Les dessous du licenciement pour faute grave de la directrice générale de Marseille habitat
Un an après une arrivée mouvementée, la directrice générale de la société d'économie mixte, filiale de la Ville, est licenciée pour faute grave. La cause principale de ce limogeage repose sur des travaux entrepris avec retard dans un taudis détenu par Marseille Habitat. La Ville lui reproche également de s'être auto-augmentée.
La façade du 197 avenue de la Capelette, murée depuis plus de dix ans. (Photo : David Coquille).
Le torchon brûlait depuis des mois entre la directrice générale de Marseille Habitat, Virginie Delormel et la Ville de Marseille, actionnaire principal de cette société d’économie mixte, spécialisée dans le traitement du logement indigne. Et c’est un bâtiment en péril qui a précipité son départ, déjà révélé par le journal spécialisé, TPBM, mais dont les raisons restaient inconnues. Selon les informations de Marsactu, c’est notamment un arrêté de péril non respecté qui a précipité son licenciement.
Début août, La Marseillaise révèle la situation déplorable d’un immeuble de la Capelette propriété de ce satellite municipal, mis en péril par les services de la Ville. Vide, il menace la sécurité des piétons qui passent à proximité. Bien connu des lecteurs de Marsactu, il faisait partie du patrimoine acquis par la Ville ou ses filiales, dans des conditions très satisfaisantes pour l’ancien propriétaire et élu de la majorité Gaudin, Frédérick Bousquet et ses associés.
En faisant entrer ce bien dans son patrimoine, en février 2019, Marseille Habitat n’a pas fait preuve de beaucoup plus de célérité que les précédents propriétaires pour mettre en sécurité l’immeuble. Détaillés dans l’arrêté signé par l’adjoint au logement Patrick Amico, le 26 juillet, les travaux requis ne paraissent pas impossibles à réaliser en 15 jours, même en plein mois d’août. Il s’agit de purger la façade, poser des filets, mettre hors d’eau la toiture et soutenir les différents niveaux de plancher. Il faudra attendre le 12 août, pour que Marseille Habitat entreprenne lesdits travaux.
Un péril qui fait tache
Selon la présidente de Marseille Habitat, Audrey Gatian, cette absence de réaction rapide constitue une faute, “surtout au regard de l’histoire et des missions de Marseille Habitat”, précise l’adjointe à la mobilité de Benoît Payan. Quelques semaines après son élection à la tête de la société, Audrey Gatian s’était vu signifier la mise en examen de celle-ci dans le cadre de l’information ouverte après les effondrements de la rue d’Aubagne.
Le Printemps marseillais dispose avec cette SEM de son seul outil d’aménagement alors qu’elle entend faire de la lutte contre l’habitat indigne une des priorités de son action. Il s’agit de tourner la page des errements de l’ère Gaudin : ne pas suivre les prescriptions d’un arrêté de mise en sécurité marque mal, comme on dit ici.
Pour la directrice générale, sèchement remerciée, ce n’est là qu’un prétexte. “Nous avons réalisé les travaux en 16 jours au lieu des 15 prescrits par l’arrêté, justifie-t-elle. Mais c’est la première fois qu’on réagit aussi vite après un arrêté. J’ai fait remonter par mon service de maîtrise d’ouvrage les dossiers des différents arrêtés concernant la société. Par le passé, il fallait parfois plusieurs mois, avant qu’il y ait les premières mesures“.
L’arrêté est pris le 26 juillet, il arrive sur le bureau d’un collaborateur de Virginie Delormel, le lendemain. “Très bizarrement, il disparaît”, affirme-t-elle. L’agent de Marseille Habitat finit par récupérer l’arrêté le 2 août. “À ce moment-là, je suis en vacances, explique-t-elle. Quand je suis rentrée et que j’ai appris la prise d’un péril, j’ai questionné mon collaborateur qui m’a dit ne pas parvenir à trouver d’entreprise en plein mois d’août“. Consciente de l’urgence, la directrice générale accélère le processus et les travaux sont entrepris dans un délai qu’elle considère comme raisonnable.
“Je ne comprends pas comment elle peut partir en vacances en sachant qu’un arrêté de péril va être pris et sans qu’il y ait d’alerte des services ou de moi-même, constate Audrey Gatian. Elle a droit à la déconnexion quand elle part en vacances comme quiconque, mais l’information doit pouvoir circuler et des décisions être prises.”
