Iliès Hagoug vous présente
Nyctalope sur le Vieux-Port

[Nyctalope sur le Vieux-Port] On était à la (fausse) dernière soirée du Stop

Chronique
le 9 Déc 2023
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La vie nocturne, à Marseille, est rarement un feu d'artifices mais plutôt un hasard de rencontres, de rendez-vous d'initiés et parfois de fêtes sauvages improvisées. Marsactu a confié au journaliste Iliès Hagoug le soin de l'arpenter et de la raconter. Cette semaine fait son adieu au Stop, déjà transformé.

[Nyctalope sur le Vieux-Port] On était à la (fausse) dernière soirée du Stop
[Nyctalope sur le Vieux-Port] On était à la (fausse) dernière soirée du Stop

[Nyctalope sur le Vieux-Port] On était à la (fausse) dernière soirée du Stop

“Le Stop, c’est un endroit mythique”. La phrase est répétée sans fin tout le long d’une soirée aux accents nostalgiques devant l’opéra de Marseille. C’est la der des der, nous a-t-on annoncé, d’un restaurant dont la fermeture est un événement assez marquant pour remplir les colonnes de La Provence, pour faire réagir les réseaux sociaux et être le sujet des nombreux zincs fatigués de l’OM ou des apéros qui évitent soigneusement de parler du conflit israélo-palestinien.

“O’Stop”, c’est toujours sur la devanture, mais c’est désormais au passé qu’on parle du restaurant de nuit. Ouvert depuis plus d’un demi-siècle, et jusqu’à six heures du matin de mémoire d’homme, l’établissement comptoir était un havre de paix pour tous les fêtards et travailleurs de nuit. Des histoires de repas improbables, de derniers verres, de bagarres et même d’amour traversent les lieux et se partagent pour la dernière soirée du restaurant. Une mythologie racontée maintes fois, jusqu’à attirer parfois une curiosité malsaine qui continuait à faire parler du lieu sans le faire travailler outre-mesure. Ici, tellement de gens ont des souvenirs. Et ceux qui n’en ont pas s’en inventent pour faire partie du clan.

Ce jeudi 7 décembre, c’est donc la dernière. L’ambiance est très bon enfant, souriante et chaude à l’intérieur, le comptoir qui n’a pas autant débité depuis des années. Il y a de la musique qui va de Tonton du Bled à Dalida, sans transition. Les alouettes sans tête et les Ricard ont pourtant déjà disparu, au profit d’une cuisine sur le pouce aux inspirations vietnamiennes qui seront désormais servis uniquement le midi. Ce soir, le programme est au passage de relai plus qu’aux adieux. Deux sandwiches sont au menu, dont un aux boulettes, clin d’œil à l’une des propositions phares du Stop.

“Je m’attendais pas à des vespas et des casques à paillettes”

Le froid et la pluie d’un hiver qui a fini par arriver en décembre n’aident pas : dehors, l’ambiance est plus morose. Les maronneurs, sont très légèrement en retrait, mais comme souvent, on les reconnaît vite à leurs regards accusateurs et à leurs mains vides, symboles d’une absence de motivation à aller faire la queue pour prendre un verre. “Je m’attendais pas à des vespas et des casques à paillettes” : parmi eux, Léa résume le choc à trouver un Stop qui n’est déjà plus. “J’ai demandé un verre de vin, on m’a répondu “c’est 25 la bouteille et on prend la carte à partir de 20 euros”. C’est fort de café quand même de gentrifier et de pas prendre la carte”. Durant une bonne partie de son existence, le Stop était le symbole d’un quartier sulfureux, voire d’une nuit marseillaise qui faisait sa réputation plus à travers les romans sur le milieu que dans les top 20 européens des “places to be”. Mais les bars à quinoa ont depuis un bon moment remplacé les bars à “hôtesses”. Les pavés piétons sont toujours traversés par des scooters, mais on ne peut plus se garer à l’arrache pour aller manger vite fait, le paiement via téléphone a remplacé les liasses d’espèces.

