[Vivre à la Castellane] L’éducation pour construire d’autres futurs
Troisième épisode de notre série "Vivre à la Castellane", l'éducation des tout-petits dans une cité en souffrance, par delà les faits-divers.
L'école Saint-André la Castellane. (Image LC)
Il est là qui surplombe la cité. Le groupe scolaire Saint André-La Castellane, l’un des deux de la Castellane, est juché sur une petite colline. Pour y accéder les petits et leurs parents s’offrent chaque matin une courte séance d’alpinisme en empruntant le chemin en lacets, ardu et un peu cabossé, qui y mène. Avec un immense terrain vague à ses pieds, le bâtiment n’a pas toujours été à l’abri des heurts, une classe a même été incendiée au début de l’année dernière. Pourtant, derrière les grilles, l’équipe enseignante veut rester droite dans ses bottes : l’école doit demeurer un sanctuaire et leur réponse sera toujours éducative.
Dans la cour de l’école maternelle, Marie Soonekindt, la directrice, fait répéter sa classe de grande section pour le spectacle qui aura lieu cette fin de semaine. Les petits rigolent, se dandinent avec application et parviennent au bout de quelques essais à trouver une forme de joyeuse harmonie au son d’une musique brésilienne, après quelques corrections et démonstrations enthousiastes de leur maîtresse.
“Je ne viens pas au travail la peur au ventre”
En février 2015, l’école, forcée au confinement à cause de tirs survenus en plein jour, avait reçu une couverture médiatique intense. Aujourd’hui l’enseignante et ses collègues ne veulent plus parler que d’éducation. “Je ne viens pas au travail la peur au ventre, tient à préciser Marie Soonekindt, les balles de kalachnikov, ce n’est pas quelque chose qui fait partie de mon quotidien de maîtresse.” Bien sûr, il y a des matins où elle sent les enfants fatigués et, en interrogeant les parents, découvre qu’il y a eu “du bruit” ou carrément “des tirs” dans la cité pendant la nuit. “On ne peut pas nier ce que ces enfants vivent, reconnaît la directrice, nous devons le prendre en compte, trouver des moyens pour en parler avec eux. L’école doit rester un sanctuaire, à la Castellane comme ailleurs. Mais ce n’est pas la partie la plus importante de notre travail. On est tous là pour essayer que ces enfants aient les même chances que tous les autres, sinon, on ne serait pas là du tout.”
Marie Soonekindt l’assure, l’école maternelle Saint-André-La Castellane “fonctionne très bien”, avec ses 144 élèves répartis en cinq classes pour sept enseignants. Pour ce qui est des locaux, “le plus urgent a été fait”, résume la directrice, qui ne veut pas revenir sur la polémique sur l’état des écoles marseillaises. Le bâtiment actuel sera de toute façon détruit lors de la rénovation à venir, bien qu’aucun calendrier précis n’ait encore été fixé, pas plus que le projet de remplacement.
“Travailler ici, c’est toujours devoir faire un peu plus qu’ailleurs”
L’année dernière, les écoles de la Castellane ont lancé un cri d’alerte pour exprimer leur désespoir face à un environnement qui laisse si peu de chances à leurs élèves. Le “collectif de la Castellane” né de cette mobilisation a joué son rôle pour alerter sur les insuffisances des écoles à Marseille. Professeurs des écoles, spécialistes de l’éducation et parents membres du collectif souhaitent élargir leurs revendications à toutes les écoles de Marseille, mais au quotidien ils font face à des conditions exceptionnelles. “Travailler ici, c’est toujours devoir faire un peu plus qu’ailleurs”, résume Anaïs, enseignante à l’école primaire Saint-André-La Castellane – qui n’a pas souhaité donné son nom comme tous les membres du collectif.