“C’est Marseille”
L’élue pointe une autre difficulté : toute prise d’arrêté est précédée par une visite technique sur place avec le service de sécurité des immeubles et ceux de Marseille Habitat, propriétaire depuis plusieurs années de ce taudis. Cette visite a eu lieu le 8 juillet. Elle concluait déjà à l’existence d’un “danger imminent”. Marseille Habitat avait donc largement la capacité d’anticiper les travaux avant la prise d’arrêté.
Quand on lui soumet ce fait, Virginie Delormel a d’abord un blanc qu’elle comble avec un lieu commun : “Vous savez, c’est Marseille. Il y a des choses que j’ai découvertes en arrivant dans le Sud. On appelle ça le quart d’heure marseillais, non ? Une personne devait prendre en charge cette procédure et ne l’a pas fait”. Mais si on suit cet argument, c’est toute la chaîne hiérarchique qui est défaillante. Or, il est question de travaux d’urgence pour un immeuble inscrit dans la concession d’éradication de l’habitat indigne de Marseille Habitat depuis plusieurs années.
Départ négocié avorté
Mais la rupture de confiance ne date pas de cet épisode estival. En réalité, les relations sont à couteaux tirés depuis des mois entre la présidente et la directrice générale. Celles-ci ont démarré dans la tempête après la révélation des conditions de logement de Virginie Delormel. Elles ont connu un nouveau pic négatif au printemps.
“Le 26 avril, j’ai été convoquée à un rendez-vous avec Audrey Gatian en présence de Didier Ostré, le directeur général des services, se souvient Virginie Delormel. J’y suis allée avec mon dossier Marseille Habitat demain, pensant que nous allions travailler sur le sujet de l’avenir de la société. Les sujets sont nombreux“. Ce jour-là, la présidente l’informe de sa volonté de mettre fin à son contrat en passant par une procédure de rupture conventionnelle. “Vous savez, dans mon métier, on prend une décision toutes les sept à huit minutes. Je me demande donc quelle erreur j’ai commise“, reprend la directrice.
Audrey Gatian mentionne pourtant plusieurs éléments problématiques dont l’envoi d’un courrier à la préfecture pour demander un dédommagement pour non-concours de la force publique dans le cadre d’une expulsion. “Outre que la somme demandée était ridicule, la préfecture est un partenaire de la Ville de Marseille, commente l’élue. On ne peut pas travailler main dans la main et envoyer ce type de courrier“.
Auto-augmentation
En mai, un second rendez-vous plus formel a lieu en mai pour consolider la stratégie de la rupture conventionnelle. Entre-temps, la Ville a ajouté une autre ligne à ses griefs : Virginie Delormel s’est accordée une substantielle augmentation sans en référer à la présidente ou à d’autres membres du conseil d’administration. À l’époque, Marsactu en avait été informé, sans parvenir à le confirmer.
“C’est très simple, justifie la directrice générale. La gestionnaire locative venait de nous annoncer son départ. La remplacer allait nous coûter cher et nous faire perdre du temps. En comité de direction, nous avons donc décidé de nous répartir le travail entre trois personnes. J’ai consulté un avocat qui m’a conseillée de faire un avenant à mon contrat de travail et de l’assortir d’une augmentation. Le contraire aurait été illégal“. Elle affirme avoir parlé de cette solution avec Audrey Gatian, mais ne se souvient plus d’avoir évoqué l’aspect financier. “Cela ne fait que 800 euros net par mois“, minimise la dirigeante qui, en tant que mandataire, peut prendre des décisions de cet ordre.
Plus d’un an de salaire en indemnités ?
La solution d’un départ négocié achoppe rapidement sur la question financière. Un accord d’entreprise prévoit au moins six mois de salaire en cas de départ auxquels s’ajoutent les trois mois de préavis. Virginie Delormel refuse de confirmer un chiffre dans l’attente d’une éventuelle contestation devant les Prud’hommes. Pour la Ville, l’intéressée demandait 15 mois de salaire, une somme supérieure à celle gagnée depuis son arrivée à la tête de la SEM.
La négociation entre avocats se grippe et les relations s’enveniment. “J’avais sans cesse des mails, des messages d’Audrey Gatian, y compris en soirée, y compris sur ma messagerie personnelle“, assure Virginie Delormel.
