Le giga contrat du plan écoles menacé par un recours devant la justice
Des militants associatifs ont attaqué en justice la délibération instaurant l’accord-cadre entre la ville et la société publique des écoles de Marseille. Un risque pour le bon déroulement du plan de rénovation des écoles promis par le Printemps marseillais et soutenu par l'État.
L'adjoint au bâti des écoles Pierre-Marie Ganozzi, sur le chantier de l'école Marceau. (Photo : JV)
51 projets de construction-rénovation d’écoles lancés, dont dix livraisons promises cette année, une troisième vague de 39 écoles annoncée en mars. Le plan de rénovation des écoles de Marseille cher au maire Benoît Payan (divers gauche) et à Emmanuel Macron semble trouver son rythme de croisière. Pourtant, il n’est pas impossible qu’il subisse prochainement un méchant ressac sous forme judiciaire.
Il y a tout juste un an, trois Marseillais membres du Collectif des écoles de Marseille ont attaqué devant le tribunal administratif de Marseille la délibération instaurant l’accord-cadre de partenariat entre la Ville de Marseille et la société publique des écoles de Marseille (SPEM). La structure publique, détenue à parité par la commune et l’État et présidée par Benoît Payan, doit porter le plan de rénovation de 188 écoles. Les trois requérants attaquent plusieurs points. D’abord, le manque d’information des élus sur le contenu de l’accord et la double casquette d’un des administrateurs de la SPEM, Jean Bensaïd. Ce dernier, patron de Fin Infra, un satellite du ministère de l’Économie et des Finances, a aussi “conçu et mis en œuvre le montage contractuel et financier de la Société publique”, comme il l’explique dans le rapport 2022 du service d’accompagnement à la décision les collectivités locales et services publics. Un service réputé favorable aux partenariats public-privé (PPP), des montages de plus en plus contestés pour leurs coûts pour les finances publiques.
Délégation au privé
Sur le fond, ils s’intéressent à l’activité même de la SPEM. Les requérants regrettent le choix de la majorité municipale de passer par des marchés globaux de performance. Ils reprochent à ce montage de confier au privé l’entretien et la maintenance des 188 futures écoles construites ou rénovées, pour une période de plusieurs années. Et selon eux de le faire hors cadre légal. A priori, la forme juridique de la société publique (société publique locale d’aménagement d’intérêt national, SPLA-IN) ne lui permet pas gérer ces activités.
“Si nous saluons l’existence de la SPEM, dont Marseille a besoin pour réparer 25 ans d’errance de la politique de Jean-Claude Gaudin, nous nous interrogeons sur son périmètre d’intervention et sur le marché de partenariat imposé par l’accord-cadre. Nous sommes soucieux de l’état des écoles publiques et nous avons déjà l’expérience du partenariat public-privé de Jean-Claude Gaudin“, explique Julien Houles, un des requérants, au nom du trio.
Il insiste : “Comme l’a dit Emmanuel Macron lors de son discours du Pharo, « le bâtiment scolaire souffre, mais le personnel aussi ». Nous nous attendions à ce que la ville renforce ses services et redonne des moyens aux fonctionnaires. Au lieu de ça, l’accord-cadre prévoit un volant financier de 300 à 400 millions d’euros pour l’entretien et la maintenance alors même que cette activité n’est pas dans les compétences des SPLA-IN. De plus, ce patrimoine sera neuf, le renforcement des services de la ville aurait donc pu se faire de manière confortable.” Depuis le début d’année, les deux parties s’échangent des mémoires. L’audience initialement envisagée au deuxième trimestre 2024 pourrait donc glisser plus tard dans l’année.
No comment
Contactées, ni la Ville, ni Sabrina Roubache-Agresti, secrétaire d’État à la Citoyenneté chargée du plan Marseille en grand, dont le plan écoles est une déclinaison, ni la préfecture n’ont répondu à nos nombreuses sollicitations. Elles “ne commentent pas des affaires en cours”. De l’aveu même de la sous-préfète Virginie Averous, qui a la lourde charge du suivi et de l’animation du plan Marseille en grand, l’État suit cependant de près le recours. Selon les informations de Marsactu, cette dernière a interpellé un des requérants en ce sens sur un ton plutôt vif à l’occasion de la dernière réunion du comité de suivi de l’évaluation de la chambre régionale des comptes du plan Marseille en grand.
