Le “poumon vert” d’Euromed asphyxie des riverains de la porte d’Aix
Imaginé dans les années 90, le projet Euroméditerranée, est supposé changer le visage du centre-ville, en passant par la refonte totale de certains quartiers. Celle de la Porte d'Aix, qui sera finalisée courant 2018, fait débat chez les habitants. Au cœur de la polémique, le parc Saint-Charles qui s'étend actuellement sur un hectare et demi va se couvrir en partie de béton sablé.
Le “poumon vert” d’Euromed asphyxie des riverains de la porte d’Aix
“L’autoroute recule, la ville avance.” Le slogan martelé par Euroméditerranée en 2010 pour vanter la transformation de la porte d’Aix en vaste espace vert avait de quoi faire rêver. Ce n’est pourtant pas le cas de Denis Eychenne, locataire de la résidence Turenne. “Je n’en dors pas la nuit.” Avant le recul de l’A7, les trois immeubles étaient bordés par la voie d’accès à l’autoroute, qui les séparait des pelouses en pentes arborées. Depuis, elles font face au vaste chantier de réaménagement de cet espace de 45 000 mètres carrés. Avec une perspective qui mobilise toujours l’amicale des locataires : la construction d’un bâtiment face à la résidence, à la place de l’espace vert qui fait tampon entre la résidence Turenne et le chantier en cours. Les habitants craignent de voir disparaître les pins de leur talus alors qu’ils ont déjà vus tomber ceux du terre-plein central.
L’heureuse élue pourrait être l’école de management qui souhaite y installer une extension de ses locaux. L’EMD a été inaugurée en octobre 2013 par le maire Jean-Claude Gaudin et Guy Teissier, alors président d’Euroméditerranée. Elle forme actuellement cinq cents étudiants par an. “D’ici quelques années, nous compterons jusqu’à 950 étudiants, nos locaux actuels seront alors saturés”, explique Xavier Pelou, le directeur d’EMD. L’école envisageait d’abord d’investir le bâtiment qui longera le boulevard Nédélec, ensuite alloué à l’Institut du management des villes et du territoire. Elle lorgne désormais sur la parcelle de pinède, encore en cours d’acquisition par Euroméditerranée auprès de la municipalité et de la métropole.
Si l’EMD ne vient pas, un immeuble encore plus imposant ?
Denis Eychenne dénonce ce qu’il qualifie de chantage. “Le directeur de l’EMD nous dit que si son projet ne voit pas le jour, le terrain sera vendu à Constructa, qui y construira des logements encore plus hauts.” Une menace, à peine voilée que le responsable du projet au sein d’Euroméditerranée, Nicolas Mattei, ne réfute pas. “Ce ne sont pas des menaces en l’air. D’autres pourraient acheter le terrain et ils n’auront pas forcément la même délicatesse. Tant que le permis de construire est réglementaire, Euroméditerranée n’est pas en mesure de refuser un projet.” L’établissement public a pourtant son mot à dire dans le choix de l’aménagement. Dans le cas de l’EMD, il a, par exemple, imposé la création d’un espace sportif ouvert au public au rez-de-chaussée.
À propos de ces premières esquisses, Xavier Pelou, directeur de l’établissement ne parle que d’une “possibilité”. Plusieurs entrevues ont eu lieu, à son initiative, pour présenter les croquis à quelques habitants de la copropriété. Au niveau des résidences, les bâtiments ne seraient pas disposés frontalement et compteraient trois étages, avec une percée pour minimiser la perte de vue des habitants du Turenne. Durant ces réunions, le directeur a dû faire face aux craintes des habitants, échaudés par des années de tergiversations. “Mais nous sommes désarmés ! Nous ne sommes ici que depuis trois ans. On nous parle de ce qui a été promis avant, mais nous n’étions ni témoins, ni acteurs.”
