Déjà à la dérive, le parc régional de Camargue s’enlise dans les querelles politiques
La région vient de suspendre sa cotisation annuelle de 874 000 euros au parc naturel régional de Camargue. La collectivité pointe plusieurs difficultés structurelles. En interne, les agents dénoncent de lourds dysfonctionnements depuis des années.
Des chevaux camarguais près de l'étang de Vaccarès. (Photo SL)
Au milieu du delta du Rhône, quelques chevaux camarguais barbotent dans une zone marécageuse. Derrière eux, il y a l’étang de Vaccarès, le plus grand de Camargue et celui qui inquiète le plus. Avec le niveau de la mer qui monte et fait pression sur le delta et l’assèchement du Rhône, son taux de salinité augmente et modifie l’écosystème. S’ajoutent à cela les eaux rejetées par les agriculteurs transportant pesticides et engrais chimiques. “C’est comme une baignoire, il reçoit toutes les eaux, et donc il concentre tous les problèmes“, illustre Gaël Hemery, le directeur de la réserve nationale qui couvre la majeure partie du plan d’eau. Depuis le mois d’octobre, l’association travaille à la rédaction d’un “plan de sauvegarde”.
D’ordinaire, ce travail aurait dû être chapeauté par le parc naturel régional de Camargue (PNRC) dont le cœur de mission est de rassembler tous les acteurs impliqués. Et sur ce dossier, ils sont nombreux : les riziculteurs, les pêcheurs, les associations détentrices des systèmes de pompage hydrauliques, les scientifiques et les élus. “Le parc jouait un rôle de médiateur et nous aidait pour les dossiers de financement. Aujourd’hui, on agit tout seul, ils n’ont plus la capacité de se mobiliser. On est obligés d’aller voir tout le monde un par un”, se désole-t-il.
L’établissement public présidé par le maire d’Arles depuis 2021 et doté d’une quarantaine de salariés, peine à remplir ses missions depuis plusieurs années. Parmi elles, la préservation des dunes du littoral, la lutte contre les espèces invasives, le recueil de données environnementales, les actions de sensibilisation, la restauration du patrimoine, la gestion de l’eau ou encore l’animation d’un musée.
Mais alors que le parc patauge, le 8 avril dernier, lors d’un bureau de l’établissement public, Ludovic Perney, vice-président au sein du conseil régional, déclare la suspension de la cotisation annuelle de la région. Celle-ci constitue la moitié du budget de fonctionnement du parc, soit près de 800 000 euros. L’annonce intervient alors que des tensions ouvertes sont en cours entre la collectivité et la mairie d’Arles. L’élu pointe toutefois plusieurs raisons d’ordre structurel pour justifier cette punition inédite. À l’entendre, si la région coupe les vivres, c’est pour inciter le parc à revoir son organisation de fond en comble.
Un parc en déliquescence
Au Mas de Rousty, le siège du parc situé à quelques kilomètres du centre d’Arles, l’accueil est assuré par le chant des oiseaux. Une fois à l’intérieur, plusieurs chaises sont vides. “Depuis 2020, plus d’une dizaine d’agents ont quitté la structure, malades, poussés vers la sortie ou tout simplement désenchantés de la situation dans laquelle se trouve le parc“, indique un courrier des agents daté du 12 avril 2022. “On a perdu de l’or“, regrette l’un d’entre eux.
Un an plus tôt, une délégation du centre de gestion de la fonction publique territoriale des Bouches-du-Rhône réalisait une visite de la structure et rédigeait un rapport. Les conclusions, rendues en novembre dernier, font le constat d’un “parc sans repères“. Difficultés financières “depuis 10 ans“, retard dans l’élaboration de la charte, un document stratégique à l’échelle de 15 ans, malaise des agents, statuts à revoir : les dossiers à traiter sont nombreux. Certains vont même jusqu’à s’inquiéter de voir, à terme, le label régional remis en cause.
Être empêchée par sa propre structure, je n’avais jamais vécu ça.
Une ancienne salariée
Au sein du parc, les témoignages s’accordent pour dénoncer l’arrivée d’un nouveau directeur en mars 2020. “On était déjà dans une situation tendue et là, ça a été l’estocade“, souffle Arnaud*. Deux syndicats ont vu le jour quelques mois après son arrivée. “Une bouffée d’oxygène“, décrit un autre agent. Dans leur lettre, ils décrivent un “management agressif et inopérant” et une “absence de programmation, d’orientations stratégiques et d’organisation du travail“. “On était dans l’action et en face de nous on avait une direction de l’inaction“, pose Sandrine*. Une ancienne salariée explique avoir réitéré 11 fois sa demande de lancement d’un marché. “Être empêchée par sa propre structure, je n’avais jamais vécu ça”, témoigne-t-elle. Contacté par Marsactu, le directeur n’a pas donné suite à notre demande d’interview. Il est en arrêt maladie depuis le rendu des conclusions du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), en novembre 2021.