Du côté de la présidence, les reproches s’accumulent. Audrey Gatian dit avoir découvert sur Twitter qu’une réunion se tenait à l’hôtel de ville sur la participation des bailleurs sociaux au futur projet partenarial d’aménagement… sans Marseille Habitat. “Mais des réunions prioritaires, j’en ai 8 à 10 par semaine, évacue Virginie Delormel. Celle-ci, je ne l’avais même pas à mon agenda“.
Les griefs ne s’arrêtent pas là. Audrey Gatian en a découvert d’autres d’ordre financiers en procédant au licenciement. “Madame Delormel a effectué 3000 euros de dépenses non justifiées avec la carte bleue de l’entreprise. Elle s’est également versé son 13e mois en juillet, alors que nous étions en train de négocier son départ“.
Des propos qui choquent l’intéressée qui dit avoir reçu son solde de tout compte, ce mercredi, après avoir reçu nos questions par écrit. “J’ai les justificatifs de toutes les dépenses. Je n’entends pas être salie. Tout a été transmis à mon avocat“, prévient-elle. Elle se dit fière de son bilan, pour être parvenue à sortir la société de “25 ans de retard“. “Il y avait encore des factures tapées au papier-carbone, pas d’ordinateur portable, pas de télétravail, pas de logiciel métier, énumère-t-elle. J’ai tout remis au carré“. Un an après son arrivée, elle entend faire valoir ses droits devant les Prud’hommes. Quant à Marseille Habitat, la Ville recherche son successeur, “peut-être un manager de transition”. Celle-ci ne sera pas facile.
Commentaires
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Après lecture de cet article, je ne sais qui a tort, qui a raison mais cela reste un sacré sac de nœuds. La justice tranchera.
Mais la réflexion de la personne incriminée résume bien la situation locale : ” Ça c’est Marseille “.
Ite missa est.Tout est dit.
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16 jours pour réaliser une mise en sécurité demandée sous 15 jours c’est pas parfait, mais c’est performant. Le retard aurait pu être sanctionné par un rappel à l’ordre ou une amende.
En faire une « faute grave » justifiant ce licenciement fracassant, c’est complètement disproportionné. Et quand on connait le passif de la gestion calamiteuse de Marseille Habitat et de la Ville sur ces sujets avant l’arrivée de cette DG, c’est ahurissant.
L’élue assume une sanction techniquement disproportionnée qu’elle a pris « surtout au regard de l’histoire ». Donc on charge !
On a donc la Ville qui, on ne sait pas pourquoi, voulait rompre avec Virginie Delormel et lui a annoncé fin avril en proposant une rupture conventionnée. Audrey Gatian qui justifie aujourd’hui sa décision par une broutille d’un courrier à la préfecture qui aurait déplu.
Ensuite pendant que la négociation de la rupture se bloque sur le montant de l’indemnité, la Ville avance d’autres griefs. Jusqu’à monter en épingle ce jour de retard sur ces travaux de mise en sécurité en plein mois d’août.
Et puis en rajouter encore jusqu’à cette semaine même, et par voie de presse !
Pourquoi Audrey Gatian raconte-t-elle à Marsactu ce mercredi qu’il y aurait un trou de 3000 euros dans le solde de tout compte de Virginie Delormel établi le jour même ?
Le lynchage administratif de la DG n’étant pas assez solide, on a ressenti le besoin de le renforcer par un lynchage médiatique ?
C’est pas joli-joli tout ça.
Et les Marseillais ne connaitront pas le plan « Marseille Habitat Demain », mais encore une affaire de limogeage foireux qui font si bien fuir les talents de cette Ville. Et qui remet en panne Marseille Habitat.
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L article dit qu elle a entrepris les travaux le 16e jour. Cela ne veut pas’dire qu ils étaient finis.
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Le 16ème jour, soit le 12 août, un journaliste observait que “un filet de protection a été posé ce matin sur la corniche instable qui exposait les passants”, et Audrey Gatian elle-même à répondu :
“La visite du bureau d’études a eu lieu le 5 août. Les travaux de sécurisation suivent évidemment avec la pose d’un filet + nouveaux travaux à l’intérieur. Aucun laxisme.” (à lire vous même sur https://twitter.com/AudreyGatian/status/1558080752767705089)
A l’époque l’élue défendait même Marseille Habitat d’avoir engagé l’opération de sécurisation dès le 5 août, c’est à dire dans le délais prescrit, la sécurisation pour le risque pour les passant n’intervenant effectivement que le matin du 16ème jour…
La question n’est pas de savoir s’il faut étirer la “faute” de 2 ou 3 jours de retard en plus (et pour quoi ? pour mieux crier que c’est GRAVE-GRAVE-GRAVE comme un Deschiens ?).