Alors même que la SPEM a été associée au recours, comme l’a expliqué son directeur général Vincent Bourjaillat à Marsactu dans son interview publiée lundi dernier, la préfecture a aussi été désignée “observateur” dans la procédure. Si cela est parfois le cas lors d’un contentieux entre une commune et un de ses administrés, la désignation “est un peu particulière”, reconnaît l’avocat Florent Tizot à propos de la procédure en cours.
Consulté sur ce dossier par Marsactu, ce spécialiste de droit public reste prudent sur l’issue du recours. “Il existe un flou juridique sur les compétences d’une SPLA-IN, et ce brouillard semble être exploité par la SPEM“, explique l’ancien attaché parlementaire de Claire Pitollat, la députée Renaissance des quartiers Sud. Et l’avocat d’arguer : “Comme les statuts de la SPEM l’autorisent à « réaliser des opérations de conceptions, de construction (…) ou tout type d’opérations nécessaires à la durabilité et à la conservation des écoles qui lui sont confiées par la ville » et surtout à « conclure tous types de marchés selon les dispositions de la commande publiques », un des verrous saute. Reste à savoir si les compétences que donne le Code de l’urbanisme aux SPLA-IN seront strictement entendues, ou non.”
Le risque de retarder les chantiers
Dans leurs mémoires en défense, les avocats espèrent faire sauter le second obstacle. En s’appuyant sur une jurisprudence du Conseil d’État assez éloignée des SPLA-IN, ils affirment que “les prestations d’exploitation-maintenance et de GER, constituent, dans la présente affaire, des activités constituant l’accessoire nécessaire des missions principales” de la société. La défense de la SPEM n’est, elle, pas connue. Comme son directeur général l’a expliqué à Marsactu, il garde pour l’instant son mémoire au chaud.
L’enjeu est en effet d’importance. Les requérants espèrent une victoire qui “obligerait la ville à récupérer la partie contractuelle liée à la maintenance et à renforcer ses services”. Mais le plan écoles pourrait aussi en être bousculé. Le recours pourrait notamment impacter le coût de la construction-rénovation des écoles. Voire le calendrier de livraison. Au risque de décaler des inaugurations après les prochaines municipales.
Nouveau couac sur un contrat ?Après la passation chahutée au château de la Buzine et l’appel d’offres entaché de conflit d’intérêt des activités périscolaires, le Printemps marseillais pourrait être secoué par un nouveau couac dans la gestion de ses marchés publics. Selon les informations de Marsactu, le cabinet de Benoît Payan était informé de longue date des risques juridiques et de recours liés à l’accord-cadre entre la Ville et la SPEM. C’est ce dont atteste au moins une note interne que nous avons pu consulter. Consacrée au sujet, elle a été adressée à l’automne 2022 à Arnaud Drouot et Didier Ostré, respectivement directeur de cabinet de Benoît Payan et directeur général des services de l’époque, ainsi qu’à la conseillère éducation du maire et à la DGA Plan écoles.
Les risques juridiques y sont détaillés et évalués, selon une grille de dangerosité et au regard de solutions envisagées. La meilleure piste identifiée était une évolution de la loi, afin d’intégrer l’exploitation d’équipements d’intérêt collectif dans les compétences des SPLA-IN. Une piste qui n’a finalement pas abouti.
Le document s’attarde également sur les risques de recours, au regard de l’histoire récente marseillaise. Une histoire que connaissent parfaitement le maire et plusieurs de ses adjoints pour avoir, comme les requérants, fait parti du collectif Marseille contre les PPP qui a fait tomber le partenariat-public privé de Jean-Claude Gaudin pour les écoles. Une lutte fondatrice pour la dynamique du Printemps Marseillais.
Commentaires
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Caramba! Encore raté. Ça va être un de deux Ravier qui aura l’honneur, le plaisir et l’avantage de manier rubans et ciseaux pour les inaugurations.
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Pour continuer dans le style “Carrramba” (qui nous vient de Hergé dans Tintin, si je ne me trompe) : les tentatives de contournement du droit pour aller plus vite, ça tourne au sparadrap du capitaine Haddock …. On croit s’en débarrasser d’une pichenette, et en fait, la règle nous colle à la peau !
Les règlements ne sont pas là “rien que” pour ralentir les élans des bâtisseurs-redresseurs de tords : ils sont surtout faits pour maintenir une commande publique économiquement saine et équitable.
Pourvu qu’on sache les appliquer dans leur esprit, bien sûr.
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