La soirée est organisée par le collectif les Marseillaises, et ceux qui en ont été informés par leur newsletter ne sont guère surpris. Justine, qui participe à servir et qui semble copine avec toute l’organisation et les repreneurs, espionne la conversation pendant sa pause clope. Elle finit par ne plus pouvoir se retenir, et intervient en défense d’une soirée de lancement : “Je trouve ça cool, moi, qu’ils fassent pas un départ, mais une soirée de lancement en même temps. Moi, j’aime pas dire au revoir quand je pars de soirée, je m’en vais vite pour éviter ça. Il y avait des anciens un peu plus tôt, et l’équipe d’avant n’avaient peut-être pas envie de leur dire au revoir”.

Les traces d’un passé fantasmé

Son nom est ce soir sur beaucoup de lèvres, Jo, l’intemporelle serveuse d’un bar qui n’a plus d’âge, n’est en effet déjà plus là. L’ancienne patronne fera bien quelques passages, se révélera assez réservée, cantonnée à l’entrée, y compris lorsque les applaudissements tonnent à son arrivée. On tente un karaoké, pour rester dans l’esprit, qui se finira a capella faute d’enceintes qui coopèrent. Mais on est toujours au Stop, et on combine : dehors, le système de ticket pour commander alcool et sandwichs a trouvé sa faille. Charles est tout heureux de sortir de sa poche un ticket pour une formule pinte et banh-mi aux sardines, qui n’a pas encore été validé. Même quand on fait partie des maronneurs et qu’on envisage de fuir à l’Unic comme on va dans un refuge, la proposition ne se refuse pas. Et on reconnaît que c’est pas mauvais. Léa semble s’adoucir : “J’ai jugé, mais on s’est retrouvés, tous différents au même endroit, est-ce que c’est pas ça le Stop ?

Passé minuit, le lieu s’est bien transformé en dancefloor, la population est intensément plus ronde, plus bruyante. Nathalie, la repreneuse des lieux, est plus disponible pour discuter. Et partager une certaine mélancolie : “Ça m’attriste, bien sûr que ça m’attriste de voir la fin du Stop. Je ne voulais pas reprendre, je voulais que ça dure.” Pour elle aussi, le lieu est à placer au rang de mythe, elle y a ses souvenirs, mais ne perd pas pour autant toute forme de scepticisme : “Le quartier de l’opéra, et Marseille en général ont été fantasmés, et on reprend un lieu qui est le symbole de ça. Je sais ce que j’enlève au quartier et à la mythologie, mais qui allait reprendre un travail pareil ?”.

La nouvelle patronne parle en allusions à peine déguisées, mais c’est compréhensible : le temps des établissements qui ferment 15 minutes par jour, accueillent flics et voyous sans discriminer, est fini. D’ailleurs, a-t-il déjà existé un jour ? Symbole du propos, la discussion est marquée par un événement assez anodin pour ne pas l’interrompre. Un homme torse nu se jette sur un autre, une barre en bois et une gaz lacrymo tournent autour d’une femme qui essaye de calmer. D’un simple haussement de sourcil, Nathalie est lourde de sens. “On va changer des choses, mais on ne le fait pas sans prendre conscience du passé. On respecte le lieu, en faisant des soirées, en continuant à faire vivre les murs, et en créant une sorte de sanctuaire d’une époque qui n’existe plus”.

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Commentaires

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  1. RML RML

    Ben ca donne surtout envie de fuir de toute urgence!! Les paroles rapportées de l’organisatrice et de la nouvelle proprio donnent un peu la nausée.
    Maintenant, comme beaucoup de commerces dans ce quartierne passent pas les deux ans, j ai envie de dire: arriveront ils a seduire les touristes en airbnb et lic saisonnières?

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