Une baisse des financements depuis 2015
Les difficultés du parc ne datent pas d’hier, ce qui n’a pas échappé au CHSCT. L’une des principales urgences : trouver des financements. Et au parc, le budget de base de fonctionnement n’a jamais permis d’assurer toutes les charges du personnel, qui doivent être couvertes en partie sur des projets. “Il coûte cher, alors c’est la patate chaude de la Camargue”, résume Sandrine.
Une nouvelle organisation au sein des services de la région a aussi eu un impact fort, selon plusieurs observateurs. Dans une délibération de 2017 portant sur les parcs régionaux, la Région a voté une nouvelle feuille de route : désormais les dossiers portés par le parc sont mis en concurrence avec d’autres demandes de subventions. Et pour un membre de la délégation du CHSCT, si les subventions baissent, c’est parce qu’il n’y a pas de dossiers déposés. “Pour avoir de l’argent, il faut le demander. Si le directeur ne met pas sur le bureau les dossiers de subventions, ce ne sont pas les élus qui le feront“, déplore-t-il.
Un argument de “mauvaise foi” pour Arnaud, un des agents cités plus haut. “J’ai l’impression qu’au plus on parle d’environnement, au moins on en fait”, grince-t-il en direction de la présidence de la région, engagée notamment dans son programme “Une Cop d’avance”. Il pointe l’exemple d’une mission confiée au parc : le suivi d’occupation des sols. Tous les cinq ans, des photographies aériennes sont réalisées pour permettre au parc de réaliser une carte des différentes activités qui se déroulent sur les 100 000 hectares. Un travail essentiel pour l’évaluation des actions du parc et l’élaboration de la future charte. En 2021, ce projet d’un montant de 70 000 euros n’a pas été renouvelé par la région.
Pour Arnaud, il existe des “dossiers tanqués” depuis la nouvelle mandature régionale. En 2015, Christian Estrosi (LR) succède à Michel Vauzelle (PS), par ailleurs ancien maire d’Arles, à la tête de la présidence. Il sera remplacé par Renaud Muselier en 2017. “Certains diront que le parc bénéficiaient des faveurs de Vauzelle…“, sourit un agent. Le montant des financements des projets par la région a toujours été fluctuant, mais une tendance à la baisse est quand même très visible ces dernières années. Après un pic exceptionnel à 1 million d’euros en 2015, il avait chuté à 300 000 euros en 2019. Le nombre d’actions, lui, passe de 39 à 18. Bien que “le nombre d’actions ne correspond pas à la charge de travail des salariés“, nuance un agent.
Un parc difficilement accepté
Le rapport du CHSCT revient aussi sur l’histoire du parc et ses tensions. “Il existe encore aujourd’hui des tensions sous-jacentes permanentes qui reflètent l’ambiguïté même de la création de ce Parc avec un poids important de propriétaires privés, une agriculture productiviste, des espaces naturels emblématiques et riches d’une diversité exceptionnelle“, relate le document. En précisant que ces tensions se sont “attisées sous l’ancienne direction“. Le parc de Camargue est situé sur seulement trois communes : Port-Saint-Louis, Arles et les Saintes-Maries-de-la-mer. Alors en petit comité, les tensions sont parfois exacerbées, telles que relatées par nos confrères de La Provence, samedi 30 avril.
Ce parc est mal-né, à aucun moment les élus et les habitants se sont saisis de cet outil, ils l’ont toujours pris comme une ingérence de l’État.
Une salariée
Historiquement, la Camargue est partagée entre plusieurs grands propriétaires. Les saliniers et les riziculteurs étant les deux plus grandes activités. C’est d’ailleurs pour préserver leurs intérêts qu’un parc régional a été privilégié plutôt qu’un parc national. Avec ce label, l’établissement doit impérativement “concilier le développement des activités économiques et la conservation de la nature“. Alors, les chambres d’agriculture, de commerce, d’industrie et d’artisanat ont été intégrées aux instances délibérantes.
Cette présence d’entités de droit privé n’est pas neutre financièrement : elle ne permet pas à l’établissement public de récupérer la TVA sur ses investissements, à hauteur de 20 %. Une manne financière non négligeable pour des projets à six chiffres. Dans un rapport publié en 2019, la chambre régionale des comptes souligne cette particularité du parc. Le départ des chambres consulaire a un temps été débattu mais jamais voté. “Ce parc est mal-né, à aucun moment les élus et les habitants se sont saisis de cet outil, ils l’ont toujours pris comme une ingérence de l’État“, analyse Sandrine.
