Au Carrefour Le Merlan, les salariés dénoncent une précarisation progressive
Les employés du Carrefour Le Merlan (14e) s'opposent au passage en location-gérance du magasin, synonyme, pour eux, de perte d'acquis sociaux. Ils évoquent l'abandon, depuis plusieurs années, d'un hypermarché essentiel pour le quartier.
Rassemblement des salariés du Carrefour du Merlan (14e) le 29 février 2024. Image : R.B
“A l’époque, se faire embaucher au Carrefour Le Merlan c’était comme rentrer à la Ville, ça signifiait la sécurité de l’emploi, un bon salaire et les avantages d’un grand groupe“, se souvient, Gérard Zemoulia. Barbe grisonnante et oreille percée, il travaille ici depuis 1987 où il s’occupe du rayon alcool. Avec nostalgie, il met en avant le déclin du centre commercial implanté dans le 14e arrondissement de Marseille. Inauguré en 1976, “Le Merlan” est le premier hypermarché de la ville, surtout il devient l’équivalent d’un centre-ville pour les habitants des quartiers alentours. “Il y a Le Merlan, Font-Vert, Saint Jérôme….“, liste Gérard Zemoulia en indiquant les directions avec les bras.
Ce jeudi 29 février au matin, il porte par-dessus son sweat bleu à capuche un gilet orage estampillé CFDT, le syndicat majoritaire. Avec FO et la CGT, les représentants du personnel organisent un débrayage pour s’opposer au passage du magasin en location-gérance. Ce statut que Carrefour développe de plus en plus depuis 2018 permet au groupe de céder l’exploitation du fonds de commerce à un entrepreneur en échange d’une redevance. Les salariés restent employés aux mêmes conditions pendant un an et demi, puis il faut négocier un accord avec le nouvel exploitant. Sans entente, l’accord de branche prévaut et pour la grande distribution les avantages sont moins intéressants que ceux proposés par Carrefour.
Des salariés qui vivent tout près
Prime d’intéressement, de vacances aussi appelées “14e mois” ou encore sixième semaine de congés pourraient passer à la trappe. “Nous perdons tous les acquis sociaux et il y a aussi les autres petits avantages comme la mutuelle”, s’inquiète Patrick*, 54 ans dont presque la moitié passée au Merlan. Les employés estiment la perte entre 2000 et 3000 euros par an ou plutôt “deux mois de salaires” pour des personnes dont la rémunération flirte avec le SMIC.
“C’est rajouter de la fragilité sur un quartier déjà fragile”, regrette Audrey Gatian. L’adjointe chargée de la politique de la ville est présente ce matin-là avec Yannick Ohanessian, adjoint à la sécurité, devant l’entrée de l’hypermarché au côté des grévistes. Ils viennent afficher le soutien de la mairie, présente sur place au travers d’une bibliothèque et d’un bureau de proximité. Benoît Payan a écrit au PDG de Carrefour sur le sujet pour souligner la “polarité” que représente le centre commercial, mais les leviers d’action sont minces. “Ce n’est pas qu’un hypermarché, c’est aussi un poumon économique et un lieu de vie“, souligne Audrey Gatian.
Aujourd’hui, les effectifs du Carrefour tournent autour de 330 emplois, un chiffre qui varie selon les pics d’activité. La grande majorité des salariés interrogés par Marsactu habitent dans les 14e et 15e arrondissements, parfois un peu plus loin, dans le 13e. Doudoune bleue “Carrefour” sur le dos et lunettes de soleil, Farida, 40 ans, dont 12 ans de Merlan, travaille ici “pour la proximité avec chez [elle]“. Auparavant à Bonneveine (8e), elle a rejoint l’hyper des quartiers Nord “quand [elle a] eu des enfants“. Comme tous les salariés, elle témoigne d’une forme de déclin du magasin. “J’ai eu un accident à cause d’un trou dans le sol, je rangeais un caddie rempli de paquets de farines et de bouteilles d’huile, il est tombé et en voulant le rattraper je me suis fait un lumbago. Deux jours après, le trou était rebouché, mais il faut un accident sinon ils ne font rien“, raconte-t-elle.