C’est que les habitants ont en mémoire les assurances des élus alors qu’ils manifestaient contre les premiers plans présentés par Euroméditerranée en 2000. Ils prévoyaient déjà la destruction de la pinède comme le montre le plan ci-dessous. Des bâtiments de cinq à six étages y côtoient des arbres alignés le long de deux places. En 2007, à l’approche des municipales, le candidat socialiste Jean-Noël Guérini s’était ouvertement opposé au projet, affirmant que l’ensemble des espaces verts – du terre-plein central comme des talus adjacents- devaient être maintenus voire augmentés. Son adversaire, Jean-Claude Gaudin (UMP) lui emboîtait rapidement le pas.
Le projet est alors mis en sommeil avant de repartir de plus belle. “Avant les élections, plusieurs candidats sont venus nous faire la roue, à celui qui s’était le plus battu contre le projet. En réalité, ils se font tous des ronds de jambe et se fichent de l’avis des gens du 3e arrondissement”, estime pour sa part Julia Rubillon, propriétaire dans une nouvelle résidence mitoyenne, L’Orée Massalia. Elle a depuis rejoint le mouvement enclenché par ses voisins de Turenne.
Car le nouvel espace vert présenté par Euroméditerranée n’est pas celui qu’attendaient les riverains. Certes, les plans de l’architecte Alfred Peter et du cabinet STOA, retenu en 2011, incluaient entre autres un parc d’un hectare, “grand espace participatif, ouvert aux contributions actives des acteurs locaux sous un vaste « parasol végétal » rafraîchissant”. Mais derrière l’écrin de verdure promis et désiré, Euroméditerranée annonce un espace “végétalisé” sur 8000 mètres carrés, le reste reposant sur deux mètres de terre.
Au vu des projections, le parc promet surtout de longues balades sur du béton sablé, semblable à une esplanade, à l’ombre de quelques arbrisseaux plantés en rang d’oignons. Le véritable parc sera lui, relégué après le bassin de rétention (le rectangle vert sur le plan ci-dessus), là où le bitume témoigne de l’ancienne entrée de ville par l’autoroute.
“C’est ridicule, s’offusque Julia Rubillon. Ils bétonnent bêtement : on arrache des arbres qui ont mis trente ans à pousser pour mettre des pavés qui empêcheront le ruissellement des eaux de pluie, et on replante des arbustes sur l’autoroute, là où rien ne poussera. C’est de la spéculation sur le vivant.” Pour plusieurs résidents, le parc a uniquement vocation à devenir le jardin d’apparat de l’hôtel Toyoko Inn, situé juste derrière. “Mais il appartient à tous les Marseillais !”, s’émeut une mère de famille attirée par notre conversation.
Et pendant la longue période de chantier, les riverains voient leur bout de pelouse fermé. Mohamed Ben Aoun, président du CIQ Saint-Lazare, y lit une volonté politique. “Il y a plusieurs années, le parc était arrosé, entretenu, gardienné. Les gens y ont des souvenirs. J’ai l’impression qu’Euroméditerranée a volontairement laissé ce parc à l’abandon pour ensuite dire qu’ils sont obligés de faire des travaux.” Aujourd’hui encore, les habitants ont l’impression d’être trompés. “On nous a vendu sur plan un grand espace social avec jardins, se souvient Christelle, propriétaire à L’Orée Massalia. En réalité, cela ressemble plutôt à un hôtel de luxe”.
“L’information n’est pas transparente, poursuit Mohamed Ben Aoun. Même du côté de la mairie, il y a plusieurs sons de cloche. La ZAC ? Elle n’a de “concertée” que son nom. La réalité c’est que nous n’avons pas d’autres espaces verts et, ce qu’on nous propose, c’est un tout petit endroit vert mal exposé en nous mettant le couteau sous la gorge.”
Plusieurs équipements incertains
Dans le même temps, des équipements publics promis tardent à se concrétiser. Devant la pénurie d’établissements scolaires dont souffre le quartier, très familial, Euroméditerranée avait prévu la construction d’un groupe scolaire. Une nouvelle forcément accueillie avec enthousiasme par les habitants. Pourtant sur les plans, plus de traces de l’établissement et les familles craignent que le projet ne passe à la trappe, alors même que les constructions des résidences L’Orée Massalia et Le Konnect ont apporté leur lot d’enfants à scolariser. Pour les habitants, l’urgence est réelle. Une maman qui vient d’arriver dans le quartier et s’est présentée, munie de la lettre municipale d’affectation de son enfant et s’est vue refermer les portes par manque de place. Une autre explique que ses quatre enfants sont scolarisés dans quatre établissements différents. Les témoignages ne manquent pas.
