Michel Samson vous présente
Chronique du Palais

Pauvres comparutions

Chronique
le 7 Juin 2016
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Pauvres comparutions
Pauvres comparutions

Pauvres comparutions


Depuis des mois, Michel Samson se rend tous les jours au Palais. L’ancien correspondant du Monde, journaliste et écrivain, y enquête sur la justice au quotidien, sur ses réalités multiples et les images qu’elle renvoie. Cette semaine, il s’interroge sur la misère ordinaire que juge un tribunal…

Treizième chronique sur Marsactu. Pendant douze semaines, j’ai essayé de raconter des procès, étranges ou simples, qui me faisaient réfléchir sur la fonction de la justice assise, celle qui juge, pas celle qui poursuit ou instruit. Réfléchir sur le rôle et les manières de faire de la presse face à ces audiences souvent décrites et pas toujours bien interprétées. J’ai tenté d’exposer combien comptaient les langages et les tenues dans cet imposant palais de justice. De comprendre comment la justice débrouillait des affaires tellement complexes dès qu’on les examine de près. Ce faisant, j’ai peut-être négligé l’essentiel de ce que j’ai ressenti pendant ces heures, lentes, interminables, répétitives que provoque l’assistance presque quotidienne à ces procès de rien, ces comparutions immédiates qui sont l’ordinaire du tribunal de grande instance de Marseille.

La comparution immédiate est la procédure par laquelle l’auteur d’une infraction est traduit, à l’issue de sa garde à vue, devant le tribunal correctionnel, pour y être jugé.

On y voit, entend, sent, perçoit, devine chaque jour, cinq fois par semaine, ce que sont les marges de la vie misérable dans la ville. Celles qu’on voisine, dont on entend parler mais que, par chance et privilège, je ne côtoie pas. Celle des sans. Sans moyens, sans argent, sans famille, sans soutien, sans maison, sans médecin, sans journaux, sans papiers, sans langue claire. Sans quoi encore ? Ah, oui, l’évidence : sans diplômes, sans travail.

Des gens qui ont quelques « avec ». Avec ignorance, avec handicap, personnel ou familial, avec concurrents, avec supérieurs, avec tout ce qui empêche d’être tranquille. Pauvres en tout. Il leur reste, quand même et heureusement, un petit “avec”: l’aide juridictionnelle.

L’aide juridictionnelle permet aux personnes sans ressources ou ayant des revenus modestes d’obtenir la prise en charge par l’Etat, selon les revenus de l’intéressé, de la totalité ou d’une partie des frais d’un procès (honoraires d’avocat, frais d’huissier ou d’expertise….).

Rupture sentimentale

Voleur de portables en boîte de nuit, où il dit avoir été invité par des amis, il parait “dépressif”, ce détenu provisoire, et le président lui demande s’il l’est. Il ne répond rien, son silence s’entend fort. Mince, favoris noirs, voix brisée à peine audible, ce jeune Parisien était à Marseille pour être avec sa compagne qui l’a quitté, “rupture sentimentale”, dit son avocat. Il venait d’obtenir un contrat à durée déterminée, et peut être un logement provisoire, il n’a plus de logement. N’avait pas mangé depuis trois jours, et bu un peu trop. Vin triste ? La procureure l’accuse de s’être mis à pleurer devant les vigiles par simulation. Et du même jeu quand il a brutalement jeté sa tête contre le plexiglas qu’il a brisé lors de sa garde à vue. Sa mère est “bipolaire”, son père ne s’en sort pas, “il est en permanence au bord des larmes, ce jeune homme”, soutient sa défense.

Celui-ci a fui un contrôle de police, voiture probablement volée qu’il conduisait sans permis, il a poursuivi sa fuite en courant (“je savais qu’il y avait un problème, je savais pas qu’elle était volée”), le procureur évoque “une grande immaturité”, qu’on perçoit quand on entend ce garçon de 19 ans balbutier plutôt que parler ; et “une grande dangerosité”. L’avocat de ce jeune homme si peu bavard parle de “son enfance difficile pendant laquelle il a morflé”, père absent, maman schizophrène.

“Une condamnation à mort”

“C’est un dictionnaire de la délinquance”, explique le procureur qui rappelle le casier de ce maigre cinquantenaire qui comparait libre. Le président a en effet lu 27 mentions sur cette liste de condamnations entamée en 1985, le prévenu avait 20 ans. Tous les délits possibles y semblent recensés, même un étonnant “proxénétisme”… A 4h 30 du matin, cet Aubagnais à l’air abattu s’est fait alpaguer après une glissade sur les rails du tramway du boulevard Chave : tentative de vol à la roulotte sur une Renault, fuite, conduite sans permis sur un scooter volé, non-respect de feux rouges, sens interdits, stupéfiants, recel de portefeuille… Sa fille de 21 ans était à l’arrière du scooter quand ils sont tombés, heureusement sans grand mal, sur les rails du tramway. Handicapé à 100%, il a obtenu de l’hôpital une permission de 24 heures pour venir comparaître. Il a appris en 1984 qu’il était infecté par le VIH, « ce qu’il a vécu comme une condamnation à mort » et il a « toujours vécu seul face à sa maladie ».

Ce détenu qui restera en préventive jusqu’à la fin du mois n’a pas d’adresse. SDF “qui dort à la Timone” (?), il reconnait d’une voix très claire avoir volé des produits à la Croix-Rouge mais pas un téléphone portable dans une chambre de l’hôpital. Comme le dit le président il vit “une situation personnelle délicate, difficile”. Il acquiesce. Quand il était enfant, “à 4 ou 5 ans”, sa maman a mis le feu à la maison où ils habitaient avant d’être internée en psychiatrie. Elle vit loin d’ici, “mais elle va mieux”, précise le prévenu à qui on ne l’a pas demandé. Le matin même de cette comparution, il a été hospitalisé aux urgences pour avoir avalé une boule de cocaïne.

Une atteinte à l’État

Quant au grand maigre R., vingt ans, “vol avec effraction, avec violence”, son casier est rempli pour ce jeune homme qui n’a “rien à dire” et ne dira effectivement rien. Il a été placé en foyer à l’âge de 2 ans, sa maman était héroïnomane, son père décédé du Sida. Il reste en détention provisoire en attendant le procès.

Djindo, 48 ans, lui, a bien travaillé, touché la sécurité sociale, élevé ses trois enfants. Mais comme il n’avait pas grand-chose en arrivant discrètement des Comores, il a utilisé des papiers qu’on lui avait vendus à Madagascar. Faux nom qui lui sert depuis des années de sa vie ici, au point que ses enfants le portent aussi, problème insoluble, ce nom faux, “une atteinte à l’État”, souligne le procureur. “Vous allez voir de plus en plus d’étrangers à votre barre”, explique le défenseur de ce « sans » de plus. Sans papiers, bien sûr.

Devant l’ordinaire de la justice pénale à Marseille, qui ressemble trait pour trait à celle qu’on rencontre en quelques jours à Bobigny ou à Paris, devant ces comparutions immédiates, légitimes puisqu’elles sont légales, on resterait sans voix.

Commentaires

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  1. Sophia Sophia

    article malheureusement très réaliste d’une journée ordinaire aux audiences de comparutions immédiates. Exposé quotidien de la misère sociale, quelques dizaines de minutes laisses aux avocats de permanence pour préparer leur défense, magistrats également sans issues car quelle réponse pénale apporter ? Ces personnes sont désespérées, accablées, démunies … Mais en même temps la justice ne peut pas les laisser voler, dealer, commettre des violences … Difficile dans ces conditions de concilier protection de l’ordre public et bienveillance

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