à février 2023, explique-t-il aux enquêteurs. Quand on est dans des situations comme la mienne, on finit au Gyptis”.
Dans les procès-verbaux de garde à vue, Majid semble plutôt à l’aise. Il rejette en bloc les accusations formulées. Il se présente comme un simple gérant de snack après avoir dirigé un restaurant McDonald’s. Il dit ne pas comprendre les faits qui lui sont reprochés et ne pas connaître précisément l’étendue de ses biens au Gyptis.
“Au départ, j’avais acheté un lot au Gyptis sur Le bon coin qui comprenait cinq appartements en 2014. (…) Dans ma tête je m’étais arrêté à quinze appartements et quand je suis allé voir les impôts, je me suis aperçu que j’avais des taxes foncières énormes et ils m’ont dit que j’en avais une vingtaine. Mais derrière cela j’en reçu de nouvelles taxes, ce qui fait que j’ai plus de 20 logements“.
“Je vous informe que vous êtes le propriétaire de 29 logements“, lui répond l’enquêtrice. Bonhomme, Majid répond : “Alors j’ai des appartements et je ne sais pas lesquels c’est“. Pourtant quelques minutes, plus tard, il cite sans se tromper la liste des 29 appartements incriminés, le positionnant en plus gros propriétaire de l’immeuble.
Défense en bloc
En revanche, il dément en bloc percevoir le moindre loyer. “Il y a eu un arrêté en 2021 et j’ai ralenti les locations. Je voulais vendre les studios mais personne n’en voulait. Aujourd’hui, j’en ai zéro en location mais je sais qu’ils sont squattés0” L’analyse de son téléphone venait clairement contredire sa version des faits puisqu’il était régulièrement en contact avec au moins six de ses locataires, y compris durant la période couverte par les arrêtés de mise en sécurité. Quant au téléphone de son comparse, Aziz, il a été 166 fois en contact avec le sien sur la même période. Ce dernier confirmait en audition que Majid B. continuait de faire le tour des appartements pour relever les loyers bien après la prise des arrêtés.
Les perquisitions réalisées sur ses comptes bancaires indiquent que ces derniers sont bien alimentés avec près de 140 000 euros en provision. La perquisition à son domicile permet également de retrouver plus de 10 000 euros en espèces répartis dans plusieurs enveloppes. En revanche, son compte de copropriétaire auprès du syndic Traverso accuse une dette de plus de 90 000 euros. Or, l’absence d’argent dans les caisses était la principale raison avancée par ce dernier pour justifier de la non-réalisation de travaux en réponse aux différents arrêtés.
Report à prévoir
Lorsque les enquêteurs le confrontent au détail des désordres constatés dans l’immeuble comme dans ses propres appartements, Majid B. met systématiquement en cause le squat endémique dans l’immeuble ou le rôle du réseau qui avait intérêt à installer le chaos dans l’immeuble. “De toute façon, c’était trop tard, à ce moment-là, le bateau avait déjà coulé“, finit-il par rétorquer. Une attitude désabusée qui contraste avec son insistance dans les SMS qu’ils envoient à ses locataires pour recevoir de l’argent.
Joint par Marsactu à la veille de son procès, il répond avec la même apparente légèreté, assurant avoir été saisi tardivement de sa comparution. “J’ai découvert fin mai que j’étais convoqué les 13 et 14 juin, explique-t-il. Je n’avais même pas la liste de ceux qui m’accusent. Mon avocat va demander le renvoi”. Contacté par téléphone, Romain Dinparast, le conseil de Majid B. confirme qu’il va demander le renvoi de l’affaire.
Commentaires
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Article intéressant mais qui joue sur la confusion du droit et de la morale et qui est à charge contre une seule personne qui reste présumée innocente jusqu’à preuve du contraire.
Ses arguments, en tout cas ceux évoqués dans l’article, mériteraient d’être creusés. Sur la perception des loyers d’abord, il est bon de rappeler qu’un arrêté de mise en sécurité suspend en effet le droit de percevoir les loyers des logements loués à titre de résidence principale. Donc la première question que l’auteur aurait dû se poser est : existait-il des baux signés pour ces logements ? Car en l’absence de bail, l’argument comme quoi certains appartements étaient minés par le squat prend tout son sens (Cf. infra). Par ailleurs, les arrêtés de mise en sécurité ne suspendent pas le paiement des charges locatives ; précisément pour permettre aux propriétaires de continuer à payer leurs charges de copropriété. Et là encore, en cas de squat, aucun flux ne rentre dans les poches du propriétaire, lequel doit pourtant bien continuer à payer ses charges de copropriété.