Non la question est de savoir pourquoi ce revirement de l’élue, pourquoi la Ville s’est mise à monter en épingle une “faute grave” au point de décapiter son principal outil de la lutte contre l’habitat indigne et de participation au PPA du centre-ville ?
Je n’ose imaginer que ce pourrait être tout bêtement pour ne pas avoir à payer l’indemnité de la rupture conventionnelle. Car la lutte contre l’habitat indigne était une priorité du programme du PM et que décapiter MH à 6 semaine des futurs Etats Généraux du Logement c’est plutôt une tuile.
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Dommage qu’on ne puisse pas liker les commentaires sur Marsactu.
Le votre me paraît une bonne synthèse de cet embroglio.
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Elle a été recrutée comment cette personne ? Mars 2021 c’est le PM qui dirige la Mairie et je pense qu’Audrey Gatian a eu son mot à dire.
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Recrutée par l’élue PM donc ?
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Une phrase de Audrey Gatian (sortie de son contexte): « Mon engagement au sein d’Osez le féminisme fait de moi un relais dans ce combat. Je rencontre régulièrement des femmes en plein désarroi« ). Elle parlait de « mettre à la disposition de femmes victimes de leurs conjoints des solutions d’hébergement transitoires, le temps pour elles de se reconstruire. » Apparemment son soucis de sororité ne s’étend pas jusqu’à Virginie Delormel.
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Test
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Quand même, elle a fait installer une salle de sport dans les locaux de Marseille Habitat. Cela vaut bien une auto augmentation de 800€, un 13e mois pile au moment des congés d’été et une prime de départ de 15 mois.
Si la municipalité n’est pas toute blanche (pourquoi l’avoir recrutée ? Pourquoi l’avoir laissé s’auto-attribuer un logement ? etc.) cette Virginie Delormel s’est cru directrice exécutive d’un géant du pétrole…
https://www.marseillehabitat.fr/marseille-habitat-le-bien-etre-des-collaborateurs-est-une-priorite/
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Merci Brallaisse, vous résumez tout à fait mon sentiment : on n’arrive pas à faire la part des responsabilités de l’une et de l’autre.
Et même, j’ai le sentiment qu’on voudrait noyer un poisson derrière cette “affaire” qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
De toute façon, toutes les accusations, allégations, sous-entendus et approximations seront mis à plat par les avocats. Donc attendons sereinement des informations fiables.
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Je suis assez surpris des commentaires…on dirait comme l intéressée que personne ne comprend où elle a merdé? Mais sur tout en fait et globalement sur la manière de voir son travail et son investissement.
Et sur ce point, il est tout à fait normal que la Ville veuille s en désaisir.
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Merci RML de votre commentaire : vous semblez drôlement bien renseigné ! Perso, c’est Marsactu qui m'”informe”, et je commente sur ce que je lis uniquement
Eh bien, en relisant attentivement cet article, il semblerait que le départ de la directrice serait une bonne aubaine pour recruter une personne de confiance, et efficace, qui ne commettrait pas la “faute grave” de mettre 3 jours de plus que prévu à faire réaliser, en plein mois d’août, des travaux de mise en sécurité sur un immeuble dont la société Marseille Habitat est “propriétaire depuis plusieurs années “, soit bien avant l’arrivée de la directrice, si je lis bien.
Quant aux informations sur la “substantielle augmentation” (…) “sans en référer à la présidente” que la directrice se serait accordée, car “en tant que mandataire, [elle] peut prendre des décisions de cet ordre”, on a du mal à repérer où se situe exactement la faute. (Ou alors peut être qu’ une augmentation n’était très opportune au moment où elle a lieu ????).
On va surement y voir plus clair quand la procédure aura avancé aux Prud’hommes, ou au tribunal.
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Vous oubliez la question du logement social octroyé à la DG en mode coupe-file. Ca + le reste ça commence à faire pas mal non ?
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voilà qui éclaire le mouvement de protestation de certains cadres municipaux sur une forme d’ingérence de certains élus.
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Bizarre … pas très clair en tout cas
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Quand un DG n’a plus la confiance du président, c’est mort, le DG part
C’est parfaitement logique dans le privé tout au moins
Ca se passe partout et la SEM est une société de droit privé
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