Pour celui-ci, la sécurisation des locaux notamment laisse toujours à désirer dans l’école du haut, Saint-André-La Castellane, comme dans celle du bas, Saint-André-Barnier. Quand un membre raconte un vol d’ordinateur commis sans effraction, à cause des clés qui passent de mains en mains en temps de travaux, un autre évoque “l’alarme qui ne fonctionne pas, et c’est la guinguette, il y en a qui cassent tout, ils le savent”.
“Toutes les difficultés sont multipliées”
Mais si la sécurité demeure une urgence, les enseignantes – qui estiment consacrer un tiers de leur temps à “des à côtés” – ont bien plus à dire sur la pédagogie. “Quand j’ai commencé, en principe de pédagogie, on nous disait : les enfants, c’est tous les mêmes, mais c’est faux. Avec la grande précarité, le cumul de tellement de problèmes, toutes les difficultés sont multipliées”, explique Agnès, professeure en CP.
L’équipe de maternelle s’est fixée un objectif majeur : le langage. “C’est la vocation première de l’école maternelle, et ici plus qu’ailleurs nous bâtissons le projet d’école autour”, explique Marie Soonekindt. Non pas que la plupart parlent une autre langue à la maison, ce qui n’est pas le cas, estime-t-elle. Mais parce que les sollicitations extérieures, les activités éducatives font cruellement défaut, malgré un centre social qui “avec toute la bonne volonté du monde ne pourrait pas pallier tout ce qui manque”. Comment, par exemple, s’intéresser à la nature quand les parents y réfléchissent à plusieurs fois avant de laisser leurs minots cavaler seuls dans la cité ?
Une toute petite section pour tisser des liens plus forts
Parmi les avantages du classement en REP+, l’école dispose depuis la rentrée 2014 d’une toute petite section, classe où peuvent entrer en septembre les enfants de deux ans nés entre janvier et mars, et au-delà s’ils sont “propres et prêts”, et que les effectifs le permettent. Une classe qui peut changer beaucoup, estime la directrice : “Cela nous permet d’avoir une année en plus pour tisser le lien avec les parents, aider les enfants à s’adapter aux locaux avec une maîtresse qui organise son emploi du temps seule, en fonction de leurs besoins”.
Une toute petite section, c’est aussi l’occasion d’habituer les très jeunes à un “bain culturel” et de proposer notamment des activités d’éveil psychomoteur. Elle permet surtout d’identifier les soucis qu’ils peuvent rencontrer – et qui ne sont pas rares, peut-être encore en raison de ce “manque de sollicitations”, s’interroge Marie Soonekindt. Ainsi un accompagnement adéquat avant l’entrée au CP peut-être mis en place, comme le suivi par un orthophoniste ou un psychologue.
Les parents d’élèves entre confiance absolue et découragement
“Si nos enfants pouvaient avoir accès à la même éducation que les autres, on ne serait pas là pour en parler.” Les parents sont difficiles à mobiliser dans la cité, mais certains prennent régulièrement la parole, comme Kheira, maman d’élève qui suit les activités du collectif bien que son fils vienne d’entrer au collège. “Notre école, elle est délaissée, méconnue. Il a fallu qu’un petit se blesse sur des détritus pour que la mairie fasse un vrai chemin d’accès”, poursuit-elle. Car les anecdotes ne manquent pas pour illustrer les lenteurs de l’administration dans les quartiers Nord. Pour une des enseignantes du collectif, si les pouvoirs publics tardent toujours à répondre aux sollicitations, c’est aussi une question de géographie électorale. “Ce ne sont pas les mêmes parents d’élèves que dans d’autres secteurs ! Ailleurs, ce sont des bulletins de vote ! Sur la cité, est-ce qu’ils votent, les gens ? Non !”