Du côté d’Euroméditerranée, on concède un manque de visibilité, malgré des besoins clairement identifiés et qui ont fait l’objet d’une réunion jeudi dernier avec pour but de trouver un emplacement au groupe scolaire. D’une source proche du dossier, l’affaire n’a, en réalité, que peu avancé. “Il n’y a eu aucun arbitrage. Mais la volonté de faire ce groupe scolaire est actée. Maintenant la Ville a toutes les cartes en main. Restent à déterminer un lieu, un dimensionnement et une date.” Deux emplacements seraient donc envisagés : l’îlot Pelletan ou l’îlot Montolieu (2e). Dans ce dernier cas, il s’agira d’une extension d’un groupe scolaire plus important.
Plusieurs autres infrastructures devaient voir le jour. Parmi elles, un gymnase et un centre de loisirs sans hébergement, portés par la municipalité, qui devaient compléter l’école. La ville ayant trop tardé à se positionner sur ces équipements, le premier a été abandonné. “Si la ville se réveille à temps, précise Nicolas Mattei, le responsable du projet au sein d’Euroméditerranée, même s’il n’y a aucun signe qui le laisse présager, peut-être pourra-t-elle installer ce gymnase au rez-de-chaussée de l’EMD.” Pour le sport en plein air, il y aura toujours le morceau de pelouse prévu sur le bassin de rétention.
Commentaires
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Hallucinant ! Un groupe scolaire prévu à l’origine, mais qui n’a fait l’objet d’aucun “arbitrage”, un gymnase “abandonné” parce que la ville a “trop tardé”. Y a-t-il dans l’équipe municipale quelqu’un qui soit doté de toutes ses facultés mentales et d’un minimum de sens des responsabilité ? “Gérer” cette ville en se contentant de vendre des terrains à des promoteurs sans penser ni aux transports, ni aux écoles, ni à aucun équipement public, est-ce bien cela la conception que se font les élus municipaux de leur rôle ?
Remarquez, il sera toujours temps d’installer des préfabriqués à côté de l’autoroute en guise de salles de classe, à titre “provisoire” – du provisoire qui, on l’a vu lorsque les écoles marseillaises ont été qualifiées de “honte de la République”, peut durer 40 ans.
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A nouveau l’illustration de l’incurie, l’incompétence et le j’m’enfoutisme de cette équipe tout droit sortie d’une époque qui n’existe plus, des dinosaures dont l’espèce a du mal à s’éteindre.
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Là où certains s’enrichissent honteusement , les conditions de vie de la population se dégradent toujours plus. Les enfants sont privés d’espaces naturels et d’écoles de proximités. La ville est toujours plus “minérale” et la planète se réchauffe.
Pour parler comme l’illustre écrivain François Rabelais on peut dire :
Euromed = Euromerde !
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Un nouvel exemple (s’il en faut encore) de l’incompétence notoire de nos élus. Ils achètent à prix d’or avec de l’argent public des terrains pour les revendre aux collègues promoteurs pour une bouchée de pain. On bétonne, on aménage rien, on se fiche des équipements publics, on nettoie mal et on laisse faire… Et après, on s’étonne que les gens fuient une ville qui n’a d’attrait que son soleil?
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Je crois que le plus gros problème est notre incapacité à nous fédérer. Des quartiers du Centre, au quartiers du Nord et du Sud (un certain Sud abandonné), de nombreuses et graves défaillances de gestion politique apparaissent. Tout reste cloisonné, y compris les combats citoyens : qui La Plaine, qui la Porte d’Aix, qui les cités du 13ème un jour et celles du 14ème ou du 15ème le lendemain, etc.
A quand, un vaste mouvement populaire arrachant le pouvoir aux vieux élus sans idée mais aux dents longues concernant le patrimoine qu’ils espèrent tous transmettre à leurs familles. D’héritage en héritage, ils envahissent les paysages médiatiques et physiques et ne nous laissent qu’un filet de voix démocratique !!!
