Michel Samson vous présente
Chronique du Palais

Raconter sans juger Saadoun

Chronique
le 17 Mai 2016
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Raconter sans juger Saadoun
Raconter sans juger Saadoun

Raconter sans juger Saadoun


Depuis des mois, Michel Samson se rend tous les jours au Palais. L’ancien correspondant du Monde, journaliste et écrivain, y enquête sur la justice au quotidien, sur ses réalités multiples et les images qu’elle renvoie. Cette semaine, il explore le doute, celui de la justice et le sien, face au cas de Tsion Sylvain Saadoun, cet enseignant juif qui a dit avoir été agressé le 18 novembre en raison de ses convictions religieuses. 

Les caméras tournent, les micros sont branchés, treize journalistes et apparentés attendent devant la 11e Chambre correctionnelle du TGI. 14 heures, ils entrent avant le public dans la petite salle du deuxième étage. L’affaire Tsion Sylvain Saadoun, renvoyée en octobre dernier, passionne toujours la presse. Ses membres bavardent, préparent, s’interrogent : cet enseignant juif de 58 ans a-t-il subi ou inventé une agression antisémite le 18 novembre 2015, cinq jours après les attentats de Paris ?

Il vient à la barre ce petit homme rond en manches courtes, qui porte une grande barbe grise, une kippa et les tsitsits, ces petits fils blancs du châle qui pendent autour de son pantalon et signent un attachement puissant au judaïsme. La présidente Paule Colombani lui rappelle qu’il est accusé de « dénonciation mensongère à une autorité judiciaire ou administrative ayant entraîné des recherches inutiles ». Et elle décrit l’affaire. Marchant seul vers 19h30 dans une traverse sombre et déserte du 13e arrondissement, Sylvain Saadoun aurait été abordé par des jeunes hommes en scooter. Après lui avoir demandé s’il était “juif ou musulman”, l’un des deux lui aurait montré une photo de Merah, l’autre son T-shirt orné d’une image de Daesh. Avant de le menacer de mort, de le jeter à terre, de lui asséner des coups de pied et de le lacérer de coups de couteau. Une voiture arrivant aurait forcé ces agresseurs à fuir, avant qu’un homme ne le découvre assis par terre. Les pompiers viennent le secourir et l’emmènent à l’hôpital Lavéran. Ni caméras de surveillance, ni témoin direct, rien ne peut attester de la violence décrite par l’enseignant. La présidente aborde alors les premiers doutes émis par ceux qui ont secouru ou soigné Sylvain Saadoun. Habitués à intervenir lors d’agressions, deux pompiers s’étonnent de la légèreté des blessures qu’auraient infligées des couteaux. “Ce qu’ils constatent ne correspond pas à la scène décrite”, résume la présidente. Elle cite un médecin qui évoque “des plaies de type scarification”. Avant de lire les déclarations d’un expert de la police scientifique de Lyon. Soulignant ses propres limites parce qu’il ne connaît les blessures que par photos, il explique cependant que les “entailles des vêtements sont verticales quand les plaies sont horizontales” et émet, devant leur disymétrie, “l’hypothèse d’automutilation”. La présidente conclut sa description des faits en expliquant que ces doutes ont conduit le parquet à envisager “l’hypothèse d’une dénonciation mensongère”.

“Ma version est toujours la même”, répond Saadoun à la présidente qui lui demande “sa position aujourd’hui”. Il ne reprend pas ses déclarations d’après les faits ou durant l’instruction. Il ajoute quand même, sa voix est claire : “Je suis juif pratiquant, il y a des principes extrêmement graves, je n’aurais jamais pu faire des trucs pareils” – à quoi la Mme Colombani répond “qu’il n’y a pas beaucoup de religions qui autorisent le mensonge et l’automutilation…”

Léger accent du sud-ouest, le procureur André Ribes se lève alors pour son réquisitoire. Il explique d’abord que le mis en examen a été entendu à quatre reprises, “au moment où la France connaît des attentats qui émeuvent tout le monde”. Il était en effet hors de question pour le parquet de laisser “une personne être agressée au nom de sa religion”. On découvre alors, insiste André Ribes, qu’il y a “d’un côté une extrême violence verbale des agresseurs et de l’autre une précision chirurgicale pour ne pas faire mal !”. Ironique, il sourit : “Ils ont la délicatesse de couper les habits, de les relever… même dans les mauvais films on ne voit pas ça !”. Et de redire ses doutes sur “ces scarifications”, tellement éloignées de blessures au couteau. Pour expliquer le geste de Mr Saadoun, le procureur évoque la séparation en cours d’avec sa femme à l’époque des faits : il aurait ainsi essayé de “récupérer son épouse”. Cet homme ne doit surtout pas “devenir un héros de sa communauté” puisqu’il a menti. Et André Ribes requiert “le maximum légal, six mois de prison”, mais avec sursis.

Karine Sebbah, l’avocate de la défense, entame sa plaidoirie d’un dossier “qui aurait dû être minime”. Elle conteste les déclarations de l’expert de Lyon qui n’a vu que des photos, elle insistera longuement sur ce point. Avant d’avancer des éléments troublants : “Comment peut-on se faire des scarifications dans le dos ?”, interroge-t-elle. Elle insiste : “Pourquoi a-t-on retrouvé du sang par terre ?”. Elle lit le certificat de l’hôpital qui parle “d’une entorse à la cheville” et d’un patient “atteint d’un choc certain”. Quant aux agresseurs, ils n’en étaient “qu’aux prémisses” et ont fui entendant une voiture arriver : d’où la contradiction apparente entre la violence des menaces et ces traces de blessures. Et puisqu’un pompier avait évoqué les scarifications que se font les adolescents de l’établissement pénitentiaire pour mineurs, qui n’est pas si loin “pourquoi n’est-on pas allé voir ces jeunes de l’EPM ?”. Elle demande la relaxe pour son client.

La présidente : “Monsieur Saadoun, voulez-vous ajouter quelque chose ?”. “Loin de moi l’idée de dire du mal de la police”, précise l’enseignant d’histoire et géographie qui n’aura finalement pas dit  un mot pour sa défense. “Après en avoir délibéré, le tribunal déclare M. Saadoun coupable, déclare Mme Colombani à 16h40, le condamne  six mois de prison avec sursis”. Elle ajoute que cette condamnation ne sera pas inscrite sur le casier judiciaire du condamné, qui restera vierge.

Sortie précipitée des journalistes, ils interrogent à nouveau Me Sebbah, elle insiste sur ce qui prouve qu’il y a eu “une agression antisémite” mais ne dit pas s’ils feront, son client et elle, appel du jugement. Les journalistes rédigent leur dépêches, s’interrogent, expriment leurs doutes, hésitent sur ce qu’ils croient vrai…

Je connais désormais la vérité judiciaire : Sylvain Saadoun a inventé son histoire. Je ne sais toujours pas avec certitude ce qui s’est passé dans cette traverse du 13e arrondissement le 18 novembre 2015. Je me réjouis de n’avoir pas dû trancher cette question. De ne pas être juge…

Commentaires

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  1. Michéa Michéa

    Impeccable.

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    • Michel Samson Michel Samson

      merci

      Signaler

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