“Les bouchers ont laissé leur place aux surgelés”
Le logo “Merlan” jaune et rouge, affiché sur la devanture, incarne un magasin resté dans son jus. Les syndicats dénoncent un manque d’entretien. Yann Durafour, délégué CFDT, a passé dix ans au rayon charcuterie. “Les bouchers ont laissé leur place aux surgelés, le service se dégrade et le personnel ne doit plus qu’ouvrir des kits donc il est moins bien payé“, illustre-t-il. Ce n’est pas la première fois que Carrefour est pointé du doigt par ces salariés pour des sous-investissements et la baisse en gamme de l’hypermarché. En 2019, la CGT avait attaqué le groupe à propos du CICE, un crédit d’impôt dont les contreparties demandées aux entreprises sont suffisamment floues pour ne pas être contraignantes, et avait perdu. Le CICE prévoyait alors le passage à une offre discount, avec moins de salariés.
“Quand j’ai commencé, je faisais tout le travail de A à Z, de la commande à la mise en rayon. Maintenant je mets en rayon, il n’y a plus de gestion”, souffle Gérard Zemoulia. Les différentes organisations du personnel reprochent à Carrefour d’avoir laissé à l’abandon l’hypermarché qui affiche aujourd’hui une perte de 8,4 millions d’euros par an selon la CFDT. Contacté, Carrefour n’a pas répondu à nos demandes.
Le gouffre financier interroge néanmoins sur la capacité d’un futur entrepreneur à redresser la barre. D’après les syndicats, le choix se porte sur un ancien directeur du Merlan dont les méthodes sont jugées trop sévères. Le changement de statut serait prévu pour le 1er mai, mais Yann Durafour espère repousser la date fatidique car la CFDT a demandé à un cabinet d’experts d’évaluer les risques psychosociaux pour les salariés du passage en location-gérance. “Le groupe nous a attaqués pour cette démarche, nous passons au tribunal de commerce de Marseille le 11 mars. Si nous gagnons, nous pourrions obtenir un délai et peut-être même que Carrefour reculera”, espère le syndicaliste. La justice représente une solution à court terme. Pour la suite, le député LFI de la circonscription, Sébastien Delogu, prévient qu’il compte écrire une proposition de loi pour bloquer la location-gérance.
*Parmi les salariés interrogés, seuls les membres des syndicats ont accepté que leur nom de famille soit publié.
Commentaires
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Bonjour Marsactu. Je comprends mal cette phrase : “Le CICE prévoyait alors le passage à une offre discount, avec moins de salariés.” Quel lien y a-t-il entre un dispositif fiscal non contraignant et la stratégie commerciale de cette grande surface ?
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Bonjour,
Ce n’est pas le CICE directement, la CGT avait attaqué le groupe Carrefour qui avait touché 755 millions d’euros via ce dispositif -instauré pour favoriser la compétitivité et le maintien de l’emploi- tout en passant à une offre discount avec moins de salariés.
Vous trouverez plus de détail dans cet article : https://marsactu.fr/la-cgt-carrefour-le-merlan-echoue-a-faire-de-son-combat-un-exemple-national/
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Merci, c’est plus clair. Il me semble qu’en son temps, l’article auquel vous me renvoyez m’avait échappé.
En réalité, le CICE n’était assorti d’aucune condition particulière : c’était une créance sur l’Etat que toute entreprise pouvait demander sans l’ombre d’une contrepartie, y compris en matière d’emploi. La seule exigence du gouvernement, à l’époque, était qu’il ne serve pas à financer des dividendes ! Et le même gouvernement avait aussi précisé qu’aucun contrôle de l’utilisation de ce crédit d’impôt ne serait opéré. Le combat de la CGT était perdu d’avance, malheureusement.
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👍👍👍
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“Les Bouchers ont laissé leur place aux surgelés”… attention quand même à la façon dont vous reprenez les citations des salariés…Yannick et Audrey présents… très bien… que connaissent-ils de la gestion d’un hyper et de celui-là en particulier… ? Malheureusement la location-gérance est peut-être la solution… je croyais que c’était déjà fait depuis longtemps…
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