Veni, vidi, vi(n)ci !!!! comme dirait l’autre.
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Le diagnostic est juste, mais les quelques tentatives qui ont existé de fédérer hors partis politiques traditionnels les énergies qui existent de façon dispersée n’ont pas eu grand succès, et surtout n’ont pas fait reculé l’abstention. Je pense par exemple à “Changer la Donne” aux dernières municipales.
De fait, le pouvoir politique dans cette ville est désigné par une base très étroite, composée de personnes qui ont intérêt à ce que rien ne change.
Le risque est, comme @toine le souligne plus haut, que tous ceux qui le peuvent – et notamment ceux qui paient des impôts locaux fort élevés pour des services municipaux totalement défaillants – fuient de plus en plus cette ville pour s’installer tout autour.
Donc, que faire ?
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Sur les “graves défaillances” de la gestion de Marseille, cet article de Capital : http://www.capital.fr/enquetes/derapages/la-mairie-de-marseille-pire-que-l-om-1147000#
Mais, cela va de soi, il ne s’agit que de “Marseille bashing” puisque, contrairement à ce que tous ces journalistes manipulés racontent, tout va bien.
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Bonjour Valérie
En fait il existe un collectif qui fédère les associations de Marseille qui lutte contre cette certaine vision de l’urbanisme : Collectif Laisse Béton
Vous retrouverez ci-dessous 2 liens vers des articles de Marsactu à ce sujet :
https://marsactu.fr/laisse-beton-marseille-a-un-besoin-criant-despaces-verts/
https://marsactu.fr/quand-les-habitants-ne-laissent-pas-beton/
Et d’autre part, leur livre noir : https://www.fichier-pdf.fr/2013/11/26/livre-noir-laisse-beton-v2-2013/livre-noir-laisse-beton-v2-2013.pdf
Bonne lecture !!
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Incompétents nos élus ? Allons donc : des plus efficients tout au contraire pour ce qui est de “favoriser l’entreprenariat” (comprendre gagner de l’argent vite en faisant travailler les autres), “valoriser Marseille” ( c’est-à-dire le foncier au soleil : toute l’Europe veut acheter dans le Sud).
A lire les commentaires chacun a compris un morceau de la vérité : les responsables politiques (droite et gauche confondues) ne sont pas là pour nous mais pour eux : “se contentant de vendre des terrains à des promoteurs ” et des terrains de choix en centre-ville, proches de la mer, “Ils achètent à prix d’or avec de l’argent public des terrains pour les revendre aux collègues promoteurs pour une bouchée de pain”, et “les conditions de vie de la population se dégradent toujours plus”. Ce n’est pas de l’incurie c’est l’expression d’un intérêt bien compris ” leur patrimoine, leurs enfants.
A nous de nous soucier des nôtres.
Contrairement au battage médiatique “main Stream” nous ne sommes pas dans un système où les politiques reçoivent un chèque en blanc lorsqu’ils sont élus. A tout moment leurs spéculations immobilières peuvent être ralenties, voire bloquées et du coup renégociées. L’histoire de la L2, de la rue de la République, des locataires de HLM escroqués sur les charges : des exemples il y a en d’autres.
Les seuls qui s’en sortent sont ceux qui se battent. Ne serait-il pas possible par exemple de planter de manière sauvage ? Et systématique ? Dans le même temps des recours en justice sont possibles : les copropriétaires ont acheté donc ils ont eu des plans et des descriptifs de services et d’implantations. Cela ne vaut-il pas le coup d’essayer ? On commence petit, 2, 3, 5 propriétaires, et puis on se fédère avec d’autres associations ?
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Une école à l’ilot Pelletan, cela serait surprenant, j’ai envoyé à Marsactu un document de la mairie de secteur précisant que la construction de cette école était différé et sachant que l’école RUFFI ne sera refaite que dans 2 ou 3 ans.
La pénurie de place dans les écoles va éclater à la rentrée prochaine et de plus 6000 logements vont être mis en vente ou en location rien que dans le 3ème.
D’ailleurs un collectif avec les syndicats enseignants; des associations ainsi que des parents s’est créé dans le 3ème
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