Et c’est donc bien là que le squat joue un rôle capital dans ce genre de dossier. Que l’on soit un propriétaire honnête ou défaillant, on est désarmé face au squat. C’est une véritable gangrène face à laquelle les pouvoirs publics sont immensément défaillants et portent une très grande part de responsabilité.
La nouvelle loi Kasbarian ne change en effet strictement rien : il est toujours aussi difficile de faire partir des squatteurs. La procédure est pourtant simple : la loi nous dit que dorénavant une simple plainte contre X pour violation de domicile déclenche l’intervention de la force publique sous 48 heures. Sauf qu’en pratique, en tout cas à Marseille, la préfecture n’intervient pas. Ni dans le délai de 48 heures, ni après. Manque d’effectif, risque de trouble à l’ordre public (le police ne sortira pas une famille avec enfants), conflit avec la loi DALO (pas d’expulsion si pas de place en logement d’urgence) etc. Cette loi est donc du vide, un village Potemkine pour faire croire que le problème a été résolu.
Une autre procédure est possible au fond via la saisie du Tribunal Judiciaire. Mais pour cela il faut disposer de l’identité des squatteurs. Contrairement aux idées reçues, un huissier ne peut pas contraindre un squatteur à décliner son identité. Il ne peut pas non plus rentrer de force dans le logement sans la force publique et donc l’accord d’un juge. Compte tenu des délais (inadmissibles) de la justice, cela prend au mieux des semaines. Et là encore, c’est avec la bonne volonté de la préfecture, ce qui est antinomique. Et quand les squatteurs sont sans papiers, bon courage pour relever leur identité. Les chroniques judicaires regorgent de comptes-rendus qui font état de personnes étrangères poursuivies sous plusieurs identités. Il faut le dire : appliquée au Gyptis ou à des immeubles similaires à Marseille, cette procédure au fond a zéro chance d’aboutir.
Pour mieux comprendre l’appellation un peu fourre-tout de “marchand de sommeil”, laquelle n’existe d’ailleurs pas dans la loi, il serait bon que les journalistes de Marsactu, qui se sont attachés depuis longtemps au sujet du logement à Marseille, prennent la peine de mieux informer leurs lecteurs en donnant une vision globale su sujet. Car le propriétaire peut être simplement négligent, dépassé par les multiples injonctions contradictoires d’un millefeuille législatif et réglementaire, tributaire de syndics souvent démunis, parfois incompétents et quelques fois malhonnêtes, solidaire de copropriétaires défaillants et donc, victime de squatteurs très largement impunis. Le propriétaire peut aussi être un véritable délinquant organisé. Mais cela, seule la justice peut l’établir.
Enfin, pour une plus grande honnêteté intellectuelle, j’aurais aimé lire dans cet article (ou dans les autres qui concernent le Gyptis) les points de vue des autres parties prenantes du sujet, notamment :
– La mairie pour qu’elle explique pourquoi elle n’a pas pris plus tôt d’arrêté d’interdiction d’occuper (en plus des arrêtés de mise en sécurité) alors que le bâtiment était manifestement incompatible avec l’occupation.
– La préfecture qui de toute évidence n’a pas appliqué la loi contre les squats.
– Les locataires, pour qu’ils expliquent d’où vient la présence de déchets putrescibles dans les gaines techniques.
Dans ces sujets qui sont souvent épidermiques, il convient de mettre chacun face à ses responsabilités. Dans la plupart des cas, les propriétaires ne sont pas les seuls responsables des maux qui frappent ces immeubles et leurs occupants.
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Bonjour et merci pour ce commentaire. Vous avez raison sur plusieurs points. En l’occurrence, il s’agit d’un article qui annonce un procès dans lequel un propriétaire est mis en cause. Au-delà du fait de percevoir un loyer alors que des arrêtés existent, il est accusé d’avoir soumis ses locataires à des conditions d’hébergement contraire à la dignité.