Les parents, justement, sont un partenaire essentiel pour mener à bien les projets éducatifs, assurent les enseignants. Marie Soonekindt vante un “vrai rapport de confiance” construit au fil du temps. “Je crois qu’ils n’ont pas conscience de ce qui existe ailleurs”, estime quant à elle Cathy, qui enseigne en CP, pour expliquer la patience dont les adultes font parfois preuve face au manque de moyens pour l’éducation de leur progéniture. Mère impliquée dans le suivi de la scolarité de ses enfants, Kheira avoue toutefois constater une forme de désengagement de la part d’autres parents. “Certains n’y croient plus trop, nous, on leur dit que ça bouge, mais doucement. Le problème de la langue joue aussi beaucoup. Pour s’exprimer c’est difficile, alors ils préfèrent rester dans leur coin. Et il faut dire la réalité : certains se désintéressent parce qu’ils se disent “à quoi bon ?”.” Pour y remédier, la directrice de la maternelle assure travailler à amplifier le dialogue pour faire comprendre les réels enjeux de la scolarité dès le plus jeune âge.
“Je ne suis plus sûre que l’école, dans cet environnement, puisse réussir”
Difficile pourtant de voir dans l’éducation l’unique clé pour offrir aux élèves un avenir plus lumineux que celui de leurs aînés frappés par le chômage et la pression des trafics. “Je n’ai pas l’impression de pouvoir faire grand chose à mon niveau, lâche Agnès, qui officie depuis 20 ans à la Castellane. Leurs problèmes sont tellement énormes, avec cet abandon des autorités, l’absence de PMI [protection maternelle et infantile], je ne suis plus sûre que l’école, dans cet environnement, puisse réussir”. Mais partir enseigner ailleurs, pas question, “ce serait facile, mais viscéralement, on se sentirait traîtres, les familles ont tellement confiance en nous…”.
“L’espoir je l’ai encore, assure Anaïs, présente depuis 8 ans, je me dis qu’on apportera encore quelque chose, on est toutes motivées. Quelques uns en tireront quelque chose. Mais je sais qu’ils devront donner dix fois plus que les autres pour atteindre leurs objectifs”.
“Des couchers de soleil, il n’y en a pas à la Castellane”
Si on leur demande de décrire l’école dont elles rêvent pour leurs élèves, les enseignantes font toutes références à une contrainte lourde qu’elles voudraient voir disparaître : l’isolement de la cité. “Si je dois rêver, je sortirais mes élèves une fois par mois, j’aimerais leur faire connaître les endroits importants de Marseille”, soupire Marie Soonekindt. Les membres du collectif rient jaune en racontant les sorties “bus-métro-bus”, pour atteindre les quartiers Sud de la ville qui nécessitent quatre billets de transports pour chaque enfant. “Moi je les fais monter sans billets”, avoue d’un air effronté l’une d’elles. La mairie de secteur a bien un bus mis à disposition des élèves, mais cet hiver, il aurait été en panne pendant plusieurs mois.
Les enfants, eux, ont-ils conscience de grandir au milieu d’un environnement hostile où manque tout ce qui pourrait les faire rire ou rêver ? “Je n’en suis pas sûre, mais peut-être, confie Marie Soonekindt qui cite spontanément un échange qu’elle avait eu avec un élève. Je lisais une histoire à ma classe, qui se déroulait en Afrique, et en leur montrant une des images, un enfant a commenté : “Des couchers de soleil, il n’y en a pas à la Castellane.” Cela m’a saisie, je ne suis toujours pas sûre de ce que cela pouvait signifier pour lui”, se souvient-elle, encore émue par ce témoignage d’une enfance pas vraiment comme les autres.
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« On est tous là pour essayer que ces enfants aient les même chances que tous les autres, sinon, on ne serait pas là du tout. »
C’est bien cet article long où vous accompagnez la parole de l’équipe enseignante sans la couvrir. Nous avons besoin de ces reportages et Marsactu est bien là, à la hauteur de son sujet sur l’école à Marseille et le système éducatif en général. C’est réconfortant de se rendre compte que des enseignants luttent contre cet « a quoi bon » qui trop souvent prend le dessus devant l’ampleur de la tâche.
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