Quand la politique s’en mêle
Sur ces dysfonctionnements internes et administratifs, se calquent par ailleurs des jeux politiques. La suspension de la cotisation régionale en est l’illustration. Officiellement, elle doit servir de “coup de réveil aux gestionnaires”, défend Ludovic Perney, qui souligne aussi la souffrance des agents.
“Il n’est pas aberrant qu’un financeur demande des comptes au bénéficiaire“, souffle un membre de la délégation du CHSCT. Mais à un mois des élections législatives, le choix du timing semble opportun pour lancer une polémique. Et ressasser les rancœurs des élections régionales de 2021. Pour ne pas l’avoir soutenu explicitement, Renaud Muselier semble prêt à faire payer, par Camargue interposée, le maire d’Arles et président du parc, Patrick de Carolis. “Qu’a-t-il concrètement décidé avec ses équipes depuis 7 ans pour redresser la situation qu’il déplore maintenant ?, pointait ce dernier dans les colonnes de La Provence au sujet des soucis du parc, et plus largement, du boycott de son territoire par la région. Nos confrères de l’Arlésienne ont documenté cette bataille d’égos.
Lors de l’assemblée plénière de la région vendredi 29 avril, Renaud Muselier a assuré que ce bras de fer “n’est pas une affaire personnelle“. “Il faut aimer la Camargue et son parc pour s’attaquer aux maux qui les ronge“, poursuit le président qui s’y est repris trois fois pour prononcer le nom de l’étang de Vaccarès. Il a assuré être toujours dans l’attente d’une feuille de route pour le parc, après un ultimatum lancé au président. Du côté d’Arles, l’entourage du maire répond qu’un courrier a été envoyé avec une demande de rendez-vous en fin de semaine dernière. En face de ce spectacle, les agents du parc attendent, désespérément, de pouvoir faire avancer les projets qu’ils ont à cœur de défendre.
* À la demande des intéressés, les prénoms ont été modifiés.
Actualisation le 03/05/2022 à 9h36 : Christian Estrosi succède à Michel Vauzelle en 2015 et non Renaud Muselier comme indiqué. Ce dernier prendra la présidence de la région en 2017.
Commentaires
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C’est déplorable, la Camargue mérite mieux, voilà un outil de protection de l’environnement et de gestion territoriale avec tous ses acteurs qui a été un coquille vide. Il faut revoir cette structure et son fonctionnement.
Je ne vois pas en quoi la suppression de la subvention de la Région pourrait toucher le maire dArles. Ce sont les agents du Parc qui sont punis, et la politique environnementale qui perd des moyens.
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Ça aurait dû être un parc national vu l’intérêt écologique des lieux.
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” les dossiers portés par le parc sont mis en concurrence avec d’autres demandes de subventions” le comble de la stupidité que l’on mettent en concurrence les entreprises permet de faire croire que l’on choisit les meilleures mais les projets !!! comment peut on juger de la pertinence d’un projet ? à part en remettant en cause celui qui le présente, il s’agit d’une décision politique qui doit être assumée en tant que tel mais pas en se cachant derrière un pseudo argument économique.
Mr Muselier a-t-il mis en concurrence les différents projets politiques avant de rallier LREM ?
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Marsactu, le parc de la Camargue est utile hors mis ces règlements de comptes entre politiques à coup de subventions qui en fait sont nos impôts.Mais si vous vouliez vraiment parler de cette région,parlez surtout des manades dont la situation est très difficile et dont la survie est problématique.
Alors abordez le problème des vrais camarguais et pas de ces guignols qui le sont un Weekend de Feria un verre de Ricard à la main.
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Nous y reviendrons certainement, mais voici un article de 2020 sur le cas d’une manade de Saint-Martin-de-Crau : https://marsactu.fr/un-enfouissement-sauvage-de-dechets-dans-une-manade-fait-voir-rouge-a-saint-martin-de-crau/
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Refus du conseil régional de payer sa cotisation ? Un membre qui ne paie pas sa cotisation doit être exclu. Muselier fera sa propagande avec autre chose pour la Cop d’avance : avec le circuit du Castellet ou bien la neige carbonique.
Le Parc de Camargue devrait démarcher d’autres collectivités telles que le département 13.
Lorsque Muselier a coupé les subventions au Comité régional du tourisme de la Côte d’Azur pour les motifs identiques de rétorsion politique, le département 06 a compensé.
Reste que nous avons là un problème de comportement politique dangereux avec l’argent public de la part de ce potentat.
Avec l’argent du Parc de Camargue il achètera des vaccins Sputnik à la Russie !
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Je n’aurais pas mieux dit.
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Chère Lisa CASTELLY ,
je vous remercie pour ce tas d’ordures , mais je ne faisais pas référence à ce type de manadiers, mais à ceux qui font leur travail d’élevage et d’aménagement du territoire. Les vrais camarguais.
Ceux là sont des gens passionnants.
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