Il y a dans le dossier judiciaire de nombreux échanges qui prouvent que ce monsieur dépensait beaucoup d’énergie à récupérer ces loyers, avec sans ou sans baux officiels. Il n’est pas question ici de refaire l’histoire du Gyptis que Marsactu a déjà raconté dans plusieurs articles. Cela n’exonère en rien les pouvoirs publics et Etat de leurs responsabilités.
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Merci Monsieur Gilles pour votre réponse.
J’ai simplement profité de votre article sur la tenue du procès (finalement renvoyé) pour réagir plus généralement sur le sujet du mal logement.
Mon point n’avait pour but ni d’exonérer le propriétaire en question de ses responsabilités, ni de remettre en question les faits que vous relatez à propos du Gyptis, et que j’estime incontestables s’agissant d’une enquête journalistique longue et de qualité. Je ne connais en outre pas le dossier au-delà ce qui a été rapporté dans la presse ; et aucun de ses acteurs. En revanche je connais bien le quartier, et le sujet du mal logement à Marseille.
En présence de bail ou non, percevoir des loyers en cas d’arrêté de mise en sécurité est strictement interdit. Et (au moins) pour cela, il est absolument légitime que le propriétaire s’explique devant la justice.
S’agissant de l’état des appartements, on touche à un sujet extrêmement sensible pour lequel la réglementation ne peut malheureusement pas tout. Je prends un exemple très concret : un appartement de 40 m2 et deux pièces, qui ne présente aucun signe d’indignité ou d’insalubrité, est pris à bail par une personne. Sauf que dans les faits, et cela peut aussi être l’effet du temps, cette personne vit dans les lieux avec un compagnon (ou son mari), et 4 enfants. C’est son droit le plus absolu. Il est évident qu’un tel logement n’est pas adapté à une famille de 6 personnes. Tout aussi évident qu’il ne s’agit pas d’un choix pour cette famille mais d’une réelle contrainte car elle ne peut pas trouver de logement mieux adapté à son évolution et à sa composition. A cause de cette occupation, l’appartement se dégrade : des moisissures commencent à apparaître sur les murs car la ventilation n’est pas adaptée, les équipements mis à disposition par le propriétaire (chauffage etc.) s’abîment plus vite que la normale. L’appartement devient insalubre. Un signalement est fait aux services sociaux ; cela peut d’ailleurs être du fait du bailleur. La machine administrative se met alors en marche.
Qui est responsable? Et bien tout le monde à la fois c’est à dire personne. Les services sociaux savent néanmoins faire la distinction entre la “suroccupation” (du fait du bailleur) et le surpeuplement (dû à un accroissement familial) et ne lancent pas de contentieux contre les propriétaires en cas de surpeuplement. La seule issue durable est pour locataire de trouver un logement plus adapté à ses besoins, ce qui dans le contexte de la crise du logement relève de la gageure.
Cela reste un exemple. Il n’est là pour stigmatiser ou exonérer personne. Ni pour opposer les propriétaires aux locataires. Et j’admets qu’il n’est pas nécessairement généralisable à toutes les composantes du mal logement.
Mais il montre que sujet est trop souvent appréhendé par le grand public sous un angle que je caricature volontairement : “les propriétaires sans scrupule contre les pauvres locataires, et l’administration qui ouvre le parapluie pour se couvrir”. Comme toute caricature, il y a aussi du vrai.
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SLM, merci pour ces précisions qui semblent émaner d’un spécialiste.
Il est vrai que l’absence de réaction vis à vis des squatteurs, particulièrement dans les quartiers nord, risque d’envenimer les choses. Dans mon quartier très touché depuis quelques mois par des squats et, malheureusement, par de nombreux cambriolages dont certains, c’est prouvé, sont en lien avec les squatteurs, des voisins parlent de sortir les fusils et de faire des rondes.
Comme je l’ai déjà écrit, l’absence d’application des lois peut mener “au pas de l’oie” : L’exaspération des gens du quartier (et ce n’est pas, loin s’en faut, un quartier bourgeois) s’accompagne d’une profonde hostilité vis à vis de la police qui ne fait rien mais tout autant des membre du personnel politique en place qui, à leurs yeux, n’en font pas plus.
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bah, il ne faut pas qu’il s’inquiète majid b…
au vu des précédents jugements, il va avoir en gros 3 à 6 mois avec sursis, une amende de peut être 10.000 euros……et il fera appel !
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