Plus vieux cinéma au monde : le patient travail dans les archives de l’Eden
L'Eden a été désigné plus vieux cinéma du monde au début de l'été. Photo CM.
Guy Anfossi a commencé sa recherche d’archives dans le monde d’avant, celui des bourses aux livres et des vide-greniers. Covid oblige, son entreprise s’est finalement achevée sur Ebay et Leboncoin. Cette année et après deux refus du Guinness Book, il est enfin parvenu à faire certifier l’Eden comme “plus vieille salle de cinéma au monde encore en activité”. Une “immense fierté” pour le collectionneur aux 3500 affiches et cinéphile star de la Ciotat. Des caméras de télévision sont venues le chercher avant Marsactu. Une dépêche AFP début juillet a aussi fait le tour du monde, les articles sur le record sont désormais classés pays par pays dans la revue de presse de l’Eden. “Je ne suis pas accro aux médias, ni aux médailles, mais aux remerciements, un petit peu”, reconnaît le bonhomme de 56 ans, prenant fièrement la pose devant la façade de l’institution.
“Pour nous, c’était déjà acquis que nous étions la plus vieille salle du monde. Mais la certification nous offre une légitimité incontestable”, se félicite à ses côtés Agathe Rescanières, directrice de la communication. Ce jeudi 5 août, la salle est quasiment vide pour la projection de l’après-midi, la masse de touristes lui préférant sans conteste la calanque de Figuerolles. Entre les deux, l’ancien port industriel a laissé place au chantier naval de La Ciotat Shipyards, dédié aux yachts. Le port de plaisance de la commune s’est établi en face du cinéma. Avant lui, c’est d’ici qu’une mine sous-marine allemande avait explosé en 1942, soufflant la façade de l’Eden. Celle-ci avait été inaugurée 53 ans plus tôt.
Annuaires et coupures de presse
En 1889, les journaux annoncent l’ouverture de l’Eden-concert. Le théâtre propose des spectacles et évènements sportifs chaque week-end. Dix ans plus tard, en 1899, l’Eden organise sa première projection en trois parties, composée de films de la maison Lumière que Guy Anfossi peut énumérer sans broncher : Lancement d’un navire à la Ciotat, Une Caravane aux Pyramides d’Égypte… Cette affiche est la première retenue par le Guinness Book. Mais jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le théâtre populaire domine toujours l’Eden. Pour établir le record, le Guinness Book exige la preuve d’une projection cinématographique par an. Guy Anfossi épluche alors les programmes pour retrouver la trace de l’annonce d’un film, entre deux titres de shows qui accueillent les meilleurs soirs Fernandel ou Édith Piaf.
Dans les musées, il recense les programmes parus dans Le Petit Marseillais, quotidien local de référence qui disparaît à la Libération pour collaboration. Ces archives ne satisfont pas le Guinness Book. L’institution exige des exemplaires de journaux entiers et non des coupures de presse datées au crayon de papier, trop délicates à authentifier. Guy Anfossi poursuit alors ses recherches sur des sites spécialisés. Sur Ebay, il retrouve de vieux annuaires de cinéma des années 30. Il explique aussi “passer des nuits blanches” sur le site internet de la BNF (Bibliothèque nationale de France). D’abord à l’aide d’un mot-clef évident : “L’Eden”. Le collectionneur découvre 280 cinémas homonymes dans le monde. Il tente alors de remonter l’histoire de tous les lieux ciotadens ayant accueilli des projections. Parmi eux, le bar historique « Les 2 Pétous », qui a traversé les décennies mais n’a pas survécu au début de l’épidémie en 2020.
Salle en ruines et « vieux cinéma tout pourri »
Dans les années 80, c’est l’Eden qui avait failli disparaître. En 1982, le gérant du cinéma est tué par un braqueur. Déserté, le lieu tombe en ruines. En 1995, la salle, fraîchement rachetée par la ville, est condamnée “par mesure de sécurité”. Le bâtiment entier n’est restauré qu’en 2013. Durant toute cette période, des projections restent organisées par l’association Berceau du Cinéma et le Ciné-Club Amateur de Provence. Elles sont toutes attestées par les archives municipales. Certaines ont lieu dans le hall d’entrée, alors décrépi. Un acte de persévérance qui ne semble pas émouvoir l’envoyé spécial du quotidien Libération qui, en 2002, débute son reportage sur place ainsi : “À La Ciotat, face à la mer, il y a un vieux cinéma tout pourri qui s’appelle l’Eden. Fermé depuis 1982, il s’écroule, moisit sur place, se déglingue à force d’infiltration d’eau, de squats indésirables et d’entrée strictement interdite au public.”
C’est à cette époque que Michel Cornille, toujours président du cinéma aujourd’hui, commence un travail d’archives en préparant la réouverture officielle. Il charge sa fille de négocier en anglais avec le Guinness Book les conditions de la certification. Avec l’apport de Guy Anfossi, qui rejoint le conseil d’administration de l’Eden, le groupe tente une première candidature en 2019, sans succès. En 2020, le Guinness Book refuse toujours de certifier 18 années de projections, principalement pour des problèmes d’authentifications d’affiches de films. À coup de mots-clefs toujours plus pointus, les archives numériques de la BNF ont fini par livrer à Guy Anfossi les dernières pièces manquantes.
“Je suis analyste financier, j’ai complété des bases de données toute ma vie”, explique-t-il. Une carrière et une vie de famille après ses débuts de collectionneur, c’est l’objectif du record mondial qui l’avait ramené vers sa passion d’origine. Passion qu’il entretient désormais avec ses amis de l’Eden, loin des milieux cinéphiles marseillais qu’il fréquentait adolescent, et dans lesquels il estime que “beaucoup de gens ont mal tourné”. Lui travaille toujours à temps partiel pour l’Assurance maladie.
Pas rebuté par les évolutions technologiques de la recherche d’archives, l’homme est en revanche embêté par sa mémoire, abîmée par un pépin de santé en 2013. “Depuis, j’ai pris l’habitude de tout noter. C’est très frustrant. Si je ne le fais pas, je peux immédiatement oublier la piste que je viens de trouver”, explique-t-il fataliste. Il en va de même pour les films, alors le cinéphile a abandonné la perspective de suivre les sorties actuelles. Spécialiste des années 80 et 90, il est devenu le gendre idéal des résidents des maisons du bel-âge de la commune, qu’il visite régulièrement lors d’animations-quizz cinéma.
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